L’Interview : Nicolas Thirion

L’Interview : Nicolas Thirion

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Puisqu’il n’y a pas que Marseille dans la vie, et pour ne plus être à l’ouest, nous avons voulu en savoir plus sur Nicolas Thirion, musicien et directeur de la GEX (Générale d’Expérimentation), collectif dijonnais invité dans le cadre du festival Sons de Plateaux.

Commençons par les présentations…
Je suis d’un côté directeur d’une structure dédiée à la création musicale, Why Note, avec laquelle j’organise des évènements à Dijon et en Bourgogne, qui vont des musiques contemporaines aux formes bizarres de la pop et du rock. Et de l’autre, musicien dans des groupes pop et dans d’autres formes plus expérimentales, contemporaines.

Qu’est-ce que la Générale d’Expérimentation ?
C’est un collectif initié en 2009 réunissant des musiciens de la scène bourguignonne qui avaient en commun d’être sur des musiques de traverses, dans des aventures musicales singulières.

Peut-on interpréter Le Mur du Son, projet à l’honneur du festival, comme un pied de nez à la technologique ?
C’est un projet émanant de deux membres de la GEX, qui apparaîtra quant à elle un peu en guest. Il y a effectivement dans le collectif une dimension lo-fi, DIY. Nous sommes des gens de notre époque, entourés d’ordinateurs, de téléphones mobiles, et nous aimons jouer avec ces références à travers le recyclage et la récupération, ces solutions alternatives. Travaillant dans la musique contemporaine, à connotation high-tech, j’apprécie d’autant plus ces pratiques avec leur côté punk.

Considérez-vous le GRIM comme l’alter ego de votre structure dijonnaise ?
C’est surtout un modèle. Jean-Marc Montera est un super musicien reconnu mondialement et qui a joué avec les meilleurs. Ce n’est pas un alter ego, mais une structure que j’admire avec beaucoup de respect.

Pensez-vous que le fait de se fédérer en tant que musiciens est quelque chose qui se fait de plus en plus ?
J’en ai l’impression. Dans le jazz, ça se fait depuis très longtemps. On aime bien cette idée, car il n’y a pas seulement une dimension musicale, mais également une dimension humaine et politique. On se réunit pour faire de la musique parce qu’on a les mêmes goûts musicaux, et l’on se rend compte par la suite que l’on a également la même passion pour le vin bio, les mêmes engagements politiques, etc. On observe des rapports entre les parcours artistiques, la recherche musicale et les parcours de vie personnels. Tout cela concourt à un renouvellement de la question : qu’est-ce que ça veut dire, la culture ensemble ?

Avez-vous fidélisé un public sur ces musiques à Dijon ?
Oui. On organise des évènements depuis 96, et puis Dijon, c’est relativement petit, donc on est très vu, très identifié. Mais en même temps, nous restons dans la création et cherchons continuellement de nouvelles choses, donc on joue forcément avec l’habitude des gens, parfois à rebours. On ne sera jamais grand public, mais ce n’est pas notre ambition.

Que dire de la vie culturelle à Dijon ?
C’est une petite ville. Elle compte 150 000 habitants, mais possède une offre culturelle très importante dans tous les domaines, notamment dans la musique. Cette ville a beaucoup changé en dix ans, et est très agréable à vivre culturellement.

Est-il vrai que les musiques expérimentales désacralisent de plus en plus le travail de studio pour dévoiler leurs processus de création ?
De la musique contemporaine à la musique improvisée, nous avons affaire à des musiques qui se vivent et qui se voient. D’autant plus qu’en général, nous ne sommes pas sur des modes de jeux habituels, et que l’on ne sait pas trop ce que fait le musicien. Ce qui peut avoir pour conséquence d’obscurcir un disque. Le geste instrument est très important aujourd’hui. Le processus de création fait de plus en plus partie de l’art. En matière de musique électronique, il est par exemple difficile de distinguer la part du musicien et celle de la machine. Je sais que les musiques concrètes, électroniques et contemporaines ont également souffert du fait qu’elles paraissaient désincarnées, venir de haut.

Comment avez-vous commencé à faire de la musique ?
J’ai commencé la guitare à quinze ans pour séduire les filles. (rires)

Quelle a été votre première rencontre avec la musique expérimentale ?
Ça a été un long processus. J’y suis venu par la cold wave et la musique industrielle. Petit à petit, je suis passé de Joy Division à Stockhausen. Ça m’a paru être un trajet naturel. Mon postulat de départ, c’était donc la post-pop et l’émergence des musiques techno.

Percevez-vous l’histoire de la musique comme quelque chose de continu ou bien comme une suite de ruptures ?
C’est une question compliquée. Les deux. Il est question de générations qui s’entrecroisent. Le fait lorsque l’on est jeune de se sentir en rupture avec ses parents est logique et super sain. J’ai été très marqué par l’émergence de la techno dans les années 80/90 et à cette époque-là, personne ne comprenait ce qu’il se passait. Beaucoup de gens ne considéraient pas ça comme de la musique. Finalement, vingt ans après, elle est complètement intégrée à la pub, la TV, partout. Mais je ne verrai peut-être pas venir la nouvelle grande vague. A chaque génération ses ruptures et sa manière de se différencier. Après, quand on vieillit, la culture s’ouvre et on voit les choses à travers les âges.

Percevez-vous la musique comme un ensemble ou bien une multitude de genres ?
Je pense plus la musique en termes de gens qui la font. Il m’arrive de rencontrer des personnes qui jouent dans un orchestre de musique classique, mais qui font aussi partie d’un groupe d’improvisation, qui font aussi du rock’n’roll et qui chantent même du death metal. On a souvent l’impression que les musiciens sont monomaniaques, alors que lorsqu’on les rencontre, on s’aperçoit que ce n’est pas le cas. En 2012, la culture des musiciens est très ouverte, beaucoup plus qu’il y a vingt ans. C’est aujourd’hui assez naturel pour un chanteur baroque d’adorer le death metal. Les deux mondes ne sont pas si différents.

Que retenez-vous de la décennie musicale qui vient de s’écouler ?
On a accès à une culture beaucoup plus large qu’à l’époque, et c’est très bien. Par contre, je suis super fatigué de la relecture continuelle des années 80. On n’arrive pas à en sortir, et pas seulement au niveau musical. Nous vivons une période de forte crise. Les politiques finissent par nous faire peur et l’on se réfugie dans ce que l’on connaît déjà.

Que pensez-vous de MP 2013 ?
Je vois ça de très loin. Je n’ai jamais vraiment compris à quoi servait ce genre de choses. Si ça peut apporter des financements pour la culture, c’est super, après il ne faut pas que ça soit de nouveaux éléments qui mettent à mal le travail de fond effectué depuis longtemps, parce que je crois vraiment que la culture est un travail de proximité, de terrain, à envisager sur du long terme.

L’affiche de l’un de vos évènements représentait des portées musicales vierges au-dessus desquelles était indiqué : « Composez, dessinez, taguez, peinturlurez, trafiquez ». Peut-on y voir une forme de désacralisation ?

C’est une manière de montrer que nos musiques étranges sont marrantes, ludiques et inscrites dans la ville. On a collé nos affiches et on a eu beaucoup de retours, c’est l’avantage d’être dans une petit ville comme Dijon. On a donc pu jouer « le son de Dijon »…

Propos recueillis par Jordan Saïsset

En concert avec la Générale d’Expérimentation : le 23 à Montévidéo (3 Impasse Monétvidéo, 6e). Rens. www.generaledexperimentation.com / www.grim-marseille.com