Edito n°210

Edito n°210

edito.gifA en croire les « informations » qui l’occultent, le mouvement de la jeunesse étudiante et lycéenne contre la loi « libertés et responsabilités des universités » (LRU) s’est éteint doucement. Et la ministre de l’enseignement supérieur peut se voir décerner par le quotidien Libération le titre de « bonne élève du gouvernement qui a tenu bon ». Pourtant, la réalité est tout autre. Du nord au sud, de nombreux lycées marseillais restent en grève, à l’initiative des élèves, suite à des scrutins en assemblée générale, à main levée ou à bulletin secret. Ceux-là n’ont pas encore acquis le droit de vote que leur donne l’âge de la majorité qu’ils s’expriment démocratiquement, confrontent des points de vue et les mettent en action. De l’élitiste lycée Thiers au populaire lycée Victor Hugo, les profils et les aspirations divergent parfois, les revendications cette fois convergent. Ils s’organisent contre des décisions gouvernementales qu’ils réprouvent, craignant légitimement pour l’avenir de leurs études. Ils ne sont pas seuls, relayés par les étudiants et leurs professeurs pour s’opposer à cette loi qui impose de mauvaises solutions à de véritables difficultés. Le texte de la pétition du collectif Sauvons la recherche avance l’enjeu du débat : « L’enseignement et la connaissance sont importants parce qu’ils définissent ce qui, à travers les siècles, a fait de nous des humains, et non parce qu’ils peuvent améliorer notre compétitivité mondiale. » La jeunesse manifeste ainsi que l’organisation de l’université et de la recherche françaises ne doit pas nécessairement suivre les règles de l’entreprise pour satisfaire les objectifs de production et de transmission des connaissances. Quelles sont les réponses des autorités à ces initiatives citoyennes ? En premier lieu, la répression. Les chefs d’établissement suivent souvent les consignes de leur hiérarchie. Ils font appel à la police pour dégager les accès aux établissements. Et celle-ci ne s’en prive pas. Agents de la paix et brigade anti-criminalité viennent en force pour dissoudre la contestation, rarement la fleur au flashball. En deuxième lieu, la désinformation. La grève est finie, circulez y a rien à voir. La perception de la fin du mouvement vaut plus que la réalité de la contestation. Les étudiants ne s’y trompent pas. Ils ont envahi mardi dernier la rédaction du journal Le Monde « dans le but d’alerter l’opinion publique sur la désinformation voire la non-information des médias à propos de la mobilisation étudiante et lycéenne. » Les journalistes sont-ils derrière le gouvernement et ne relayent pas les mots d’ordre de grève ? Plus grave, est-ce qu’ils ne sont pas informés que la contestation ne s’est pas tue ? Encore pire, prennent-ils le parti de taire ces informations au grand public ? Une fois encore, la responsabilité des médias est mise en cause. Mais c’est plus généralement au sujet du pouvoir de l’information à l’ère de l’Internet et de la « guerre au terrorisme » qu’il convient de s’interroger. Qui plus est après la terrible aventure que vient de vivre un journaliste du Monde la semaine dernière. Spécialiste du milieu du renseignement, Guillaume Dasquié avait révélé dans le quotidien du soir le 17 avril 2007 la teneur de documents classés secret-défense de la DGSE (notre CIA) qui mettaient en évidence qu’elle avait prévenu à plusieurs reprises les Etats-Unis de l’imminence d’un attentat par les airs, longtemps avant la date fatidique du 11 septembre 2001. Qu’avait-il fait là ? Nous informer, répondrons-nous candidement. L’administration française ne l’a pas entendu de cette oreille. Elle a l’habitude de distiller les informations sensibles qu’elle veut voir publiées. Mais dans ce cas, ce journaliste avait trop bien fait son boulot. Il n’avait pas attendu l’autorisation. Mis en garde à vue dans les locaux de la DST (notre FBI), il a été sommé de dénoncer la source de ses infos. Sûr de son bon droit, il leur a rétorqué que la loi le laissait libre, en tant que journaliste, de ne pas la révéler. Il fut alors menacé par un juge d’être placé en détention. Au bout de quarante heures de pression psychologique par des experts, il a craqué. Il fallait voir dimanche sur France 5 l’émotion de cet homme, dégoûté de son métier et de son pays, ne retenant plus ses larmes face à la caméra[1]. Emouvant, et éprouvant, son témoignage répond à nos interrogations. L’information est une chose trop importante pour être laissée au seul bon vouloir des journalistes. Mais si « le pays des droits de l’homme » s’assoit dessus pour empêcher l’information non autorisée, nous serons tous écrasés.

Texte : LP
Illustraion : Damien Boeuf
Notes

[1] Plus de renseignements sur http://www.france5.fr/revuetcorrige/ Voir la vidéo sur http://www.dailymotion.com/video/x3ph2f_journaliste-menace-de-prison-dasqui_news