Edito n° 188

Edito n° 188

Si elle semble passionner les Français, la (médiocre) campagne pour la Présidentielle continue de faire des indécis. Et pour cause : médias majoritairement sarkozistes mais respectant ridiculement les consignes du CSA, candidats en boucle et profusion de sondages jusqu’à l’écœurement, on n’attend plus qu’une chose : en terminer au plus vite avec ce cirque médiatique. Et si on se contentait des professions de foi des candidats, que certains esprits cyniques auront tôt fait de surnommer les douze salopards ?

Cène de suffrage

Si elle semble passionner les Français, la (médiocre) campagne pour la Présidentielle continue de faire des indécis[1]. Et pour cause : médias majoritairement sarkozistes mais respectant ridiculement les consignes du CSA, candidats en boucle et profusion de sondages jusqu’à l’écœurement, on n’attend plus qu’une chose : en terminer au plus vite avec ce cirque médiatique. Et si on se contentait des professions de foi des candidats, que certains esprits cyniques auront tôt fait de surnommer les douze salopards ?

François Bayrou
Un jour, François Bayrou s’est réveillé avec une idée en tête : devenir Président de la République. Jusqu’à en oublier qu’il était de droite. Mais avec un modèle de droite : Jacques Chirac crû 95 — le candidat sympa et dynamique, donc populaire, l’anti-Balladur qui bouffe des pommes et de la tête de veau. Aujourd’hui, François roule dans un bus au colza, charme les ménagères et met des baignes aux enfants qui lui font les poches. Et nous fait sa petite « révolution orange » (la nouvelle couleur du centre), en présentant un gloubiboulga d’intentions sans doute plus à gauche que celui de Ségolène Royal. Un coup à droite, un coup à gauche : notre Casimir de la politique française va finir par ne plus savoir où poser ses fesses.

Olivier Besancenot
« C’est connu, le facteur sonne toujours deux fois », proclame d’emblée et non sans humour le plus jeune des candidats, avant d’enchaîner sur une tirade pleine d’empathie (bien réelle) sur les inégalités (bien réelles) qui régissent notre société. Très bavard (Zola, nous voilà !), son prospectus s’achève sur un étonnant paragraphe mêlant dénonciation de l’ineptie de l’occupation occidentale au Moyen-Orient et de la politique néo-coloniale française en Afrique et… affirmation de l’indépendance corse.

José Bové
Le paysan désobéissant se présente à nous avant son incarcération. Libérez José Bové, crierons-nous bientôt pour le soustraire à une peine injuste. En attendant son sort, le chantre du combat alter, nous dit d’« oser Bové » (qui lui-même ose… poser dans Gala, par exemple). Ça paraît simple, il est gentil José. Il aurait pu être le porte-parole d’un rassemblement hétéroclite et revendicatif à gauche. Mais la dure réalité du métier politique l’a rattrapé. Il ne sera que le candidat qui raccourcit les OGM. Pas suffisant ?

Marie-George Buffet
La « candidate de la gauche populaire et antilibérale soutenue par le parti communiste français » ne peut que constater les dégâts. Son parti joue sa survie en 2007 et n’a pas osé se fondre dans une union large à gauche. Stratégie payante ou facture salée, les électeurs feront les comptes.

Arlette Laguiller
Inlassablement depuis 1974, Arlette Laguiller défend les travailleurs à la tribune de l’élection présidentielle. Si elle tire sa révérence en 2007 pour faire place aux jeunes, sa voix continuera à porter le message que le travail doit sa valeur aux masses laborieuses. Adieu Arlette.

Jean-Marie Le Pen
Sur un poster imitant Oncle Sam qui proclamait « I want you » aux jeunes Américains pour les faire s’engager dans la guerre, Le Pen crie « Vive la vie ! » Il plagie Jean-Paul II en invitant ses ouailles à entrer dans l’espérance et pour finir, nous refait mon général et la France humiliée. Que d’habits enfilés dans sa culture ! Malgré les déguisements, ses idées sont vieilles comme le monde. L’inconnu fait peur et ce sentiment ramène à de bas instincts. Lui rabat, hurle depuis quarante ans que ça ne se passera pas comme ça. Et ce vote de répulsion remplit les urnes des voix étouffées par la misère sociale. Il a réussi à écouler son stock à tous les dealers de peur. Aujourd’hui les enchères montent pour racheter le fonds de commerce après le décès du patron. Le Pen a fait son temps, mais il pleut toujours.

