La saveur du mauvais goût

La saveur du mauvais goût

La saveur de la pastèque

Le mauvais goût, c’est quoi ? Peut-être une manière de pousser l’autre au-devant de ses préjugés. Il travaille comme acteur de X, elle se cherche un homme, la rencontre des deux est-elle possible ? Oui, mais comment et sur quelle durée ? Le mauvais goût, c’est aussi une histoire de formes : une Japonaise toute en chair qui ne parle jamais et dont le corps a pour fonction de s’enfiler tout ce qui lui est proposé ; une comédie musicale qui se décline dans plusieurs versions des Demoiselles de Rochefort et où le protagoniste est un homme et les figurants des femmes. Tsai Ming Liang est-il misogyne ? Pas si sûr, car encore une fois, le mauvais goût repose sur une frontière. Tout comme le cliché ; on ne doit pas nécessairement choisir son camp, on peut jouer au prisonnier par-dessus cette ligne imaginaire. La saveur de la pastèque est un inventaire de situations burlesques, où l’absence de rythme (addition de plans-séquences) nous donne à voir le drôle d’une autre manière. Pas de comédie anglaise, ni de one man show, les acteurs se contentent d’une action et d’une seule pour chaque scène. L’espace et l’architecture de la ville jouent le jeu de promenades insolites : elle ramasse des bouteilles vides, puis elle suit cette femme, tirant sa valise, en marchant sur la rive opposée du canal. Film d’un temps qui s’étire comme le fil d’un chewing-gum, film hardcore sur ce que peut-être un tournage porno amateur (on se concentre sur l’essentiel), La saveur de la pastèque ennuie, dérange, ou nous fait rire selon l’instant. Ce n’est pas du cinéma populaire, mais ça n’en est pas loin ; ce n’est pas non plus une œuvre universelle, mais ça parle de beaucoup de choses. Tsai Ming Liang est reconnu pour avoir réalisé The hole, l’histoire d’un homme et d’une femme qui communiquent par le trou d’un plancher et d’un plafond. Jouant subtilement de l’endroit et de l’envers à la manière de deux insectes qui tentent de comprendre le concept des opposés, The hole devient un élégant mélange d’un cinéma qui rentre dans le théâtre et inversement : tout se passe très près du sol, l’acteur se découvre quatre pattes. Dans La saveur de la pastèque, le légume en question est un point de digression, un Mac Guffin (2), car l’objet premier de ce film est la limite du corps dans des rapports de sexe où l’amour ne passe pas. Ça n’a rien d’animal, c’est plutôt mécanique.

Karim Grandi-Baupain

(1) Figure cinématographique « déposée » par Alfred Hitchcock, qui consiste à faire passer les personnages et leurs réactions au premier plan, quitte à reléguer l’intrigue au second plan.