L’Enlèvement au Sérail de Wolfgang Amadeus Mozart © Alain Hanel

L’Enlèvement au Sérail de Wolfgang Amadeus Mozart

Les mélodies du bonheur

 

Enlèvement au sérail. Complot déjoué. Coupables graciés. Un fait-divers en Turquie fait la Une de l’Opéra de Marseille, du 19 au 26 avril.

 

 

Au palais de Sélim, Belmonte et son valet Pedrillo ont tenté de libérer les deux captives Constance et Blonde, mais le redoutable Osmin veillait sur le sérail de son maître. À la surprise générale, le Pacha libère les quatre Occidentaux.

Fable idéaliste ? Divertissante pantalonnade ? Drame universel ? Turquerie à la mode ? Tous les registres de cet Enlèvement miroitent dans le prisme de la musique de Mozart et sont transfigurés par son pouvoir d’ébranlement émotionnel. Créée en 1782, l’œuvre reçoit un triomphe retentissant et restera la plus populaire du vivant d’Amadeus qui, à 26 ans, se voit propulsé sur le devant de la scène musicale viennoise. Pour le bouillant jeune homme, qui vient d’atterrir dans la capitale après avoir été congédié sans ménagement du service de l’archevêque de Salzbourg, la réussite est inespérée. Comme un bonheur ne vient jamais seul, il est amoureux. Ce n’est pas la première, mais cette fois sera la bonne. Son héroïne, Constance, porte le prénom de Mademoiselle Weber que Mozart épousera, contre l’avis de son père, le mois suivant la création de cette comédie en musique entièrement pétrie avec les espérances et les appétits d’une indépendance récemment conquise.

 

Orient-Express

À Marseille, le rideau s’ouvrira sur une voiture de la Compagnie internationale des wagons-lits dans un décor Années Folles signé Francis O’Connor. Le metteur en scène helvète Dieter Kaegi a réuni son petit monde dans le huis-clos bleu et or du célèbre train de luxe. Vous n’aurez pas le temps de vous prélasser, tzim-boum, la baguette de Paolo Arrivabeni, familier de la maison, a déjà déclenché les hostilités : piccolo, cymbales et grosse caisse pour la couleur locale, presto, pour l’allure martiale « alla turca ». L’instrumentation bigarrée, la vitalité rythmique et l’abrupt des contrastes, ont de quoi réveiller les plus indolents « eût-on passé toute une nuit sans sommeil », dixit Mozart.

Voici Belmonte. Il a retrouvé la trace de sa bien-aimée et donne libre cours à sa joie. Dès sa première ariette — Je vais te voir… — le ténor Julien Dran, excellent Tebaldo(1) sur ces planches en 2017, chantera l’amour ardent, la voix longue, l’aigu solaire et tendu en direction de… Ach, Konstanze ! Les envolées lyriques de la belle « fräulein » seront interprétées par Serenad Uyar. La soprano fut ici-même, en 2019, une Reine de la nuit à la virtuosité acérée. Il lui en faudra, du tranchant, dans l’air périlleux Toutes sortes de supplices… (supplices pour colorature) où elle se refuse au Pacha. Au moment où tout semble fichu, elle partagera avec son bien-aimé le grandiose duo de l’Acte III — Quel destin… — les regards en profil perdu, déjà réunis dans un autre monde par une ligne de chant extatique.

Le couple Blonde (Amélie Robins) et Pedrillo (Loïc Félix) formera le double roturier et agissant de Constance et Belmonte, non dépourvu de poésie dans la romance Au pays des maures accompagnée par la mandoline de Pedrillo. Ils concluront ensemble l’Acte II, les quatre nigauds s’offrant même le luxe d’une charmante querelle d’amoureux orchestrée par la présence appuyée des cuivres et des bois.

Rôle central, figure repoussoir, Osmin résume à lui seul le regard inquisiteur que le compositeur porte à sa propre dramaturgie. Bouffon, tortueux et intempérant, il oscille, de la farce (Acte II, Vivat Bacchus ! ) à l’ironie, de l’ironie à la menace (Acte III, air du Triomphe). La basse sonore de Patrick Bolleire devra se faire légère pour emballer trilles et gruppetti, ornements plus souvent réservés aux jeunes plumets qu’aux méchants malabars.

 

Terminus

Un épilogue joyeux célèbre la clémence du noble Selim (Bernhard Bettermann). Tous se rassemblent autour du chœur des janissaires pour souhaiter Longue vie au Pacha ! Avec cette commande de la cour à l’occasion de la visite du futur tsar Paul Ier, Mozart sait qu’il offre à Joseph II bien plus qu’un simple singspiel(2), mais l’amorce de l’opéra national dont rêve le souverain. Une œuvre dans laquelle cependant le despote, même éclairé, est réduit à un rôle parlé. Sans préjudice pour le concert. Avec un aplomb jubilatoire, Mozart imprime sur tous les feuillets de la partition sa confiance en des lendemains qui chantent. Si à son époque « le bonheur est une idée neuve en Europe »(3), elle poursuivra son chemin, tout au moins en musique. Ce spectacle, coproduit par les opéras de Monte-Carlo et de Marseille, en est un relais bienvenu.

 

Roland Yvanez

 

L’Enlèvement au Sérail de Wolfgang Amadeus Mozart : du 19 au 26/04 à l’Opéra de Marseille (2 rue Molière, 1er).

Rens. : https://opera.marseille.fr

 

 

 

Notes
  1. I Capuleti e i Montecchi de Vincenzo Bellini – Opéra de Marseille, 2017.[]
  2. Littéralement « jeu chanté », jeu au sens médiéval de théâtre, en allemand avec des dialogues parlés.[]
  3. Louis Antoine de Saint-Just – Discours du 3 mars 1794[]