L’interview : Laurent Petit (A.N.P.U.)

L’interview : Laurent Petit (A.N.P.U.)

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Ancien ingénieur et performeur, Laurent Petit est aujourd’hui psychanalyste urbain. Avec son équipe d’experts et sa blouse blanche, il sillonne la France, l’Europe et bientôt le reste du monde afin d’allonger les villes sur son divan, d’en déceler les névroses et de proposer les traitements appropriés.

Comment devient-on psychanalyste urbain ?
J’étais ingénieur en télécoms ; j’ai tenu quelques mois… Ayant fait du théâtre durant mes études, je me suis ensuite tourné vers le spectacle, notamment en devenant clown de supermarché. Une période sympa ! Et puis j’ai rencontré Eric Heilmann qui m’a fait part de ses travaux sur les liens entre Mickey, la souris de Disney, et Michel-Ange. Etant donné que j’avais fait des études scientifiques, il m’a demandé de l’accompagner dans la présentation de ses recherches. J’ai tout de suite enfilé la blouse blanche ! Par ailleurs, j’ai organisé la finale du championnat de France de psychanalyse, ce qui m’a poussé à m’intéresser de très près au sujet et à imaginer des psychanalyses de villes. Ma rencontre avec le collectif d’architectes EXZYT a permis de concrétiser l’idée.

Comment s’est passée la première psychanalyse urbaine ?
La première patiente fut Vierzon. Je ne vous cache pas qu’au début, ça ne s’est pas très bien déroulé, notre méthode n’étant pas vraiment au point. Mais au fur et à mesure, on a amélioré notre procédé, qui est bien rodé à présent. On est passé à Tours, Saint-Nazaire… On a même fait les Côtes d’Armor, sans compter quelques passages à l’étranger.

Justement, comment procédez-vous ?
Il faut savoir que l’on ne propose pas nos services, ce sont les villes qui nous contactent. On y rencontre les responsables du patrimoine, des experts de l’urbanisation ainsi que les habitants.
On discute, on fait en sorte de les laisser parler librement et ce sont eux qui, en nous parlant de leur ville, parfois même en nous montrant des photos, font ressortir les névroses de la cité. Mon équipe est composée d’architectes, dont Charles Altorffer, ce qui nous permet d’avoir un regard pertinent sur le milieu urbain et de répondre au mieux aux problèmes soulevés par les habitants.

Quelles névroses avez-vous détectées à Marseille ?
Tout d’abord, il y a le syndrome de l’île : parlez avec un Marseillais, et au bout de deux minutes, quel que soit le sujet, il mettra Marseille sur le tapis. Marseille est à part dans l’esprit des gens. C’est une ville fossé ; on retrouve d’ailleurs le terme dans l’appellation de « cité phocéenne ». Ensuite, il y a le problème des voitures : il y a une très mauvaise circulation. Et puis c’est une ville qui n’est pas en bons termes avec ses voisins, notamment à cause de la peste de 1720, mal endiguée par les responsables de l’époque et qui a contaminé la Provence.

Quels traitements avez-vous proposés ?
En ce qui concerne la circulation, on avait proposé que les Marseillais fassent don de leurs voitures, que celles-ci soient compressées et que les blocs ainsi produits soient utilisés pour construire un nouveau moyen de transport en commun. Pour le problème de voisinage et de fossé, on a proposé, dans le cadre de Marseille Provence 2013, de recréer l’épisode de la peste : une grève des éboueurs aurait planté le décor, Bernard Tapie aurait fait le chef et on aurait vu ce que cela donne ! Mais ni l’un ni l’autre des traitements n’ont été acceptés ; je ne comprends pas pourquoi…

On sent une certaine déception…
Cela fait trois ans que l’on travaille sur Marseille et ce n’est pas facile de faire accepter nos propositions ; c’est dommage. On essaie de trouver des solutions pour que la ville aille mieux mais les décideurs ne veulent pas suivre nos traitements. C’est comme travailler dans le vide, ça n’aboutit à rien… Mais on continue quand même, on va débuter une grande enquête dans les villes des alentours.

Pourquoi présenter les résultats d’Alger à Marseille ?
En fait, on n’a pas vraiment eu le choix. La liberté d’expression sur place n’est pas franchement répandue et organiser une présentation là-bas aurait été très compliqué. Julie Kretzschmar des Bancs Publics nous a proposé de présenter le résultat de nos recherches à Marseille, de l’autre côté de la Méditerranée.

Une idée de vos futures patientes ?
S’occuper d’Alger nous fait passer à une étape supérieure. En ce moment, on pense à Beyrouth, à Jérusalem et ensuite, pourquoi pas la Russie, l’Asie, l’Afrique ?

Propos recueillis par Aileen Orain
Photo : Charles Altorffer

Alger Reine par l’A.N.P.U. (Agence nationale de psychanalyse urbaine) : le 5 à la Compagnie (19 rue Francis de Pressensé, 1er).
Rens. 04 91 90 04 26 / www.anpu.fr