Da Leada

Identités remarquables | Da Leada

L’art des bruits

 

Si la chanteuse Dalida trône actuellement sur les affiches des multiplexes, le trio math rock noise marseillais Da Leada est pourtant à dix milles bornes du premier star system. Mourir sur scène ? Ces trois-là semblent pourtant y renaître. Explications.

 

Francois, Krim et Sammy se sont rencontrés au Train en Marche, un ancien club de tir où venaient encore sonner de drôles de types avec des mallettes contenant des armes, à qui il fallait prudemment expliquer le changement d’orientation du lieu. Avec, en fond, d’autres déflagrations que celles des revolvers, où l’on peut tirer des photos et se réhydrater en toute décontraction, le Train en Marche est une association où musiciens, photographes et vidéastes se rencontrent, pour aboutir à des projets communs diffusés hors les murs. Francois, Krim et Sammy y avaient des activités diverses allant du mixage aux cours de guitare en passant par des sessions de répétition. Life Maldita, l’EP de Da Leada (prononcez « da lida ») sorti en décembre dernier, est symptomatique de l’esprit du lieu : autoproduit, mixé par Rudy, le batteur des x25x, la pochette a été dessinée par Roland, le guitariste de Fillette, et le graphisme réalisé par Judex Franju. « Le héros de nos chansons, c’est Aldo, quelqu’un qui ne sait pas où il est né. Il parle un mélange de neuf langues, une sorte d’espéranto, dans une société futuriste divisée entre les bas-fonds et le dessus, qui a planifié la destruction de la communication en mélangeant les nationalités, pour que les pauvres ne puissent plus parler ensemble et soient utilisés comme du bétail humain. C’est inspiré d’un mystérieux écrivain japonais d’après-guerre, Shozo Numa, traumatisé par une dominatrice allemande et par la reddition de son pays. Il imagine une dystopie chargée d’autodérision et de masochisme où les hommes sont dominés par les femmes et transformés en mobilier vivantIl y a aussi un peu de L’Incal de Moebius et Jodorowsky, où les pauvres récupèrent la drogue contenue dans les excréments des riches… C’est en entendant Krim et Sammy (respectivement bassiste et batteur) répéter ici un soir que j’ai eu envie de plaquer des accords sur leurs riffs qui déterminent toujours notre musique » raconte François, le claviériste formé au piano classique avant de passer au free jazz et aux musiques expérimentales, par ailleurs membre de La Cumbia Chicharra… Depuis, leur méthode n’a pas changé : « On fait d’abord la rythmique et les notes avec une basse à six cordes qui prend parfois le statut de guitare, puis viennent les synthés, notamment un clavecin électrique avec des cordes : le clavinet, un instrument électro-acoustique dont le son est proche d’une guitare avec la distorsion. La voix vient en dernierOn aime jouer des rythmes impairs avec un son un peu sale. L’idée, c’est de venir bouffer Krim dans son spectre. » A tel point que les gens vont inspecter l’instrument de ce dernier après chaque concert, histoire de bien vérifier que ce n’est pas une guitare. Krim, qui vient de la Cité Berthe à La Seyne-sur-Mer, a attendu ses dix-sept ans pour commencer à jouer de la guitare en autodidacte sur les Pixies et Sonic Youth : « Ma mère ne voulait pas m’acheter d’instrument, il fallait tout donner à l’école… » Sammy a quant à lui commencé par les percussions, à sept ans au Conservatoire, « puis la batterie quand je suis devenu punk, et là, j’ai désappris en écoutant du punk hardcore, No Means No, Dead Kennedys… Mon prof ne m’aimait plus, je n’étais plus dans le moule. C’est mortellement ennuyeux, cette recherche de la perfection au Conservatoire… »
Sorte de math rock noise approximatif à l’atmosphère bizarre, la musique de Da Leada s’appuie sur une rythmique mélodique et hypnotique teintée de violence bruitiste, avec un chant pouvant évoquer The Ex, où l’on entend de l’allemand, de l’italien, de l’arabe et de l’anglais.
« On est tombé d’accord sur Botch comme référence commune, un groupe de la scène post-hardcore de Seattle du milieu des années 90, mais aussi sur le math rock français de Pneu ou Marvin, la noise des années 90 et Lightning Bolt. » Krim précise : « Sloy est une de mes influences pour le chant et le son de guitare. J’aime aussi beaucoup Meshuga, un groupe de metal suédois, Chico Buarque et Zappa. »
Francois : « Moi, c’est Georges Clinton, Sun Ra et tout en haut, Theolonius Monk, roi du piano, qui casse le système harmonique pour faire ce qu’il veut. Mais aussi des groupes progressifs des années 70 comme Magma et King Crimson, et puis les Bad Brains, un groupe très important qui ne transigeait pas dans ses approches, du vrai dub au punk bien saignant, un mélange de musique noire et blanche, comme les Talking Heads : de l’Afrique avec du Bach. »
Sammy : « Les Stooges, Marc Bolan et surtout les MC5 par mon père, qui est un grand mélomane, mais aussi les Clash, l’album Sandinista pour le côté touche-à-tout, naïf et en dehors des codes punk qu’ils avaient eux-mêmes établis. »
Les trois s’accordent : « Notre musique peut avoir un aspect technique, mais avec beaucoup d’énergie, punk aussi, pour ce qui est du refus de la perfection, de notre attirance pour les scories, les défauts, les dérapages. On essaie de faire des rythmes un peu bizarres, on ne veut pas se laisser enfermer dans la structure couplet/refrain. »
S’ils jouent ensemble depuis un an et demi, ils ont auparavant bourlingué dans d’autres formations, comme Hobbo Erectus et La Défaite pour Sammy, Mohamed Ali pour François, Hormone Monroe et Quaisoir pour Krim, qui joue aussi actuellement avec Costa Fatal, où il chante en français dans un registre plus intimiste. « Il y a de bonnes salles avec une vraie identité DIY à Marseille : la Machine à Coudre, la Salle Gueule, l’Asile 404 et l’Embobineuse, qui se connaissent et travaillent ensemble : un petit réseau assez diversifié avec un public qui suit. Mais au niveau des groupes, ça pourrait être plus conséquent. » Il y a toujours eu une scène rock à Marseille, jamais vraiment reconnue. Citons Kill The Thrill et, récemment, une très bonne période avec des concerts d’anthologie de groupes très liés à l’Embobineuse comme Bière, Feeling of Love, les x25x, Binaire, Le Singe Blanc, les géniaux Judex et enfin les Statonells. De leur côté, Le Chemin de la Honte et Delacave se situent plutôt dans un post-punk à la The Fall.
Da Leada sera en concert à la Salle Gueule le vingt-huit janvier avec les Dirteez, qui sortent un vinyle… Ce sera en quelque sorte une « release party » du Train En Marche, où ces derniers ont également enregistré. Aucun lien avec Dalida, donc.

Olivier Puech

Da Leada : le 28/01 à la Salle Gueule (8 rue d’Italie, 6e) avec The Dirteez et Escrow.
Rens. : lasallegueule.free.fr

Dans les bacs : Life Maldita

Pour en (sa)voir plus : https://daleada.bandcamp.com/releases