Frédéric Nihous
Hormis « mettre en place une une vraie démocratie » (on bégaie un peu au CPNT), le candidat des chasseurs s’adresse au monde rural en toute « simplicité », affichant une partie de son CV au milieu de sa profession de foi. En vue d’un recyclage ? Voilà qui constituerait une jolie ironie quand on sait que sa plus grande envie est de faire la nique aux Verts…

Ségolène Royal
Au-dessus d’un portrait en noir et blanc où elle apparaît figée (à côté, sa réplique de cire du Musée Grévin doit paraître dynamique), Ségolène Royal se réclame du « changement ». Paradoxe ? Son « ordre juste » passe d’abord par une réhabilitation de la valeur-travail (à l’instar de Sarkozy…) et la candidate PS exprime ses souhaits comme une parfaite chef d’entreprise — à coups de « gagnant-gagnant » et de « donnant-donnant » : bof-bof… La sienne (pas si petite au demeurant puisque labellisée « utile ») connaîtra-t-elle une nouvelle crise ?

Nicolas Sarkozy
Sur l’affiche du film Le Président frappée du slogan de la SNCF des années 90, l’homme, curieusement couvert d’une aura de lumière, affiche un sourire « force tranquille » sur sa tête de vainqueur. Raël ? Non, Nicolas. L’alerte n’a pas sonné dans les médias pendant la campagne et l’homme pressé a désormais toutes les raisons de croire qu’avec lui, « tout devient possible ». Surtout le pire, annonce la profession de foi du champion de la droite décomplexée : dérèglementation du travail, Etat gendarme, darwinisme économique et social, politique d’immigration moisie… « Travail, sécurité, patrie », la sainte trilogie selon Sarkozy : c’est pas l’Amérique, mais on y est presque. Tremblez « fainéants, crasseux, drogués, alcooliques, pédés, femmes, parasites, jeunes, vieux, artistes, taulards, gouines, apprentis, Noirs, piétons, Arabes, Français, chevelus, fous, travestis, anciens communistes, abstentionnistes convaincus…[2] » ! Sarkozy le dit lui-même : « Je ne vous mentirai pas, je ne vous trahirai pas, je ne me déroberai pas. » Traduisez : il va nous mettre la misère.

Gérard Schivardi
Le parti des travailleurs à la campagne soutient le maire de la rupture avec l’Union européenne. Truculente mais cryptée, sa parole de bon vivant ne porte pas ses convictions. Comme disait le regretté Coluche en ces temps incertains : « Gérard ! Le pinard, c’est pas interdit que je sache ! » Alors Gérard, passe boire un coup après les élections.

Philippe de Villiers
Sur des thèmes aux relents nauséabonds, son credo : prendre des voix à Le Pen et les donner à Sarkozy.

Dominique Voynet
Victime de la réalité du changement climatique, l’écolo plus ultra et ses amis auront réalisé (à défaut de voynetisation) l’écologisation des esprits. Quelle victoire, mes amis ! Si les voix ne se comptent pas en nombre, les têtes sont conquises. Alors marteler les idées vertes sur du papier recyclé (?) n’a de sens aujourd’hui que pour parvenir à les concrétiser, ce que Voynet n’a pas réussi à montrer. « On ne fera pas d’écologie sans les écologistes ! », dit-elle. Eh ben si. On regrette d’autant plus que sa campagne n’ait mis l’accent que sur ce thème…

Texte :
Cynthia Cucchi & Pascal Luongo
Photomontage : Damien Boeuf & Bettina Pellieux

Notes

[1] A faire, un test dont on mesure mal l’utilité mais qui s’avère plutôt ludique. http://www.lemonde.fr/web/vi/0,47-0@2-823448,54-885760,0.html

[2] Tirade de candidature de Coluche en 1981