Identités Remarquables : David Defendi

Identités Remarquables : David Defendi

Au nom du père

Ou comment un ancien pigiste de Ventilo refait surface « de l’autre côté des médias » avec un fulgurant pavé littéraire sur les coulisses de 68. Retour sur un parcours hors norme.

« Je suis en train de finir mon roman. » Cette phrase, nous avons dû l’entendre des centaines de fois pendant les quelques années où nous avons côtoyé David Defendi. Jusqu’à ce qu’elle devienne un sujet de plaisanterie, y compris avec l’intéressé. Quelle ne fut donc pas notre surprise de le voir débarquer à la rédaction voilà un mois avec un livre signé de son nom, publié chez Flammarion s’il vous plaît. Surprise aussi en découvrant l’ouvrage en question : loin du délire cyberpunk attendu, L’arme à gauche est un thriller façon Ellroy sur les coulisses de 68. David y raconte comment la DST (Direction de la Surveillance du Territoire, autrement dit les services secrets français) a infiltré la gauche prolétarienne à la fin des années 60. Et si les faits y sont quelque peu romancés, relatés avec une force littéraire incontestable, « tout est absolument vrai ». David est bien placé pour l’affirmer : l’un des deux héros de L’arme à gauche, Dominique Goldoni, n’est autre que son père, ex-agent de la DST chargé de recruter l’ouvrier Denis Mercier pour manipuler les maoïstes.
Suite à la mort « accidentelle » de Mercier en 1973, Goldoni — pardon, Defendi —, écœuré, quitte la DST. Ce qui n’est pas pour déplaire à la mère de David, « très à gauche, même si elle devait trouver ça sexy d’être amoureuse d’un espion. » Toujours est-il que David naît neuf mois après le décès de « l’infiltré ». Coïncidence ?
Il apprendra assez tôt le passé de son père. « Mais je m’en foutais, je voulais pas trop en entendre parler, et puis je réalisais pas bien ce que c’était… » Il « réalisera » à l’adolescence, en se rebellant comme « un vrai con » contre la figure paternelle : il menace l’un de ses professeurs avec un cutter, se fait virer de l’Académie de Bourgogne ; les relations familiales se tendent. A seize ans, voyant sa carrière de footballeur professionnel (il était présélectionné en équipe de France) brisée par une fracture, il se retrouve en pension.
Il viendra à l’écriture par « amour » : « Je suis tombé raide dingue d’une nana qui adorait la littérature, et pour la draguer, je me suis mis à lire. » Et à écrire, des poèmes principalement. En attendant de s’adonner complètement à sa passion pour la littérature, il vit de petits jobs : « Dès l’âge de 18 ans, j’ai participé à des tests médicaux, je restais quinze jours, je sortais avec 15 000 balles et je voyageais… » Première destination : l’Amérique du Sud. Pas tant par goût de la révolution que pour « oublier mon ancienne vie. » Se définissant lui-même comme un « anar cynique un peu voyou sur les bords », il fait sienne la devise de James Dean « Vivre vite, mourir jeune et faire un beau cadavre. » Nihiliste, il brûle la vie par les deux bouts, consomme des drogues. Beaucoup de drogues : « Je suis rentré complètement cramé d’Amérique du Sud. » A son retour en France, il s’inscrit en lettres et philo à la Sorbonne. Une manière de « rentrer dans le droit chemin », même s’il n’a aucune envie d’être prof. Sa vocation, il la connaît déjà : écrivain. « Artiste, c’est une antenne chez les bandits et une autre chez les fous, c’est ça qui me plaisait. » Dans la prestigieuse fac parisienne, il fréquente peu de gens, quelques babas un peu utopistes, « mais j’étais trop solitaire pour faire partie d’un groupe. Et puis quand j’étais en Amérique, je voyais les Indiens mater Alerte à Malibu et quand je suis revenu à la Sorbonne, les mecs me parlaient de révolution, alors ça me faisait rire. »
C’est après ses études qu’il se met réellement à écrire, principalement des nouvelles « sur les voyages, la fin de l’innocence, la fin du romantisme… » Puis il part une nouvelle fois à la conquête de l’Amérique. Du Nord, cette fois : « Pour comprendre. J’aimais pas les Etats-Unis, mais j’avais envie de voir la Californie, de rencontrer des Américains. Et puis, surtout, je suis tombé raide dingue d’une Colombienne. » Il y restera six ans, entre San Francisco et New York, en vivotant de petits jobs — serveur, vendeur d’essuie-glace, de bougies, peintre, livreur de plantes de luxe… « Au bout de quelques années, j’ai compris que l’image qu’on avait de l’Amérique était erronée. J’ai vu le beau visage de l’Amérique. Et puis je suis né en Bourgogne et niveau connerie et racisme, ça vaux bien le Texas… » Surtout, il découvre la littérature américaine — « Ellroy, Palanhiuk… Une grosse claque ! »
Mais cette vie ne lui convient plus : finie la bohème, il lui faut écrire. Retour en France en 2003, direction Marseille, « pour l’OM… Non, je déconne ! » Entre deux petits boulots (tests médicaux, encore, déménagement d’antiquités…), un groupe de « slam rock » (« Avec mon ami Tarik, on en avait marre de la poésie officielle “intello chiante”, alors on a voulu faire un truc sexy, avec musicien et vidéo ») et des piges pour Ventilo, il s’attelle à ce fameux roman, inspiré des « cyberpunks » américains (Sterling, Gibson) et des thématiques de Houellebecq et Dantec (la transformation du corps) : « C’est en Amérique, avec les seins refaits des bourgeoises et mes tatouages, que j’ai compris ce qui allait se passer pour les prochaines décennies. » Mais peu enclin à publier des histoires de scarification, son éditeur potentiel, Actes Sud, recule. L’affaire ne se conclut pas, mais David persiste.
Puis c’est la révélation : en lisant un ouvrage d’Olivier Rolin (1)) (le chef de la branche armée de la gauche prolétarienne), il reconnaît Denis Mercier. Dès lors, tout va très vite : voyant approcher l’anniversaire de mai 68, David sent qu’il « tient un truc. » Son père lui déballe toute l’affaire et lui propose de rencontrer des anciens collègues des services secrets. « Il a été cool. Je crois qu’il voulait se rapprocher de moi, tandis que de mon côté, je m’étais calmé. » Ce « livre de la réconciliation » est comme un cadeau qu’ils se font l’un à l’autre. Passionnément, David mène l’enquête, accumule les documents, les témoignages et les nuits blanches pour parachever son récit. Huit mois plus tard, la presse est conquise : Tecknikart, Le Figaro, Le Monde, Rue89, Médiapart et Le Nouvel Obs ne tarissent pas d’éloges à son sujet, Olivier Marchal (2) serait même sur les rangs pour en faire un film. Une surprise ? Pas vraiment : si David est un jeune homme étonnant, si l’histoire qu’il raconte est singulière, son talent n’est désormais plus à prouver.

Cynthia Cucchi

L’arme à gauche (Flammarion)

Notes
  1. Tigre en papier (Le Seuil[]
  2. Dont l’histoire de L’arme à gauche lui rappelle la sienne, l’ancien flic et réalisateur de 36 Quai des Orfèvres ayant infiltré Action directe dans les années 80.[]