L’Interview : Michel Samson & Gilles Suzanne

L’Interview : Michel Samson & Gilles Suzanne

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La parution de A Fond de Cale. 1917-2011 : un siècle de jazz à Marseille écrit par Michel Samson, ancien correspondant local pour Le Monde, et Gilles Suzanne, maître de conférence en esthétique, vient combler un manque dans la reconnaissance de notre cité comme éminemment jazz. Dans cet ouvrage fourmillant d’anecdotes et débordant d’émotion, les deux auteurs n’ont de cesse de rappeler que rien n’est jamais acquis pour les partisans de la note bleue. Plus qu’une simple chronique, ce livre valait bien une rencontre.

Quel est le point de départ du livre ?
GS :
Nous n’avions pas d’archives personnelles, tout au plus quelques entretiens datant d’une dizaine d’années, mais ils n’ont pas vraiment servi de point de départ. Nous avons fourni un gros travail de recherche, qui nous a menés jusqu’à Paris pour y trouver, bien souvent, des revues culturelles et artistiques de l’entre-deux-guerres éditées à Marseille. Je pense à Artistica, qui proposait beaucoup de critiques de spectacles, de jazz notamment…
MS : Le seul truc dont on était sûr, c’est qu’on ne ferait pas une série de biographies de musiciens mais qu’on raconterait l’histoire d’un milieu. Nous voulions ancrer le jazz à Marseille, et pas ailleurs.

Quelle est la genèse du jazz à Marseille ?
MS :
On sait, grâce au poète Louis Brauquier, et au critique d’art Walter Benjamin, qu’il y avait une musique spécifique qui résonnait au Panier…
GS : On sait aussi que des marins noirs, confinés aux plus sales boulots sur le port, essayaient de monter des orchestres afin d’échapper à leur labeur de fond de cale. Ce qui est sûr, c’est que ce courant-là, à l’époque, contrairement aux musiques de revue ou de cabaret, était considéré comme une musique mineure, très minoritaire. Une musique souvent associée à une image dégradée et dégradante. La musique des noirs, des noirs du quartier de la Fosse, en bas du Panier. Un milieu de prostituées, de marins et de bandits. Une musique longtemps associée à la danse, un art qui permettait d’oublier les boucheries de 14-18, mais également lui-même associé à la folie, l’hystérie…
MS : A l’épilepsie aussi ! Gérard Noiriel relate que l’on parlait, dès la fin du XIXe siècle à Paris, de mouvements épileptiques dans les danses des noirs.

Cette culture de l’oralité n’est-elle pas mise à mal par des institutions comme le Conservatoire et sa classe de jazz ?
GS :
Non, dès sa fondation en 64, cette classe a préservé la culture de l’improvisation. Elle a également élevé le niveau technique des musiciens.
MS : La transmission orale, c’est d’abord une pratique collective. Mais c’est aussi une pédagogie de l’échec dans les bœufs. Marcel Zanini, par exemple, ne disait rien de ses ficelles techniques, comme Louis Armstrong, qui mettait un mouchoir sur ses pistons afin que l’on ne lui pique pas son doigté.
GS : Le Conservatoire ne conserve pas la musique, mais le mode d’apprentissage collectif du jazz. Par contre, il en résulte plus de musiciens, mais pas plus de concerts…

Le jazz est né de la ségrégation. Or, on parle tout le temps du métissage marseillais. N’est-ce pas paradoxal ?
MS :
Marseille est une ville portuaire, intégrée depuis longtemps dans l’économie mondiale, avec des spectacles qui vont avec. Qu’il s’agisse, par le passé, des noirs du Panier ou bien du music-hall.
GS : Il faudrait inverser la question, et se demander si ce n’est pas le jazz qui a apporté le métissage à Marseille !

Propos recueillis par Laurent Dussutour

Dans les bacs : A fond de cale. 1917-2011 : un siècle de jazz à Marseille (Wildproject) – Voir Millefeuilles.
Rens. www.wildproject.fr