Dans la peau de…

Dans la peau de…

Député dans les quartiers nord depuis 2002, Frédéric Dutoit se présente confiant aux élections législatives. Il est un des derniers représentants de la gauche anti-libérale dans la région, et l’un des seuls à nous avoir reçus avec tant de simplicité. Au fait, la vie d’un député au quotidien, c’est quoi ?

Frédéric Dutoit

Député dans les quartiers nord depuis 2002, Frédéric Dutoit se présente confiant aux élections législatives. Il est un des derniers représentants de la gauche anti-libérale dans la région, et l’un des seuls à nous avoir reçus avec tant de simplicité. Au fait, la vie d’un député au quotidien, c’est quoi ?

L’emploi du temps :
Mardi matin :
« L’Assemblée Nationale concentre ses réunions de travail les mardis et mercredis. Je prends le TGV de 6h, j’arrive à l’Assemblée à 9h30. Je commence par ma réunion de groupe comme tous les députés. »
Mardi après-midi :
« Après le déjeuner, il y a les séances d’actualité à 15h qu’on peut voir à la télévision, et à partir de 16h, les textes de lois en cours sont présentés. Là, c’est le grand débat, qui va jusqu’à… ça dépend, quand le Président en a marre, 21h, 22h… 2h, 3h, toute la nuit s’il le faut, ça dépend des sujets, de l’urgence à faire passer une loi… »
Mercredi matin :
« Là, on se tape les commissions avec tous les groupes politiques confondus. Chaque député est dans une commission, j’étais aux affaires culturelles et sociales. On prépare les textes de lois, on fait le travail non visible… C’est pour ça que l’absentéisme est un faux problème, car c’est en commission qu’on fait vraiment le boulot… »
Mercredi après-midi :
« On commence par les séances d’actualité et ensuite à partir de 16h, c’est l’adoption des textes de lois en séance publique. (…) En fait, les textes peuvent être élaborés et votés toute la semaine, même si tout est concentré sur le mardi et le mercredi. Dans chaque groupe, on est de permanence en fonction de la commission à laquelle on appartient. Par exemple, si je bosse sur un texte qui est discuté le mardi, les jours suivants, je me tape tout le boulot, de l’audition jusqu’aux séances publiques pour défendre mon travail… là, c’est nuit et jour… il n’y a pas de 35 heures !… Et je passe volontairement sur le travail que fait chaque député pour préparer ses dossiers dans ses commissions, les auditions et tout le reste… »

Le travail en commission :
« C’est bien, car on met de côté tout ce qui est politicien. On est au cœur de la matière, on travaille vraiment ! On dialogue, on négocie chaque amendement, on est plus déchargé… des médias : ce n’est pas public, donc on est plus tranquilles, on travaille vraiment sur le contenu. Et c’est là qu’on voit qu’il y a des questions qui dépassent le clivage et les positionnements droite/gauche, comme lorsqu’on a abordé les textes concernant les intermittents du spectacles… Et pourtant, quand nous nous sommes retrouvés dans l’hémicycle, le gouvernement voulait absolument faire passer la loi et là, même les députés de droite qui étaient d’accord avec nous en commission ne sont pas venus ou ont été obligés de se ranger. C’est dramatique… »

Le travail à l’Assemblée :
« Un truc est sûr : dans l’hémicycle, l’apparence prend le pas sur le débat de fond, on est dans la représentation. La caricature, ce sont les séances d’actualité… Par exemple, tout le monde sait que les journalistes ne sont là que jusqu’à une certaine heure : donc avant 18h ou 19h dans l’Assemblée, c’est le cinéma, et c’est péjoratif pour le cinéma ! (sourires) Un vrai cirque, et c’est péjoratif pour le cirque !! (rires) Après, dans la soirée, le débat devient plus vrai, plus serein… Parfois j’ai presque l’impression que ce sont électeurs qui nous demandent d’être autant « en représentation » lorsqu’il y a du monde. (…) C’est rigolo, en séance publique, on se vouvoie, on se tape sur la gueule, et en dehors de ça, on se tutoie. Après les interruptions de séance, de retour à l’assemblée, tout est mis en scène, y a même un public… »

Les amis :
« On a des relations de travail tout à fait normales ; on se côtoie à la buvette, au restaurant, au café, on va acheter les journaux au même kiosque… Bien sûr qu’on se fait des amis de tous bords politiques : l’humain, c’est l’humain, le combat politique n’empêche pas le respect de l’autre. En fait, c’est comme au boulot, les amis se font surtout à l’intérieur de la même commission. Je me suis fait des copains du PS ou de l’UDF, et même Christine Boutin quand je bossais avec elle, c’était une copine, même si on n’était d’accord sur pas grand-chose… »

Les débuts :
« J’étais très impressionné, j’étais l’un des plus jeunes il y a cinq ans… Pour moi qui suis un minot des quartiers nord, qui ne sors pas de l’ENA ni de Sciences Po, me retrouver dans ce haut-lieu de la République Française, ça fait quelque chose, surtout le premier discours sur le perchoir avec le gouvernement qui est en bas… Mais au fond, je reste le militant que j’étais avant d’être député, ce qui me nourrit vraiment, c’est la vie des quartiers, le quotidien… »

A Marseille :
« J’ai une journée de permanence, parfois plus… Mais vous savez, les gens pensent que parce que vous êtes député, vous êtes Dieu et que vous avez le pouvoir de régler tous les problèmes, même individuels… C’est dramatique, car je suis confronté à des situations très difficiles et je ne peux rien promettre, j’essaie juste d’agir… Mais jamais, jamais je ne me sers de ces promesses démagogiques qui pourrait m’assurer un électorat mais qui tue la relation au politique. »

2007 :
« Ce qui m’inquiète le plus, c’est quand le débat contradictoire est balayé par le rouleau compresseur, la grande majorité dominatrice… Là, il n’y a plus de débats, plus de respect, ça peut être dangereux… Mais vous savez au fond, j’ai confiance, je crois en l’humain… »

Propos recueillis par nas/im