L’interview Raphaël De Vivo

L’interview Raphaël De Vivo

A quelques heures de l’ouverture de la vingtième édition du festival « Les musiques » à Marseille, rencontre avec son directeur, Raphaël De Vivo, dont l’enthousiasme pour les musiques d’aujourd’hui ne tarit pas….

A quelques heures de l’ouverture de la vingtième édition du festival « Les musiques » à Marseille, rencontre avec son directeur, Raphaël De Vivo, dont l’enthousiasme pour les musiques d’aujourd’hui ne tarit pas.

Raphaël De Vivo, vous dirigez depuis vingt ans le festival international des musiques d’aujourd’hui « Les musiques », ainsi que l’institution dont il émane, le Groupe de musique expérimentale de Marseille, devenu sous votre impulsion en 1997, Centre national de création musicale. Quel a été le déclencheur d’un tel engagement dans votre parcours ?
Une nécessité existentielle. Le déclencheur principal a été mon intérêt profond pour la musique et plus largement pour l’art, dont les arts plastiques et visuels qui font partie de ma formation initiale. Cette passion s’est inscrite tout naturellement dans une démarche de professionnalisation pour devenir acteur dans ce domaine. Le festival est un enjeu culturel. Il me permet de réaliser des événements artistiques et de poursuivre une réflexion car, dans la conception de la programmation, je pars toujours des questions esthétiques que posent le langage et les formes musicales dans leur évolution. C’est la raison d’être du GMEM qui, à travers la recherche, développe des outils pour accompagner la création et offre les moyens de sa production et de sa diffusion. Le festival est une conséquence de préoccupations artistiques.

Vous affirmez dans l’édito du programme du festival de cette année qu’ « en 1987, il y avait nécessité de créer un festival de musique contemporaine à Marseille. » Sur quelles observations mais aussi sur quelles convictions s’appuyait ce diagnostic ?
J’ai pris la direction du GMEM un an avant la création du festival. Il y avait à ce moment-là un besoin de redéfinir une politique artistique pour le GMEM qui était dans une période de restructuration. Nous avons accueilli de nouveaux compositeurs pour élargir la création à d’autres formes esthétiques que l’électroacoustique et favoriser l’expérimentation, la relation entre tradition et modernité, l’innovation. Ce changement a suscité une telle augmentation des productions que les concerts de saison ne suffisaient plus à leur diffusion. D’autant plus qu’un des objectifs du GMEM était également de faire découvrir à Marseille des productions venues d’ailleurs. L’idée de créer un festival est née. La ville avait développé des potentialités importantes du point de vue de l’intérêt du public. Dans la carte mouvante des lieux de diffusion de la musique dite contemporaine en France, il me semblait important qu’à Marseille, deuxième ville française, existe un événement musical d’envergure dans ce domaine. Même si les concerts du GMEM avaient toujours bénéficié d’un accompagnement médiatique local et national relativement conséquent, un festival permettait une plus grande prise en compte. C’était aussi un pari un peu fou, qui était loin d’être gagné… __ Quelle était la situation de la musique contemporaine à Marseille à cette époque ?__
Une sensibilité à cette musique existait mais le terrain était en friche. Le seul organisme de diffusion de musique contemporaine à Marseille était le GMEM, créé en 1972 et dirigé par le compositeur Georges Boeuf. Ses activités ont depuis généré directement ou indirectement la naissance et l’émergence de nouveaux ensembles grâce à la programmation de ses concerts et aux différentes formes de soutien et de collaborations.

Peut-on parler de nécessité de cette musique contemporaine auprès du public ?
Il y a nécessité de l’art. Comme je le dis dans mon édito, l’art est le fruit de l’imagination et génère de l’imaginaire. Cela se pose en axiome. On peut essayer de me démontrer le contraire mais ce sera difficile parce que j’y crois !

Vous considérez comme prioritaire la synergie régionale et les échanges avec d’autres festivals français et européens. Quel bilan faites-vous de la construction de ces relations artistiques ?
Très bon. Au niveau de la synergie régionale, le GMEM, en tant que Centre national, joue son rôle, en accordant toujours une place dans sa programmation pour des ensembles de qualité et des compositeurs implantés dans cette région. Les relations avec les autres festivals nationaux se font naturellement autour de coproductions comme par exemple, avec le festival de Lyon, Musiques en scène, ou celui de Strasbourg, Musica. Les liens établis au niveau international ont permis à notre équipe de réalisation de se rendre déjà sur les cinq continents. Nous partons d’ailleurs, juste après le festival, au Brésil pour trois journées d’ateliers et un concert. Le GMEM étant un lieu de création et de production, sa position est le plus souvent de recevoir des propositions artistiques. Il n’y a pas de systématisme dans la programmation. Je le répète, les choix sont faits en fonction de critères esthétiques, de désir de découvertes et de faire ensemble. La seule obligation est l’exigence dans la qualité d’interprétation et de représentation. Tout le reste est part d’aventure permanente.

