L'Interview - Raymon Federman

L'Interview – Raymon Federman

Il a joué du saxo avec Charlie Parker, s’est retrouvé en prison avec Cootze, le prix Nobel de littérature. Les thèses de doctorat se multiplient sur son œuvre. Ses textes sont montés au Festival d’Avignon. Depuis trois ans, la France redécouvre l’un des écrivains les plus inventifs des trente dernières années : aujourd’hui publié par une petite maison d’édition marseillaise, Le Mot et le Reste, Raymond Federman fait escale samedi à l’Alcazar… (lire la suite)

Il a joué du saxo avec Charlie Parker, s’est retrouvé en prison avec Cootze, le prix Nobel de littérature. Les thèses de doctorat se multiplient sur son œuvre. Ses textes sont montés au Festival d’Avignon. Depuis trois ans, la France redécouvre l’un des écrivains les plus inventifs des trente dernières années : aujourd’hui publié par une petite maison d’édition marseillaise, Le Mot et le Reste, Raymond Federman fait escale samedi à l’Alcazar.

Entre Becket (dont il était l’ami) et Henry Miller, Federman a digéré toutes les avant-gardes françaises sans jamais devenir chiant ; il est populaire sans être démago, intelligent et pourtant capable de se faire comprendre par n’importe quel lecteur. Subjugué par Amer Eldorado, nous l’avions déjà rencontré il y deux ans pour la sortie de ses romans chez Al Dante, commentant sans aucun regret son départ pour New York : « Je préfère la médiocrité merdeuse de l’Amérique plutôt que l’hypocrisie crasseuse de la France. » Ses parents sont morts à Auschwitz à cause de la police parisienne… Alors ne lui parlez pas de l’injustice du système américain, il risquerait de vous envoyer son poing dans la gueule ! Mais pourquoi les plus grands esprits de notre temps décident si souvent de s’enfuir en Amérique ? « Messieurs que cela soit dit sans rougir l’Amérique c’est une grosse gonzesse qu’il faut saisir à plein bras une grosse bonne femme avec des miches énormes et un cul aux fesses splendides et une chatte toute fourrée mais pour découvrir ces richesses il faut en faire du chemin il faut en avoir du courage et le grand problème avec tous les ricains c’est qu’ils n’ont pas le courage ni l’initiative d’aller les chercher ses richesses d’aller les explorer alors au lieu de lui rentrer dans le cul et de la baiser l’Amérique les ricains ils se déculottent devant elle et se branlent tandis que moi messieurs je voulais lui rentrer dedans lui décharger tout mon sperme dans les fesses un bon coup une belle explosion là dans le cul de l’Amérique… » Laissant sa « chère » Amérique de côté, Federman nous revient ces jours-ci pour un recueil d’essais sur la fiction, Surfictions. Surprise : c’est une excellente maison d’édition marseillaise qui le publie — Le mot et le reste. Dirigée par Yves Jolivet, elle collectionne les textes de qualité, souvent inclassables, et a découvert Federman en surfant sur le Net.

Pourquoi ce recueil d’essais ?
Le manifeste date de 1973, c’est une sorte d’explication de mon livre Quitte ou double. Dans le roman, j’essayais d’expliquer ce qui s’est passé après la deuxième guerre mondiale. C’était une remise en question totale de la réalité, de la narration… On était quelques écrivains à bosser dans la même direction (Becket, Barth, Cooper, Sukenick, Calvino…) et les critiques nous ont collé des étiquettes : « avant-garde », « expérimental », « post-moderne »… Moi, j’ai inventé le mot Surfictions pour définir ce genre de récit qui émergeait dans les rayons de librairies. Notre style dérangeait pas mal de gens : « Mais qu’est-ce que c’est que ces mots qui voltigent partout ? C’est illisible, on n’y comprend rien… » Un peu comme le free jazz et le punk à ses débuts. Ou les films de David Lynch qui font exploser la réalité, celle que veulent nous faire accepter les médias et la politique. C’est ce qui a eu le plus d’influence sur nous, le cinéma. On avait trouvé un moyen de voyager à travers le temps et l’espace, sans tout vous expliquer.

Et comment voyez-vous la littérature de maintenant ?
Dégueulasse ! En France, il y a peut-être deux ou trois écrivains qui comptent : Christian Prigent, Nathalie Quintane… Et puis en Amérique, il y a John Barth, Olson, George Chambers, Dug Rice, Wollman, même si c’est un fou… D’autres écrivains sont très connus en France, mais c’est dégueulasse ! Je pense à Danielewsky, qui a piqué toute notre technique, sans même le dire. C’est un tricheur. Et puis il fait un livre sans cœur, c’est presque académique.

Votre manière de parler au lecteur ressemble beaucoup aux romans de Lydie Salvayre…
Oui, je l’ai rencontré pour la première fois il y a un mois. Nous avons tous les deux besoin d’un interlocuteur pour écrire ; c’est ce que j’aime chez elle, parler directement au lecteur, une sorte de dialogue s’installe, ce qui rend la narration beaucoup plus réelle. D’où mon admiration pour Jacques le fataliste de Diderot.

N’est-ce pas difficile de se faire entendre à notre époque ?
C’est terrible ! Les écrivains sont devenus conservateurs, frileux. Il y a une sorte de retour à l’académisme, au réalisme. Alors que pour moi, la littérature est une prise de risque, pas un boulot alimentaire. Il n’y a qu’à aller dans les librairies pour comprendre : la plupart des bouquins intéressants sont relégués au fond des salles…

N’est-ce pas un problème politique ?
Ça restera toujours associé à la politique. Quand les Républicains sont là, plus personne n’en a rien à foutre (ça devient la même chose en France d’ailleurs…)… En ce moment, c’est une période affreuse. Le plus dangereux de tous, c’est le vice-Président, Dick Cheney. Et puis il y a quand même des choses bizarres : à mon époque, nous étions tous dans les rues à manifester contre la guerre du Vietnam. Aujourd’hui, on ne voit pas les jeunes manifester contre la guerre en Irak… C’est pas possible, ça va éclater. Le prix du pétrole explose : une crise se prépare quand ça menace le portefeuille des Américains. Il y a les élections au mois de novembre : si les démocrates gagnent, Bush est dans la merde. Si ce sont les Républicains, les gens iront dans les rues. Les terroristes ont fait de ce con de cowboy un héros ! Et en face, il n’y a rien. Pas un leader démocrate ne peut faire le poids. Hillary Clinton est trop arrogante. Al Gore veut revenir, mais il n’a aucune chance… Dégueulasse !

Propos recueillis par David Defendi

Raymond Federman sera le 10 à l’Alcazar à 17h30.
Rens. 04 91 73 41 88 / www.atheles.org/lemotetlereste
En librairie : Surfiction (éd. Le mot et le reste)