La Semaine de la Pop Philosophie

La Semaine de la Pop Philosophie

Quand la philo fait pop

Un duo entre un philosophe et un Dj, une soirée télé commentée par des intellectuels de la scène française, le football pensé comme modèle philosophique… Autant d’interventions insolites et stimulantes qui rythmeront la vie culturelle marseillaise le temps d’une folle Semaine consacrée à la Pop philosophie.

a-la-maison-blanche.jpgCette manifestation a pour ambition de réunir des intellectuels de la scène philosophique française et des personnalités de l’art contemporain pour parler de la pop culture et tenter de voir en quel sens celle-ci peut s’inscrire ou bouleverser le champ de la pensée actuelle. En se frayant dans cette voie, la philosophie se fait pop elle aussi, en reprenant les principaux éléments de la Pop philosophie initiée par Deleuze : s’emparer de références légères dans un but non pas interprétatif, mais pour créer des concepts en confrontant la philosophie à ce qui n’est pas elle. Et mettre ainsi en œuvre une sorte de philosophie « boîte à outils » ouverte à tous pour laquelle ce qui compte avant tout, ce sont les résonances et les rencontres fécondes entre le travail philosophique et les autres domaines, les autres expériences.
La force de cet événement est justement de remettre en question la distinction entre pop culture et culture d’« élite », entre la « basse » et la « haute » culture. Faire parler des intellectuels sur des sujets a priori peu légitimes au regard de leurs disciplines (philosophie, littérature, art contemporain), ce n’est pas ériger la pop culture au rang de culture d’élite ni à l’inverse tenter de les niveler, c’est essayer de penser autrement et surtout ailleurs, de délocaliser les territoires de la pensée. C’est aussi transgresser les normes établies : par un enfermement institutionnel d’un côté et par les industries et les études de marché de l’autre.
Et si les philosophes peu connaisseurs de la pop philosophie étaient les premiers surpris (on ne les refait pas, l’étonnement est le point de départ du philosophe) de voir à quel point les séries télé, le football ou Barbara Cartland donnent à penser ? Et si les amateurs de films d’horreur, de monokini ou de pop music étaient curieux d’écouter en quel sens leurs centres d’intérêts pouvaient rejoindre pour des raisons très différentes ceux des théoriciens ?
La Semaine de la Pop Philosophie pourrait donc se résumer à une série d’expériences et de défis intellectuels. Brouiller les cartes et risquer des confrontations inattendues. Œuvrer pour la mise en place des conditions d’une expérimentation (avec un duo philosophico-musical). Et en jouer (cinq philosophes s’affronteront autour du « Jeu de la théorie »). Mais aussi oser (la mise en relation de Barbara Cartland et de Hegel), embarrasser (avec une « Philosophie politique du monokini »), rebondir (sur ce que « L’art fait à la philosophie »), s’étonner (de l’injection de la pensée de Spinoza dans l’espace public aux Pays-Bas), ouvrir (la philosophie au football ou le football à la philosophie), bousculer (avec le « Revirement de la critique face aux films d’horreur »). Enfin et surtout, tenter de produire un espace différent de la pensée, l’espace de « l’ici et maintenant », non pas pour mieux accepter le monde dans lequel nous vivons, mais pour mieux le critiquer et par là même, ensemble, le changer.

Elodie Guida

La Semaine de la Pop Philosophie : du 1er au 7/10 dans divers lieux de la ville. Voir programmation complète dans l’Agenda. Rens. 04 91 90 08 55


L’Interview : Jacques Serrano

Le créateur des Rencontres Places Publiques revient avec nous sur les notions de pop culture et de pop philosophie pour expliquer la genèse de son événement. Entretien passionnant avec un homme passionné.

Jacques-Serrano-C-Olivier-M.jpgEn quoi consiste au juste la pop philosophie ?
Il y a deux manières de la considérer. La première, c’est la philosophie sur l’objet du quotidien, c’est-à-dire qu’au lieu de réfléchir à un concept très compliqué comme Dieu, on démontre qu’il y a des choses aussi compliquées, comme le cinéma ou le football. C’est quelque chose qui existe déjà. Dans les années 30, aux Etats-Unis notamment, les penseurs, qui n’avaient pas de patrimoine intellectuel comme les Français étant donné la jeunesse du pays, se sont penchés sur les objets culturels les plus proches d’eux, et nombre d’entre eux ont étudié le cinéma hollywoodien — dans toute sa grandeur, et dans ses limites aussi. A partir des années 80, Stanley Cavell, un éminent philosophe, a d’ailleurs publié de nombreuses études sur le sujet.
L’autre manière, c’est de prendre un film comme une machine à penser. On ne fait pas la philosophie d’un film, pas plus qu’on ne valorise sa portée philosophique ; on prend le film comme générateur potentiel de concepts philosophiques. C’est l’une des approches de cette Semaine. Je pense que ça va être souligné dans le Jeu de la théorie, qui consiste à réveiller les idées à partir de propositions. Ça ressemble un peu à un brainstorming, en un peu plus compliqué (rires).

