Education platonique

Education platonique

Adapter Sade revient un peu à tenter une aventure impossible. La compagnie des Travailleurs de la Nuit a décidé de se jeter dans les eaux troubles de la Philosophie dans le boudoir. Audacieux dans l’idée mais convenu… (lire la suite)

Adapter Sade revient un peu à tenter une aventure impossible. La compagnie des Travailleurs de la Nuit a décidé de se jeter dans les eaux troubles de la Philosophie dans le boudoir. Audacieux dans l’idée mais convenu.

Les murs du couvent des Bernardines ont dû trembler quand le projet des Instituteurs Immoraux a pris forme. Sade en ces lieux ? Diantre ! Le vice, le sexe, la sodomie passant le seuil d’une bonne maison… Dieu merci, leurs inquiétudes se sont assoupies rapidement. De ce Sade-là, de cette parodie, rien à craindre sinon ennui et abattement. On sent d’entrée de jeu, par l’entremise d’un décor sobre et d’une esthétisation design, que la mise en scène se veut modernisante — à défaut d’autre chose. Avouons-le ironiquement, n’était-il pas grand temps, comme l’a effectué Frédéric Poinceau, de dépoussiérer Sade ? La question reste à savoir à quel niveau et pourquoi. Ce à quoi, ici, personne ne semble capable de répondre. Les textes du Marquis, écrits pour la plupart en prison, recèlent une telle certitude dans la nécessité du libertinage[1] que les balancer aussi médiocrement équivaut à un abus de confiance. Etre libertin est une éthique. L’imiter sans respect, un outrage. Et si l’on doit s’approprier la philosophie développée dans la satire sadienne, il faut aller crânement jusqu’au au bout de la proposition. La pornographie est une exigence majeure chez Sade. Elle justifie la raison d’exister du propos. Et, dans cette plate version des Instituteurs (im)moraux, l’obscénité se limite à dire, prétextant que le mot, l’imagination valent bien des actes. Alors autant lire le livre… Ce précepte de base défendu par des Travailleurs de la Nuit exténués, à court d’imagination, est, pour le coup, pédant. Trop raisonnable, déplacé. Symbolique aussi de ce qui se passe aujourd’hui : choquer la mondanité avec prudence et la divertir avec indigence. C’est donc noyé dans un florilège banalisé de « con, couilles, trou du cul » que survit, effaré, tout spectateur non mondain. Celui qui espérait être malmené par une composition acerbe reste sur sa faim. Outre quelques séquences d’anthologie dignes des « meilleurs » gags de Cauet ou du Morning Live, la fin nous réserve une surprise de taille au regard de la chasteté de l’ensemble. Quand Madame de Mistival vient chercher sa fille Eugénie, elle a droit à un quart d’heure d’éducation physique visant à anéantir sa bigoterie. Là, le boulevard de mauvais goût se découvre. Poinceau, travesti, à quatre pattes, fesses à l’air, se laisse tout à tour emmancher et foutre par les autres. On a honte pour lui tant cette scène grossière confirme le fiasco général. L’Embobineuse, à sa manière à elle, est bien plus parente de Sade qu’un spectacle entier qui lui est dédié.

Lionel Vicari

Jusqu’au 28/10 aux Bernardines. Rens. 04 91 24 30 40

Notes

[1] Au sens étymologique, c’est-à-dire de l’homme qui veut se libérer de Dieu. Sade est empreint des idées progressistes qui règnent à l’époque : l’homme ne dépend que de lui-même.