Le Repas des gens par la Cie L’Entreprise © Christophe Raynaud de Lage

Le Repas des gens par la Cie L’Entreprise

Affables !

 

Jusqu’au 27 janvier, François Cervantes présente à la Criée sa nouvelle création, sobrement intitulée Le Repas des gens. L’occasion de découvrir ou de redécouvrir le travail passionnant d’un artiste incontournable de la scène locale.

 

 

On aurait pu croire Marseille à l’abri de la vague de froid qui s’est abattue la semaine dernière sur l’hexagone, mais en ce mardi 10 janvier, on grelotte pourtant bien sur le Vieux Port. On est donc ravi d’être accueilli chaleureusement, comme toujours, par Robin Renucci et son équipe aux Grandes Tables de la Criée avec des tasses de café et de thé fumantes et réconfortantes. Quoi de mieux, en effet, pour présenter Le Repas des gens, que de s’asseoir tous autour d’une table pour un moment d’échanges passionnants autour du geste théâtral ?

Il sera beaucoup question de partage et de transmission dans cette présentation. François Cervantes est en effet « artiste-compagnon » pour cette saison. « Un artiste compagnon, c’est aussi un artiste complice, nous précise le directeur du théâtre de la Criée en guise de préambule. La transmission au plateau est essentielle, elle fait partie de nos missions premières et nous nous devons de soutenir nos artistes créateurs qui mettent l’écriture au centre de leur geste artistique. »

François Cervantes s’inscrit tout à fait dans ce cahier des charges. En 1986, il fonde la compagnie L’Entreprise, « avec le souhait de chercher un langage qui puisse raconter le monde d’aujourd’hui, traverser les frontières sans être arrêté par des références culturelles, et s’adresser directement aux spectateurs. » Sa démarche d’auteur-metteur en scène se base sur l’écriture, en particulier l’écriture de plateau. Sa méthode se veut expérimentale, à la recherche constante des liens entre corps et pensée. Ces expérimentations explorent le frottement du théâtre avec des arts voisins, en particulier la poésie, les arts du cirque, le travail du masque et, bien sûr, du clown. François Cervantes questionne également les relations entre art et rituel et centre son travail autour de la figure de l’acteur, « maître de cérémonie » de la soirée théâtrale.

« La rencontre avec le public, c’est une rencontre de la vie avec l’art. Lorsqu’on va au théâtre, on est convoqué à une cérémonie. Je travaille sur un théâtre de l’apparition. Il ne s’agit pas de désacraliser mais, au contraire, de renforcer le rituel. Si Dieu se cache quelque part, c’est dans le rapport entre deux personnes », nous dit le dramaturge.

La trame de ce nouveau spectacle, développé à partir d’une pastille présente dans la précédente création de la compagnie, Le Cabaret des absents (2021), s’avère toute simple : un directeur de théâtre va dîner chez des cousins éloignés et invite le couple pour une soirée. Robert et sa femme, qui ne sont jamais allés au théâtre et absolument vierges de tout code dramatique, se retrouvent sur scène, face au public. La table est mise pour le dîner, ils découvrent la salle, saluent les spectateurs et commencent leur dîner. Ce qui commence comme une comédie se mue petit à petit en rencontre avec le mystère de l’instant présent, qui est le sujet essentiel de la cérémonie théâtrale.

« Peu à peu, ils sont gagnés par l’étrange émotion d’être sur scène devant un public. Leur hospitalité naturelle fait venir au plateau des fantômes de théâtre et la soirée devient une rencontre du visible et de l’invisible… Dans ma famille, en Espagne, il y a des gens qui ne sont jamais allés au théâtre. Ce couple, par le regard, nous en redonne l’essence avant même la mise en scène, la scénographie et l’écriture. J’ai voulu me poser la question suivante : comment le théâtre peut digérer un corps étranger ? », précise François Cervantes.

Celui qui pense, justement, toujours aux absents, retrouve sur scène certains complices de longue date, telle que Catherine Germain, présente sur la plupart des créations depuis la genèse de la compagnie. Leur collaboration a donné lieu à une recherche approfondie sur le travail de l’acteur, notamment dans le domaine du clown et du masque.

Comme dans toutes les créations de l’Entreprise, l’écriture est constitutive du spectacle et permet de mettre en exergue la poésie du plateau. Le texte est ainsi toujours en mouvement, comme les comédiens à la fois émetteurs et récepteurs.

« Il ne s’agit pas de se montrer pour être admiré, mais d’être au présent avec les spectateurs. Le comédien ne comprend d’ailleurs vraiment ce qu’il fait qu’au moment où il est regardé. Nous tenons du public le jeu qui nous anime », conclut le metteur en scène.

Et Robert Renucci d’ajouter : « Je suis un fervent partisan du théâtre populaire et d’une véritable école du spectateur. Avec François Cervantes, on n’est pas dans la monstration mais dans l’échange. La rencontre avec les publics est inscrite dans l’ADN du Théâtre de la Criée. Toujours dans cette optique de transmission, notre service de relations publiques et de médiation culturelle a fait un gros travail envers les publics, notamment les scolaires, sous forme de répétitions ouvertes et d’ateliers menés par Stephan Pastor, complice de longue date de François Cervantes. En ces temps d’individualisme forcené, un spectacle tel que Le Repas des gens permet de retisser les liens abîmés par une société où la générosité se fait de plus en plus rare. »

Après sa création au Théâtre de la Criée, le spectacle partira en tournée, avant de jouer à Avignon cet été au Théâtre des Halles.

 

Isabelle Rainaldi

 

Le Repas des gens par la Cie L’Entreprise : jusqu’au 27/01 au Théâtre National de Marseille La Criée (30 quai de Rive Neuve, 7e).

Rens. : www.theatre-lacriee.com

Pour en (sa)voir plus : www.compagnie-entreprise.fr