Edito 226

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Les Celtes mercenaires

« 4 millions d’Irlandais grincheux prennent en otage 500 millions d’Européens heureux et fiers de l’être. » C’est en substance le message commun délivré depuis le 12 juin par les instances politiques et médiatiques affligées d’entendre répondre non au seul référendum organisé sur le continent à propos de l’adoption du Traité européen de Lisbonne. Que l’on s’en réjouisse ou que l’on en pleure, le résultat est le même. Ou plutôt devrait être le même. Car, vous l’aurez noté, question Europe, quand c’est oui, c’est la bonne réponse. Quand c’est non, au mieux, on vous repose la question, au pire, on ne vous demande plus votre avis.
La décision du peuple celte n’a donc pas beaucoup affolé les dirigeants des 27 : « Ah bon ? Ils ont dit non, les buveurs de Guiness ? Vous en faites pas, ils diront oui la prochaine fois. Ils nous ont déjà fait le coup en 2001. » Ce propos – imaginaire ? – aura été entendu ce week-end dans la bouche des 26 autres chefs d’Etat de l’Union. Et tous en chœur ont pu déclamer que lorsque tous les Parlements nationaux auront adopté le texte et que seule restera la petite Irlande, elle n’aura plus qu’à s’aligner ou dégager. Bel exemple de démocratie, n’est-ce pas ? Il n’est pas question d’être pour ou contre Lisbonne et pourquoi. Le vote français du 29 mai 2005 a été suffisamment débattu pour que chacun ait un avis argumenté. Le problème ici est que la construction européenne n’en est pas à son premier déni. Elle admet même souffrir d’un déficit démocratique. Le poids du peuple européen en son sein est trop faible. Le Parlement européen élu au suffrage universel direct ne dispose que de pouvoirs secondaires ; les vrais espaces de décision se situant au niveau de la Commission et du Conseil des ministres qui adoptent seuls les fameuses directives. L’actualité illustre clairement ce manque de légitimité populaire. La France et les Pays-Bas refusent la Constitution européenne ? On prend les mêmes et on recommence avec un texte quasi identique. L’Irlande renvoie le Traité dit simplifié dans les cordes ? Malgré la nécessité juridique d’obtenir l’unanimité pour être adopté, le Traité semble devoir survivre malgré tout. Quand la démocratie dit non, on lui met des gifles jusqu’à ce qu’elle dise oui ?

Texte : Victor Léo
Illustration : Sophie Lavillegrand