Edito n° 183

Edito n° 183

A l’heure où le Président consent à ne pas nous rendre des comptes… (lire la suite)

The cheap show

A l’heure où le Président consent à ne pas nous rendre des comptes[1] et où nous nous interrogeons tous fébrilement du menton pour savoir qui connaît la réponse à la question « Comment éviter Nicolas Sarkozy ? » , embrouillés que nous sommes par le questionnaire « politique » à choix multiples, on dirait bien que ça sent le sapin. Dans ces ténébreuses circonstances, toi, lecteur de Ventilo, ami des lettres, mécène de la culture, découvreur de sensations s’il en reste, tu préfères comme tout un chacun ne pas demander ton reste et te réfugier dans le giron de ce qui te fait rêver. Tu suis donc, distraitement ou non, la diffusion des Victoires de la Musique.
Et là, c’est le drame.
Que les récompenses soient décernées selon une logique absurde, soit. Ce fait coutumier ne scandalise plus que mollement le téléspectateur car, comme l’a dit Bertrand Cantat avant de prendre son prix, « nous ne sommes pas dupes ». On ne peut toutefois que s’esbaudir devant l’ampleur du « kitsch show » proposé samedi dernier. Un décor démesurément fat et tarte à la crème, des images de synthèse qui suggéraient le retour imminent du Gros Bill de Lagaff ou d’Hugo Délire, un duo d’animateurs mal accordés et plus que maladroit dans l’impro[2]… Et ce n’était que le début des hostilités. C’est d’ailleurs en vain qu’armée d’un petit pistolet en plastique, la courageuse Anaïs tentait un putsch. Dans cet élan noble mais avorté de révolte, toi aussi, téléspectateur engagé, tu voulus réagir aux événements les plus grotesques. Alors tu tapais 1 sur ton téléphone portable pour éliminer Renaud Donnedieu de Vabres pendant son discours affligeant. Tu promettais un don de trois sacs de riz devant les zigotos du Soldat rose chantant l’amour version Enfoirés. Tu parrainais Grand Corps Malade pour qu’il retourne à l’école puisque manifestement, il kiffe grave Jacques Prévert. Et lorsque le duplex pharaonique avec Polnareff s’engluait dans le pathétique, Michel bavotant un « Merci à tous ceux qui n’ont pas écouté les ragots », tu envoyais en bas d’écran un SMS sibyllin : « Rendez nous le mec au cancer ! »
Bref, il a fallu attendre les dernières minutes de l’émission pour que Ayo, guitare sèche, jolie voix, joli minois sans minauder et dont la chanson, bien que limpide, ne casse cependant pas trois pattes à un canard, redéfinisse involontairement à elle seule ce à quoi on était censés assister ce soir-là : de la musique.
Alors, pour paraphraser Monsieur Manhattan, que faire ?
Et si on sortait un instant de nos déceptions, de nos vitupérations de Français du dimanche, de nos cinés à nous, de nos musiques à nous, de nos actions à nous, pour nous ouvrir vraiment à ce qui peut nous enrichir ? Car un peu plus tôt ce jour-là sur la Canebière, la communauté kurde de Marseille nous apprenait la signification de l’engagement citoyen, par le biais d’un tract invitant toutes les femmes du monde à continuer à se battre pour leurs droits. Alors que ces militants luttent actuellement en faveur de leurs ressortissants sans papiers détenus au centre de rétention du Canet, ce bout de papier fédérateur et solidaire émis par le Bureau des Femmes Kurdes pour la Paix invitait à un élan de citoyenneté universelle au-delà de la multitude d’actions communautaires autarciques.
Aussi, plutôt que de laisser une chance à des médias dont le seul but est de nous abrutir, demeurer vivant sera le premier acte de résistance face au désespoir ambiant. Les plus valeureux cumuleront les gestes gratuits et insensés[3]. Les autres ouvriront bien les yeux, prêteront bien l’oreille, et se mélangeront : ces quelques micro actes de résistance (voire d’hygiène quotidienne) suffiront à nous élever au rang de rebelles aux yeux de certains de nos aspirants au trône, nous garantissant sans effort la conscience de faire partie de la vie citoyenne.

Texte : Nina Druscko

(1) (2)

Notes

[1] « La France, je l’aime autant que je vous aime. » No comment.

[2] Face à un homme déboulant sur le plateau pendant la chanson d’Agnès Jaoui en psalmodiant « Le cancer peut se guérir par des méthodes naturelles », Nagui réagit en disant grosso modo : « On ne vient pas vendre nos disques lors de votre émission sur le cancer, alors ne venez pas vendre votre cancer ici ! »

[3] On peut voir fleurir ces derniers temps dans le deuxième arrondissement des affiches aux messages efficaces : « Bonne journée », « J’aime vous voir sourire », etc.