L’Interview : Frédéric Flamand

L’Interview : Frédéric Flamand

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Rencontre avec le directeur et chorégraphe du BNM qui, parallèlement à la création mondiale d’Hôtel Folia de Michèle Noiret à l’Opéra, présente au Théâtre de la Criée Le Trouble de Narcisse, une réflexion sur la prise de conscience du mensonge systématique de l’image.

La question de l’image de soi est un thème récurrent dans votre travail…
Notre société est narcissique, c’est un phénomène encouragé par les médias où l’image est plus importante que le réel. La mythologie domine le monde et au regard du spectacle vivant, cela amène à parler de différents types de corps : le corps image, le corps miroir, le corps schizophrène.

Vous travaillez souvent avec des architectes (Jean Nouvel, Dominique Perrault, Diller+Scofidio…). Pourquoi cette nécessité ?

Je dis souvent aux architectes que je ne suis pas un client. J’aime travailler avec des concepts et nous partageons nos recherches. Il y a une interaction, une interrogation sur l’espace urbain et le théâtre à réinventer. Il y a aussi des questions sur le statut du corps dans la ville et les systèmes de normalisation — le flux, le réseau, la mondialisation —, et son paradoxe : les frontières, les contrôles d’identité, la fragmentation. Nous vivons le triomphe de l’accélération et de nouvelles mythologies intègrent le monde contemporain, parce que les mythes sont aussi des systèmes de communication.

Pourquoi avoir choisi Michèle Noiret comme chorégraphe associée du BNM ?
C’est une personne que je connais depuis longtemps et son père, Joseph Noiret, est l’inventeur du mouvement Cobra avec Pierre Alechinsky. Elle travaille sur une danse-cinéma qui m’intéresse par rapport à mon travail : le reflet, le virtuel, l’apparition, la disparition, les murs qui bougent. On pense à Hitchcock, aux tableaux d’Edward Hopper avec ces personnages perdus dans l’espace.

Suite à l’incendie qui a frappé l’entrepôt abritant les décors du BNM, vous avez notamment fait appel à votre assistant, Ysuyuki Endo, qui présente Mayday, Mayday, Mayday, This is…, pour assurer la première partie à la Criée…
Il était au Japon au moment du tremblement de terre. Il en est revenu évidement choqué et a souhaité dans l’urgence créer une pièce pour une soirée au profit du Japon. « Mayday » est le terme employé dans les communications radiophoniques pour parler d’une catastrophe. La rapidité de cette création donne un sentiment de fraîcheur et de spontanéité, où chaque danseur a choisi un costume qu’il désirait porter, parmi les trois mille que compte le BNM.

Que pensez-vous de la distance entre votre travail parfois spectaculaire et un mouvement de la danse belge plus proche de l’individu et incarné par Alain Platel, Peeping Tom et Jan Lawers ?
Il y a beaucoup de mouvements en Belgique, qui est une scène internationale. Ce n’est pas une stratégie de ma part de travailler avec des architectes. Je me pose des questions qui dépassent largement celle de la danse, comme la question du non-lieu avec la ville monde et le travail que j’ai mené avec Dominique Perrault. C’est bien de ne pas faire partie d’une mode. Les mouvements peuvent se recouper, il faut regarder les choses avec de la distance. Quel que soit le créateur, on parle du corps et la vision du corps n’est pas la même en Afrique qu’aux Etats-Unis. C’est vrai que mes créations sont spectaculaires, mais elles renvoient à l’intime.

Vous n’avez jamais rêvé d’une scène vide où il ne resterait que le mouvement ?
Quand on travaille sans les accessoires, on se rend compte qu’il y a déjà des choses intéressantes. Mais on n’est pas dans un monde où l’homme vit seul dans la nature. On vit dans un monde de prothèses, où la liberté est liée à la contrainte, d’où ce travail avec des structures et des concepts. C’est une articulation du monde dans lequel on vit.

Avez vous déjà acté un programme pour Marseille 2013 ?
J’ai eu énormément de contacts chaleureux. J’ai envie de faire descendre la danse de son piédestal et de l’emmener dans des coins inhabituels, les calanques, une usine, de sortir de Marseille avec une structure mobile en abordant le thème du sport. C’est une manière critique et jubilatoire de questionner le corps et de le désacraliser. Je souhaite ouvrir le BNM vers l’extérieur en allant dans petites villes comme La Ciotat ou Martigues et en même temps, réutiliser le parc du BNM.

Propos recueillis par Karim Grandi-Baupain
Photo : pipitone

Hôtel Folia + Tempo Vicino : les 6 & 7/05 à l’Opéra de Marseille (2 Rue Molière, 1er). Rens. 04 91 55 11 10 / opera.marseille.fr
Le Trouble de Narcisse + Mayday, Mayday, Mayday, This is… : du 11 au 14/05 au TNM La Criée (30 Quai Rive Neuve, 7e). Rens. 04 91 54 70 54 / www.theatre-lacriee.com