Du 5 au 22 mai prochains seront présentées 80 œuvres de musique contemporaine, dont 17 créations, incluant parfois la danse, le théâtre ou la vidéo. L’investigation sur le langage et les formes musicales étant au cœur de vos préoccupations, quelles sont « les musiques » du festival ?
Ce qui nourrit la programmation du festival, c’est toute l’évolution de la musique classique qu’on appelle aujourd’hui contemporaine, avec prioritairement, l’objectif de la création. L’ambition du festival est d’être une sorte d’instantané de ce qu’est la musique aujourd’hui : « voilà, grosso modo, où on en est. On vient de là, on va là… » Cela donne à toutes les formes musicales présentées une cohérence, du quatuor à cordes Esteves Leonis du début du festival au concert final de l’Orchestre régional de Cannes, en passant par le spectacle multimédia du compositeur Jean-Baptiste Barrière. Il existe des articulations. Je prends l’exemple de la présence de la musique balinaise dans le festival. J’ai voulu construire une soirée autour de la percussion en proposant trois concerts : le trio espagnol Amorès, l’ensemble Symblêma Percussions de la région, et le gamelan, instrument balinais composé de la juxtaposition de plusieurs éléments de percussion. Celui-ci a inspiré des compositeurs, notamment américains, comme Steve Reich ou Terry Riley et la musique répétitive. Un autre exemple : le concert intitulé « Face à la mer » présente les différentes formes de diffusion musicale, acoustique (octuor, vibraphone solo), mixte (saxophone et électronique) et électroacoustique (hauts-parleurs autour du public). Cette vingtième édition est un condensé des aventures musicales qui ont émergé dans cette période, qui existaient avant ou qui continuent à émerger, en lien avec une tradition multiple, classique, électroacoustique, extra-européenne, etc. Elle est le reflet du désir de tenter des expériences, de se mettre quelques fois en déséquilibre, y compris avec le public.

Georges Boeuf, président du festival, salue la fidélité, l’enthousiasme et la qualité de réception du public qui a suivi cette aventure musicale depuis vingt ans. Quelle est votre conception du rapport du public à la création musicale – ou de ce qu’il devrait être ?
Il s’agit tout d’abord de proposer des contenus artistiques sans concession de qualité et sans pour autant sacrifier au plaisir. Ce n’est pas du jansénisme ! La question de la socialisation de la proposition se pose ensuite : comment présenter un concert pour qu’il n’y ait pas d’inquiétude ou d’attitude de rejet par rapport à l’Inconnu. La composition éclectique du programme permet à différentes personnes de s’y retrouver. Nous avons fait, il y a quelques années, une étude sur le public du festival : la tranche d’âge moyenne est entre 25 et 35 ans. Le public qui vient régulièrement aux concerts constitue un pourcentage de 30 % ; 70 % des autres se déterminent par rapport à des choix de programmation. L’origine du public est très diverse. Un ami compositeur italien m’exprimait que ce qui le surprenait dans ce festival, c’était de voir de jeunes rockers côtoyer des personnes en costume cravate ! Une fois le public dans la salle, c’est le moment fort du rendez-vous. L’œuvre est ce qu’elle est. Tout dépend de ce qui se passe du côté des interprètes. J’ai le souvenir incroyable de la création d’une œuvre de Jean Barraqué, musique sérielle parmi les sériels, interprétée par Les percussions de Strasbourg et dirigée par Lorraine Vaillancourt. Salle bondée, silence absolu, musique incroyablement complexe. Fin du concert : le public a non seulement applaudi mais a tapé des pieds sur les gradins. C’était un choc. Le rapport intime qu’il peut y avoir entre des musiciens qui jouent et le public, ce moment de magie, c’est cela la quête permanente, un des moteurs du festival.

En tant que directeur d’une institution culturelle, pensez-vous que la création musicale ait besoin, aujourd’hui, de nouvelles formes de support, tant dans son mode de financement que pour sa production et sa diffusion ?
Il faudrait bien sûr que l’engagement du financement de l’art et de la culture soit plus déterminé. Il y a ce qui est de l’ordre de l’évolution interne de la musique – tout ce que j’ai pu dire de son histoire – et puis, il y a l’évolution sociologique, économique et des modes de communication. A chaque fois se pose la question de la place de l’art. S’interroger, c’est déjà s’inscrire dans un processus d’évolution. La création a certainement besoin de plus de moyens mais surtout mieux adaptés à ses nouvelles formes, afin que des œuvres en gestation, conséquences de l’évolution des choses, voient le jour. J’ajoute qu’il faut absolument faire de plus en plus le lien entre la production, la diffusion et l’enseignement artistique, ce à quoi s’attache le Centre national de création musicale de Marseille.

Au regard de ces vingt ans d’expérience dans le domaine des musiques d’aujourd’hui, souhaitez-vous renouveler votre engagement ?
Bien sûr, je signe pour vingt ans ! Dans la mesure où j’ai des idées, du désir et de l’énergie… et pour le moment, j’en ai encore !

Propos recueillis par Géraldine Pourrat
Photo : Laure Chaminas

Jusqu’au 22/05 à Marseille Rens. 04 96 20 60 10 / www.gmem.org