La jeunesse réagit !

Librairies indépendantes : état des lieux

Livre et bataille

 

Entre résistance et passion, les librairies indépendantes marseillaises ne sont pas près de tourner la page.

 

Préface
En 2013, la vie d’un livre à Marseille a ressemblé à un roman enchaînant les rebondissements, entre ouverture de nouvelles librairies et fermeture du Virgin Megastore, sur fond de proposition de loi « anti-Amazon ». Donner la parole à des librairies indépendantes locales devenait alors plus qu’une évidence ; une nécessité.
Plusieurs d’entre elles, choisies pour représenter une diversité de propositions et de localisations géographiques, ont été sollicitées. Quatre ont eu le temps de nous répondre : Maupetit (Damien Bouticourt), Histoire de l’œil (Nadia Champesme), L’Attrape Mots (Agnès Gateff) et L’Odeur du Temps (Roland Alberto).

 

Chapitre I.

Au-delà d’une définition classique impliquant la non appartenance à un éditeur, un distributeur, une chaîne ou une grande surface, que signifie, pour vous, le métier de libraire indépendant ?
Cette « non appartenance » est tout d’abord illusoire, ne serait-ce que par les liens avec des établissements bancaires ayant souvent participé au financement d’un projet (Damien). Pour tous, la véritable indépendance est à chercher ailleurs ; sur l’autonomie d’assortiment, l’animation très personnelle de la librairie, l’engagement dans des manifestations locales… Quand Nadia parle d’image identitaire, d’adaptabilité et de réactivité, Roland va plus loin en avançant la liberté vis-à-vis des politiques éditoriales, des prescriptions extérieures en tout genre (médiatiques, universitaires par exemple) et des exigences de profits, de rentabilité des actionnaires. Cette implication politique fait même du libraire un résistant pour Agnès, qui reconnaît le caractère presque utopiste du métier entouré de stress, de difficultés financières, de surproduction éditoriale et… de stress.

 

Chapitre II.

A l’échelle nationale, une étude récente sur les librairies indépendantes (1) a constaté la baisse des ventes de livres depuis 2009, l’accumulation de stocks ou encore des problèmes récurrents de trésorerie. Où sont, selon vous, les vrais problèmes, et quel soutien attendez-vous ?
Les difficultés sont multiples et il n’existe pas de réponse unique. Tous les libraires interrogés s’accordent néanmoins sur le problème des charges élevées, des salaires aux loyers en passant par les transports. Ces coûts ne faiblissent pas alors même que les ventes varient d’un mois à l’autre et que tous les livres ont été achetés par le libraire. La gestion optimale des stocks est un travail quotidien pour ne pas se retrouver avec des problèmes insurmontables de trésorerie et un banquier moins conciliant. La création du Fonds d’avance de trésorerie est donc plus que bienvenue. Mais cela ne suffit pas. Un dispositif similaire à l’échelon local serait nécessaire avec des prêts à taux zéro, remboursables à moyen terme par exemple (Nadia) ; même si les librairies n’ont pas vocation à être constamment sous perfusion de subventions (Agnès).
Plus généralement, c’est sur la loi sur le prix unique du livre (même prix initial d’un ouvrage quel que soit son mode de distribution) qu’il faudrait communiquer, comme l’appellent aussi de leurs vœux Damien et Nadia. Car offrir les frais de port tout en proposant un rabais de 5 % sur ce prix unique fait bien office de concurrence déloyale. A ce titre, la proposition de loi « Anti-Amazon » est une très bonne chose.
Les personnes interviewées ne sont d’ailleurs pas avares en propositions pour améliorer la situation des libraires indépendants : soutien à l’intégralité du « monde » du livre, de sa matière première intellectuelle aux éditeurs, aide pour compenser le poids exorbitant des loyers en centre-ville, ou encore application au livre numérique du taux de TVA standard (20 %), supérieur à celui du livre papier (5,5%) pour Roland, soutien aux formations en alternance au métier de libraire pour Damien, et augmentation des remises libraires par les éditeurs pour Agnès.

 

Chapitre III.

Quelques évènements locaux ont marqué l’année 2013 dans votre secteur. On pense en particulier à l’ouverture de trois nouvelles librairies (la Salle des Machines au J1 et à la Friche Belle de Mai, et une librairie interne au MuCEM) et à la fermeture du Virgin Megastore. Quelles en ont été les répercussions sur votre propre activité ?
L’ouverture de nouvelles librairies ne peut qu’être saluée par la profession ; ne serait-ce que pour la dynamique que cela engendre dans le secteur et qu’il y a de la place pour tous. Inversement, concernant le Virgin Megastore, toute librairie qui se ferme entraîne une perte de lecteurs attachés à des achats à proximité de leur logement. Le report vers d’autres librairies plus éloignées n’est pas évident ni automatique (Agnès) et il incombe aux libraires  de faire revenir ces clients perdus par la pertinence de leurs choix et la qualité de leur accueil, de leurs conseils (Damien). Même si l’on ajoute la fermeture récente de la librairie Regard à la Vieille Charité, 2013 restera une bonne année pour les indépendants (Nadia).

 

Chapitre IV.

La plupart des librairies indépendantes marseillaises sont regroupées au sein de l’association Libraires à Marseille. Le salut pourrait-il venir d’une initiative commune telle que la mutualisation des stocks en ligne avec géolocalisation, comme cela s’est réalisé dans le Rhin ?
C’est en chœur que nos libraires indépendants répondent ici qu’une telle initiative est en préparation depuis un an. La géolocalisation permettra de retrouver le sens du « site », de ramener l’internaute du virtuel (internet) au réel (la librairie) pour Roland. En attendant, la plupart des librairies se trouvent déjà sur le site www.placedeslibrairies.fr, avec la possibilité de commander ou réserver en ligne des ouvrages (Nadia). Par ailleurs, chacun aiguille déjà ses clients qui recherchent un ouvrage pas immédiatement disponible chez lui vers le libraire qui le possède (Damien). Et quand il s’agit d’initiatives plus individuelles, c’est à nouveau vers le virtuel que les améliorations se font : mise à jour du site internet et ouverture d’un compte tweeter chez les uns (Nadia) et travail continu sur le fichier mail avec newsletter sous forme de billet d’humeur chez d’autres (Agnès).

 

Une bonne résolution pour 2014 en guise de conclusion ?
Les vœux exprimés ici oscillent entre le desserrement de l’étau des charges (de loyers pour Roland, de travail pour Agnès) et l’entretien de la passion du métier. Cette dernière se fera par le partage de coups de cœur, le développement d’actions sur des territoires peu fournis en offre culturelle (Nadia), la création d’une collaboration inédite et plus interactive avec les clients par un club de lecture commentant en avant-première des livres (Damien).

Guillaume Arias

 

• Maupetit : 142 La Canebière, 1er. Rens. 04 91 36 50 50 / www.maupetitlibraire.fr

• Histoire de l’œil : 25 rue Fontange, 6e. Rens. 04 91 48 29 92 / www.histoiredeloeil.com

• L’Attrape Mots : 212 rue Paradis, 6e. Rens. 04 91 57 08 34

• L’Odeur du Temps : 35 rue Pavillon, 1er. Rens. 04 91 54 81 56 / http://odeurdutemps.com/

Pour en savoir plus, cf. l’association Libraires à Marseille : 04 96 12 43 42 / www.librairie-paca.com / contact@librairesamarseille.com

 

Notes
  1. XERFI – La situation économique et financière des librairies indépendantes. Juin 2013.[]