Pourquoi consacrer une semaine à la pop philosophie et, plus généralement, à la pop culture ?
C’est une idée qui germait dans mon esprit depuis un bon moment. C’est amusant parce que si j’avais pu le faire immédiatement, ça aurait peut-être eu moins de répercussions… Je me rends compte que depuis quatre, cinq mois, c’est dans l’air du temps… France Culture a notamment diffusé cet été plusieurs émissions sur les séries télé, ce qui paraissait impensable il y a peu. Le monde « intelligent » ne parlait pas de séries télé ! Les gens cultivés s’intéressaient à des trucs compliqués, « sérieux ». Il n’y avait bien que moi pour regarder des séries jusqu’à cinq heures du matin ! (ndlr : nous aussi !)
De la même manière, on peut se demander pourquoi les films d’horreur, qui étaient autrefois presque méprisés par la critique, font aujourd’hui l’objet de papiers dans Les cahiers du Cinéma. C’est une preuve que le monde « intellectuel » prend conscience que le film intelligent n’est pas toujours là où on croyait. Ce qui vaut pour tous les pans de la pop culture que l’on va aborder pendant la semaine : les séries, le football, les films d’horreur, la mode…

Que penser de ce soudain intérêt du monde intellectuel pour la pop culture ?
Le monde intellectuel tend à chercher dans ce qu’il considère comme la « basse » culture des éléments, des actions, des positions et des productions qui ramèneraient vers la « haute » culture. Ce positionnement ne m’intéresse pas. Pour moi, il n’y a que de la haute culture, c’est-à-dire quelque chose qui répond à l’attente qu’on a de la création. Je préfère une série qui répond à cette attente à un projet pseudo-intellectuel prétentieux. A partir du moment où on considère la culture ainsi, les notions de « basse » et de « haute » disparaissent.

Vous faites l’inverse quelque part… En amenant des représentants de la pensée à s’intéresser à la pop culture ?
La télé n’est pas le diable pour les gens vraiment intelligents. C’est comme le football d’ailleurs. Moi je n’y connais rien et du coup, j’ai fait une commande à Sylvain Dumont, qui est un expert aussi bien en football qu’en philosophie. Il va donc faire une conférence sur le thème « Le football comme modèle philosophique ». Il va partir d’une réflexion sur des choses profondément philosophiques, comme la fraternité, et montrer que là où l’expérience de la fraternité est la plus dicible, c’est sans doute dans un stade de foot.

Pensez-vous réitérer l’expérience ?
J’espère faire au moins trois « saisons » de la Semaine. On a refusé du monde, il y a encore beaucoup de choses à dire. A priori, l’an prochain, on se basera beaucoup sur les tubes musicaux. J’imagine déjà la rencontre entre les philosophes et Claude François !

Propos recueillis par Cynthia Cucchi
Photo : Olivier Metzger



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Les Rencontres Place Publique

Concepteur d’événements intellectuels. Ainsi se définit Jacques Serrano, créateur des Rencontres. Nées de la curiosité de cet artiste et penseur touche-à-tout, ces manifestations consistent à réunir des intellectuels français et étrangers de formations et d’horizons différents autour de questions politiques, sociologiques, esthétiques sur l’art. A mi chemin entre « le raout et le colloque universitaire, évitant ainsi les inconvénients des deux formules » (1), parrainées par d’éminents intellectuels (Umberto Eco, Alain Touraine, Manuel Maria Carrilho…), les RPP ont rencontré le succès dès leur naissance, avant d’être invitées dans des lieux prestigieux (Sorbonne, Columbia University de New York, Musée Guggenheim de Bilbao…). Sans doute parce que, de l’aveu de leur concepteur, leur vocation ne se trouve pas dans l’éducation mais dans la notion de plaisir. « Mon propos, c’est de mettre en place des moments où le plus large public possible prend du plaisir à l’écoute d’idées qui nous séduisent, de choses qu’on peut penser soi-même ou auxquelles on aurait pu penser… » Une notion de plaisir dont cette Semaine de la Pop Philosophie s’annonce comme la parfaite illustration.

CC

Notes
  1. Pour reprendre la formule d’Antoine Hennion, sociologue et directeur de recherches au Centre de sociologie de l’innovation (CSI) de l’école Mines ParisTech.[]