Charlie Jazz Festival

Charlie par cœur

 

Pourquoi le festival vitrollais Charlie Jazz, prévu cette année du 1er au 3 juillet, est-il l’un des meilleurs de la région ? Parce qu’on connaît l’attachement de l’organisation aux valeurs de justice sociale et environnementale : les artistes conviés partagent en effet des idéaux de métissage et l’ensemble de l’évènement est un bain de bien-être dans une périphérie métropolitaine rongée par la peste brune.

 

 

Les têtes d’affiche, cette année, confirment cette orientation. Ainsi du trio Jokers de l’accordéoniste Vincent Peirani : ce n’est pas parce que le Nissard est un virtuose du piano à bretelles qu’il a oublié de défendre un jazz libre et contemporain, lorgnant vers le rock le plus actuel avec son trio de feu (Federico Casagrande, guitare ; Ziv Ravitz, batterie). Quant au Crosscurrents trio, il devrait nous transporter au-delà même d’un autre monde : dans un univers parallèle. Sa musicalité transcende les cultures : le légendaire contrebassiste Dave Holland, entouré du sémillant saxophoniste Chris Potter et du percussionniste Zakir Hussain, tient le cap du métissage tous azimuts, depuis qu’il a tracé sa route il y a près d’un demi-siècle avec un certain Miles Davis ! Quant au sax’ ténor Jan Garbarek, cela fait au moins vingt-cinq ans qu’il nous pourvoit d’ondes bienfaisantes dans une esthétique aux couleurs scandinaves qui lorgnent vers l’ailleurs — il sera lui aussi accompagné d’un percussionniste indien, maître des tablas, Trilok Gurtu.

Peut-on parler de « premières parties » pour les autres propositions ? Thomas de Pourquery, qui avait retourné le public sur la terrasse du Mucem il y a deux ans, nous permettant d’échapper à la sinistrose pandémique, revient avec son Supersonic, comprenant notamment son confrère sax’ Laurent Bardainne, pour nous amener jusqu’à la Lune avec son nouveau répertoire Back to the Moon. Il fraiera d’ailleurs également avec l’expérimentateur Étienne Jaumet pour un set électro qui devrait amener le public jusqu’au bout de la nuit. Direction l’Éthiopie le samedi soir : le fantasque violoniste Théo Ceccaldi a convié deux chanteuses d’Addis-Abeba pour déployer Kutu, un set conviant rythmes et mélodies azmaris pour une transe infinie — et l’on sait que la coopération d’Éthiopien·ne·s avec les Européens peut produire des joyaux musicaux, comme c’est le cas ici. Et quoi de mieux que la spiritualité électro-jazzy de The Fuse, porté par le démiurge claviériste Tony Paeleman, pour titiller les neurones et les bassins ? Son trio pourvoit des ondes puissantes et chatoyantes à souhait.

Quant aux « avant-premières parties », elles méritent plus que le détour. Ainsi du Line & Borders trio, composé de créatrices d’exception : Émilie Lesbros (merveilleuse vocaliste), Leïla Soldevilla (quelle contrebassiste !) et Raphaëlle Rinaudo (harpiste) se jouent suffisamment des codes établis pour émanciper corps et esprits. Plus que des « régionales de l’étape », ces jeunes femmes, reçues en résidence au Moulin à Jazz, devraient plus que convaincre. Autre découverte proposée, le quintet Daïda, se réclamant aussi bien de Christian Scott que de Radiohead : emmené par le batteur Vincent Tortiller, il émerge comme l’une des jeunes formations les plus en vue du jazz actuel. Un autre trio féminin, Nout (la déesse de la voûte céleste dans la mythologie égyptienne), avec son instrumentation pour le moins inédite (flûte traversière, harpe, batterie), porté par le dispositif Jazz Migration, se réclame à la fois de Sun Ra et de Nirvana : il paraît que ça commence en méditation et que ça se termine… en pogo !

N’oublions pas les fanfares à l’heure de l’apéro : elles ne sont pas là pour faire tapisserie. Infernal Biguine rappellera tout ce que le jazz, dans l’hexagone, doit aux Antillais. Liber Spiritus Jazz Band se réclame notamment du free jazz d’Albert Ayler, alignant de redoutables improvisateurs comme le sax’ alto Julien Labergerie ou Simon Sieger au trombone. Et quel plaisir de retrouver Ceux Qui Marchent Debout le dimanche : dans ces âges farouches que nous vivons, ces amis de Rahan, celui-là même qui expliquait le communisme aux enfants, distillent un funk volcanique au service de la joie de vivre depuis plus de trente ans (avec 1 500 concerts à travers le monde). Et si l’on ne peut plus sortir de cet îlot d’utopie qu’est le festival vitrollais, on pourra toujours danser jusqu’au bout de la nuit et même au-delà sur les son d’Hyperactive Leslie : le batteur bidouilleur d’électro Antonin Leymarie, en faisant référence à la mythique « cabine » Leslie, placera très haut la barre du groove.

Alors, oui, retrouvons-nous en ce début d’été au domaine de Fontblanche pour cette insurrection des sens que nous propose l’association Charlie Jazz…

 

Laurent Dussutour

 

 

Charlie Jazz Festival : du 1er au 3/07 au Domaine de Fontblanche (Vitrolles).

Rens. : www.charlie-jazz.com

La programmation complète du Charlie Jazz Festival ici