Ça planche n° 186

Ça planche n° 186

Actu / Elles un projet du Théâtre de la Mer
Shellachrymellaecum par The Buchinger’s Boot Marionnette
Mohican Dance / La puce à l’oreille, deux pièces par le Cartoun Sardines Théâtre
Caligula d’Albert Camus par Charles Berling
La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès par Iljir Selimoski

Actu / Elles
_Un projet du Théâtre de la Mer
Mon premier évoque Médée, la magicienne de l’Antiquité, mais surtout la femme, l’amoureuse malheureuse, répudiée par celui pour lequel elle a tout sacrifié. Face à elle, d’autres femmes, d’aujourd’hui, témoignent de leur quotidien, offrant un écho troublant à l’histoire tragique de leur ancêtre. Mon deuxième « essaie de manifester, en chair et en jeu », la parole d’anonymes, histoire de « laisser une trace ». Mon dernier raconte le rêve amoureux et universel, ces histoires d’amour si différentes et pourtant si proches. Mon tout est un projet conçu par Frédérique Fuzibet et Akel Akian qui, pendant deux ans, ont recueilli les témoignages d’habitants des 2e, 3e, 13e et 14e arrondissements sur le thème de l’amour, pour les confier ensuite à trois metteurs en scène. Au final, trois formes courtes, confrontant parfois ces paroles du quotidien à des textes du répertoire contemporain ou classique. Et — surtout — une démarche de proximité, qui essaie d’inscrire le public dans le processus de création et le spectacle vivant au cœur de la cité, à l’instar du travail remarquable mené par le Théâtre de la Mer depuis vingt-cinq ans.
_Du 4 au 6 dans les Quartiers Nords et du 11 au 14 à la Minoterie

Shellachrymellaecum
_Par The Buchinger’s Boot Marionnette
Fruit de l’imagination de Patrick Sims, Shellachrymellaecum est un mot censé traduire l’indicible. A la manière d’un triptyque de Jérôme Bosch, The Buchinger’s Boot Marionnette met en scène un bestiaire répugnant qu’on croirait tout droit sorti de l’atelier d’un taxidermiste. Mi-hommes, mi-bêtes, les marionnettes sont ici les tristes jouets du Destin, incarné par le gant noir et implacable des manipulateurs. La poésie sonore et visuelle de Sims nous plonge dans un monde angoissant, oscillant entre jeu macabre et provocation permanente. Ses créatures à l’expression figée font voler en éclats tous les tabous — non sans un certain humour. Mi-amusé, mi-choqué, le public est fasciné par le surréalisme de la pièce et les transgressions morales qu’elle impose à la vue. Il se surprend à éprouver de la compassion pour les tristes créatures qui s’agitent vainement sur scène. Pitoyables et pourtant touchantes, comme ces sinistres « bébés-monstres » que l’on clone, reproduit, puis supprime dans leur sommeil. Volontairement énigmatique, Shellachrymellaecum est un merveilleux fourre-tout, où l’on vient avec délice se perdre un moment.
_Mer 4 & jeu 5 aux Bancs Publics

Mohican Dance / La puce à l’oreille
_Deux pièces par le Cartoun Sardines Théâtre
Depuis plus de vingt ans, la joyeuse troupe du Cartoun Sardines Théâtre réinvente, en revisitant des grands textes ou en créant des spectacles féeriques et bouillonnants, le théâtre populaire. Un théâtre « où l’on va comme on va au restaurant », aime à préciser Philippe Car, l’une des deux têtes pensantes de la compagnie (avec Philippe Ponce). Invités par le Théâtre Comœdia, ces délirants saltimbanques joueront, après avoir « réimaginé » l’hypocondriaque de Molière la semaine passée, leur tout premier succès : Mohican Dance (datant de 1982, du temps où la compagnie n’avait pas encore pris son nom à la mythique sardine du Vieux Port). Une comédie policière façon Tex Avery, où les deux hommes incarnent tous les personnages hauts en couleur de cette parodie hilarante. On les retrouvera ensuite là où on ne les attendait pas : dans La puce à l’oreille ! Où il s’agira bien évidemment de revoir et corriger la pièce de Feydeau, en démont(r)ant les mécanismes de mise en scène, en exposant l’envers du décor. Une jolie mise en abîme qui dépoussière et redynamise ce classique du boulevard.
_Jeu 5 & sam 7 au Théâtre Comœdia (Aubagne)

Caligula
_D’Albert Camus par Charles Berling
Cette pièce de jeunesse d’Albert Camus porte en elle tous les thèmes chers à l’auteur de La peste : l’absurdité de la condition humaine et l’absolue nécessité de la révolte. Car ce Caligula-là est, au-delà du despote sanguinaire que l’Histoire décrit, un personnage complexe. Un homme torturé par le bonheur impossible de ses congénères, un être révolté qui va sombrer dans la folie par détresse : « Caligula, prince relativement aimable jusque-là, s’aperçoit à la mort de Drusilla, sa sœur et sa maîtresse, que le monde tel qu’il va n’est pas satisfaisant. » Jusqu’à devenir un monstre de cynisme, brandissant l’étendard de la liberté pour justifier l’inqualifiable. Saisissant l’universalité et l’intemporalité de la pièce de Camus, Charles Berling livre un spectacle résolument contemporain, utilisant les symboles de notre société et tous les artifices du théâtre moderne et « total » pour décrire, non sans humour (noir), la folie des puissants. Metteur en scène et rôle principal de son Caligula, il coiffe ici toutes les casquettes, semblant rendre un étrange hommage à la mégalomanie de l’empereur romain.
_Du 10 au 14 au Théâtre du Gymnase

La nuit juste avant les forêts
_De Bernard-Marie Koltès par Iljir Selimoski
De par sa forme — un long soliloque de soixante-trois pages proféré par un personnage sans nom — et les thèmes qu’elle aborde (le désir, l’impossibilité de communication…), La nuit juste avant les forêts figure, du propre aveu de Koltès, le commencement de son œuvre. Seul sous une pluie battante, un homme marche et parle. Pour combler ses manques ou oublier sa peur, exorciser ses démons ou exister, tout simplement, il va tenter vainement de retenir un inconnu (« camarade » imaginaire) par tous les moyens dont il dispose, à commencer par la parole. En raison de son relatif hermétisme, ce texte d’un lyrisme sauvage impose à son adaptation scénique une interprétation sans faille. Succédant entre autres à l’acclamé Denis Lavant, Iljir Selimoski se propose, sous la houlette de Catherine Marnas, d’incarner cet « étranger » et de porter à bras le corps cette parole qui l’a mené au théâtre. « Etant moi-même fils d’immigrés, je connais ses mots, je les entends, je les comprends comme une musique familière. » Si Selimoski connaît la chanson, il serait dommage de louper son récital.
_Du 10 au 12 au Théâtre des Salins (Martigues)

CC / JL