Medo et Flores par la Cie Membros

Medo et Flores par la Cie Membros

Les danseurs de vacarme

Membros, c’est un regard en face, un gang qui s’affronterait lui-même, un cri du corps contre la banalisation de la violence, c’est une réconciliation avec le hip-hop de la rue : cathartique mais révolté. Membros clame le corps politique du danseur comme force de résistance.

Membros-febre-Credit-dominik_fricker.jpgUne jeune femme noire nous chante la marseillaise (Florès). Un homme, talons aiguilles déjà chaussés, se maquille dans sa cellule de prison (Raio X). Sur une musique de carnaval, un homme nu de dos se déhanche sensuellement tandis qu’un autre se shoote au premier plan (Febre). Etat des lieux du Brésil. Membros fait passer le thème de la violence aux aveux en trois spectacles : radiographiée au Raio X, digérée par la fièvre (Febre) corporelle, décuplée par la peur (Medo), la violence se conjugue aussi bien au féminin qu’au masculin, dans une cellule de prison ou sur un bord de trottoir.
Accueillie sur la scène du Merlan, la compagnie Membros n’a pas oublié ses racines urbaines et son premier nom : Companya de dança de rua de Macaé, sa ville d’origine. Avec des ateliers et le spectacle de rue Florès, Membros investit ainsi les rues du centre ville et des quartiers nord. Mais quand la rue s’invite au théâtre, elle ne perd pas pour autant son lien avec le bitume. Le mur rouge, noir ou blanc selon les spectacles est toujours là pour dire la frontière, « l’apartheid social », le mur contre lequel on se heurte ou au bas duquel on crève. Un certain Victor Hugo disait que la rue « est le cordon ombilical qui relie l’individu à la société. » Membros fait société à elle toute seule et étudie de près ce qui relie et — surtout — ce qui détache l’individu d’une société.
D’ailleurs, les jeunes de la Busserine et les adeptes des cultures urbaines assistent aux représentations, remplaçant le silence sacerdotal des salles de théâtre par la chaleur du ressenti en prise directe. Et l’on ne peut s’empêcher de réagir : le choc est frontal, le message, direct, et le corps, chair et muscles à découvert, n’offre pas d’échappatoires. Des sauts de l’ange brisés, marque de fabrique des Membros, rythment les représentations de claquements de chair, véritable percussion de peau humaine.
Après onze ans d’existence, la compagnie est devenue une véritable famille ; un Centre d’Etudes intégrées du Mouvement Hip Hop est né (CiemH2) et au-delà, une façon de penser le monde grâce à la danse et d’investir le corps artistique de manière politique. Au départ, il y a le désir de Paulo Azevedo, éducateur et maître en politique sociale, et de Tais Vieira, chorégraphe et danseuse, tous deux passionnés de street dance, d’offrir la possibilité aux jeunes de Macaé d’une autre vie, autour de l’envie de danser. A la violence réelle de la rue se substitue la danse, violence désamorcée — c’est d’ailleurs là qu’est né le hip-hop il y a quarante ans.
L’Amérique du sud, héritière d’Augusto Boal, théoricien et praticien du théâtre de l’opprimé, est porteuse de projets assez magiques qui prônent la réussite sociale par l’art comme El Sistema au Venezuela, école orchestre d’un quartier de Caracas. La compagnie Membros se distingue par la recherche d’un véritable langage artistique qui favorise la singularité des danseurs et leur donne la possibilité de devenir maîtres de leur propre danse.

Texte : Coliné Trouvé
Photo : Dominik Fricker

Medo, dernier volet de la trilogie de la violence + Flores par la Cie Membros : jusqu’au 12/03 au Théâtre du Merlan (avenue Raimu, 14e). Rens. 04 91 11 19 20 / www.merlan.org