Edito 264

Edito 264

Les jeux sont faits. Depuis le 8 juin — soit le même jour que l’ouverture du procès d’un fameux parieur, Jérôme Kerviel, belle coïncidence —, la France a officiellement légalisé les jeux d’argent en ligne. Un véritable tapis rouge déroulé par l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) pour onze opérateurs, parmi lesquels figurent les sociétés de quelques invités du Fouquet’s (le restaurant de luxe où le petit Nicolas a fêté sa victoire en 2007) et l’une des machines à sous les plus rentables de l’Etat : la Française des Jeux (1). Si l’entrée en vigueur de la loi est due avant tout à une injonction de la Commission européenne, en 2007, la tenue de la coupe du monde de football en Afrique du Sud trois jours après l’ouverture à la concurrence de ce juteux marché a sans nul doute précipité le vote de nos députés. D’autant que ledit marché ne se développe jamais autant qu’en temps de crise : la légalisation des jeux d’argent aux Etats-Unis date de 1931, l’instauration de la loterie nationale moderne en France, de 1933.
Malgré les multiples précautions prises par l’autorité de régulation (campagne de prévention sur Internet, interdiction de l’accès des mineurs aux sites agréés, messages de prévention contre l’addiction…), les conséquences sociales et sanitaires engendrées par cette ouverture des paris en ligne promettent d’être lourdes : risques d’addiction plus élevés, difficultés financières, voire surendettements…
Et par-delà l’horreur d’un système qui démunit encore et toujours les plus faibles (financièrement et psychologiquement) au profit des amis de Sarkozy plus forts, la tendance qui fait du jeu — et par extension, du hasard — le seul espoir de vie meilleure a de quoi nous effrayer. Dans une société où les banquiers n’ont qu’à demander pour que les Etats réparent leurs erreurs sans aucune contrepartie ou presque, où les plus hauts fonctionnaires de l’Etat cumulent les salaires, où le désespoir, le chômage et la misère ne cessent de croître, le jeu apparaît en effet comme la seule porte de sortie pour bon nombre de nos concitoyens. Mais qu’est-ce au juste que le jeu, sinon une vaste supercherie, une grande illusion ? Jouer, c’est espérer, d’un « sale espoir », comme disait Boris Vian. Jouer de l’argent, c’est payer un impôt sur l’espoir (comble du cynisme dans une société désespérée), indirect et volontaire — et en tant que tel, parfait symbole de l’idéologie libérale —, parent « pauvre » et exact opposé de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune. Les riches ne s’en remettent jamais au hasard, ou alors « pour rire », au casino, là où on joue vraiment. Les pauvres et les « moyens », eux, achètent, consomment en sacralisant ce qui n’est qu’une proposition mensongère. Et à ce jeu-là, on peut parier que la société française n’en sortira pas gagnante.

CC

Notes
  1. La Française des Jeux, qui assure l’organisation et l’exploitation des jeux de loterie en France, est une société d’économie mixte dont le capital est détenu à 72 % par l’Etat (20 % par les émetteurs, 3 % par les courtiers-mandataires et 5 % par les salariés). C’est l’Etat qui autorise les jeux, fixe le montant des prélèvements publics et approuve le budget et les comptes de La Française des Jeux. Les prélèvements de l’Etat sur les mises ont représenté 2,5 milliards d’euros en 2008.[]