1 Primate © Olivier Granger

La Semaine Païenne

France cultures

 

Après une Semaine de Noces consacrée au label La Nòvia l’an passé, un collectif de passionnés remet le couvert en organisant une Semaine Païenne autour du label béarnais Pagans, pour une immersion totale dans l’univers de la « musique radicale de Gascogne ».

 

Des musiques dites « traditionnelles » de nos régions, il nous reste finalement encore tout à (re)découvrir. Tenues à l’écart des médias et des antennes nationales, dénigrées voire carrément interdites puis tardivement étudiées par les sphères savantes, leur existence même serait remise en cause. Lorsque d’autres n’y voient que passéisme suranné, adoubant pourtant souvent à côté son équivalent outre-Atlantique, du blues à la folk. Pendant ce temps sur les estrades, des politicards populistes brandissent ce qui ressemble à son cadavre pour nourrir leurs pulsions électorales, séduisant ainsi un électorat crispé sur son identité, crispé sur tout ce qui le constitue, crispé tout court.

Alors, de ces musiques populaires, de ces usages populaires de la musique, de ces mondes et civilisations aux langues maternelles indigènes, de tout ce qui colore la France par l’intérieur, que nous reste-t-il aujourd’hui ?

Bien plus que l’on ne croit, bien plus que ce que l’on nous en montre en tout cas. Et il en va ainsi pour tout ce qui touche aux cultures jugées « minoritaires » de France, de toutes les cultures populaires qui font, et ont fait, l’identité de la France… Pourtant, aux quatre coins de l’hexagone, du haut de leurs montagnes brumeuses jusqu’aux grandes métropoles et littoraux salins déchirés par le vent, des collectifs se montent pour animer bals et concerts, rencontres et ateliers afin de transmettre ce qui ne demande qu’à vivre naturellement au présent. Des collectifs qui s’inscrivent dans le renouveau entrepris dès les années 70 en Occitanie, en Bretagne ou un peu partout en Europe, croisant dans le même geste guitares électriques et cornemuses, vielles à roue et drones expérimentaux, répertoires anciens et sensibilités pop.

Point de chute de tout ce qui se fait en la matière du côté du Béarn et des Pyrénées gasconnes, Pagans (pour « païens » en occitan) fait partie intégrante de cette mouvance. Créé en 2010 par les membres de la Familha Artús — axe post-rock central de la structure —, le label prend en charge via la plateforme Hart Brut aussi bien la production que la diffusion de ses groupes. Un fonctionnement propre à cette nouvelle génération d’activistes pour qui la pratique musicale « traditionnelle » représente la prolongation d’un monde de vie à part entière, d’un regard sur le monde. Une génération qui, si elle s’embarque volontiers dans des projets artistiques, n’en oublie pas moins les savoir-faire liés à la communauté, sociale ou culturelle. Comme une façon de témoigner de l’usage social direct des répertoires auxquels elle s’attaque. De par ses affinités et son mode de fonctionnement, elle nage comme un poisson dans l’eau dans les sphères indé qui font aujourd’hui l’actualité souterraine des revues et blogs spécialisés, de la noise à l’électronique concrète en passant par la chanson aventureuse.

Il y a pourtant quelque chose en plus chez Pagans, quelque chose de si puissant que l’on peinerait presque à y mettre des mots : révéler une culture séculaire par le geste musical. Relier les époques et jouer avec le temps dans un espace transgénérationnel. Témoigner d’une véritable civilisation paysanne disparue. Trouver l’altérité au pas de sa porte. Ouvrir la fenêtre à une autre conception, modale et orale, de la musique. Jouer avec les notions de « tradition » et de « modernité ». Jouer de toutes les tentatives de folklorisation (au sens français du terme). Jouer avec les codes, quels qu’ils soient.

La Semaine Païenne se décline dans les petits lieux qui font la vivacité du centre-ville (et à la Cité de la Musique) entre concerts, bals et ateliers (danses de Gascogne, ateliers de chant), précédés d’une projection du documentaire L’Intérêt Général & Moi (dont quelques-uns des musiciens du collectif ont signé la bande originale). Les collaborations s’y entrecroisent. Le projet 1 Primate dévoile ainsi les talents d’homme-orchestre de Romain Baudoin, qui a greffé une guitare électrique sur une vielle à roue pour dérouler une volute « mystique et chamanique ». Décrochage auvergnat avec le dynamique duo de violonistes Les Poufs à Cordes… Le quatuor Aronde cite quant à lui Dali et Terry Riley pour croiser les bourdons et faire le pont enter une Auvergne et une Gascogne expérimentales. Plus intimiste, le duo D’En Haut se fait « l’écho d’une Gascogne que peu connaissent, mais que la plupart ont déjà pu ressentir ». La semaine musicale se terminera en compagnie de la formation emblématique du label, le supergroupe de fusion rock/trad Massive Artús, qui présentera son nouvel album, L’Ors (pour « l’ours »). Cela sans compter le Carnaval de la Plaine, qui prendra le relais dans les rues de son quartier. Et de relais, il en est finalement pas mal question lorsque l’on touche à ces musiques de transmission orale. De ces transmissions qui nous permettent donc de mieux interagir avec notre environnement, direct ou lointain.

 

Jordan Saïsset

La Semaine Païenne : du 5 au 12/03 à Marseille.
Rens. www.hartbrut.com/semaine-paienne / www.pagansmusica.net

Le programme complet de la Semaine Païenne ici