Ça planche n° 177

Ça planche n° 177

Le dernier guerrier de Massimo Schuster par le Théâtre de l’Arc-en-terre
Le médecin malgré lui de Molière par la Cie Chatôt-Voyoucas
Le 6e jour de François Cervantès par la Cie L’Entreprise
Blancheneige d’après les frères Grimm par le Badaboum Théâtre
Les oranges d’Aziz Chouaki par le Théâtre de la Mer

Le dernier guerrier de Massimo Schuster par le Théâtre de l’Arc-en-terre
_ Jusqu’au 3/02 au Théâtre de Lenche
Macbeth, Les Trois Mousquetaires, le Mahabharata… Qu’elles soient françaises, danoises ou indiennes, Massimo Schuster aime les grandes épopées, faites de valeureux héros, d’amours contrariées, de cris et de sang. Autant d’histoires qui rappellent la grande et qui, dans l’écriture du truculent Franco-Italien, offrent un écho particulièrement incisif à l’actualité. Et voilà trente-cinq ans qu’épaulé par des artistes de tous bords (plasticiens, sculpteurs, écrivains, musiciens…) et entouré de marionnettes — ces choses « qui nous aident à nous libérer de la violence, à en sourire même » — il redonne vie, avec une verve mordante et savoureuse, à des « textes porteurs de ces valeurs humanistes que les sociétés occidentales contemporaines, bâties sur des notions de compétitivité et de profit, ont tendance à reléguer au rayon des vieilleries. » Cette fois, c’est donc à la mythologie grecque (et au passage à la modernité) que notre homme s’attaque via ce Dernier guerrier qui, non content de (re)donner toutes ses lettres de noblesse à l’art de la marionnette, sert aussi un théâtre politique, éminemment salvateur par les temps qui courent.

Le médecin malgré lui de Molière par la Cie Chatôt-Voyoucas
_ Jusqu’au 10/02 au Gyptis
Andonis Vouyoucas n’a jamais touché à Molière. Par pudeur, par respect, mais aussi parce que la tâche est bien plus délicate qu’il n’y paraît. La question de savoir si l’on doit encore ou non monter Molière ne se pose pas tant le génie de l’artiste n’est plus à prouver. Le problème est de savoir comment le monter. Sur ce point, Vouyoucas s’en sort bien. Le parti pris d’être fidèle à la lettre et à l’esprit de cette farce mordante donne une réelle légitimité au spectacle. Les comédiens, qu’ils jouent ou non, sont constamment sur scène, le grotesque est pleinement assumé — voire communicatif — et l’épure du décor oblige à se concentrer sur l’impressionnante rythmique du texte. On regrettera tout de même un certain flottement lors de la première (et mythique) scène, celle où Sganarelle et Martine se querellent, et le jeu parfois approximatif et brouillon de certains seconds rôles. Ceci dit, ces quelques « accrocs » n’empêchent pas le plaisir d’éclore, plaisir qui, au vu des applaudissements suscités, ne sera boudé que par les mauvaises langues…

Le 6e jour de François Cervantès par la Cie L’Entreprise
_ Jusqu’au 17/02 au Massalia Théâtre
Comment un clown, en l’occurrence Arletti, peut-il parvenir à nous expliquer la Genèse ? Vaste question, programme insurmontable s’il en est puisque, par définition, le clown est hors du monde… Au commencement, il y a le verbe… Ça, on le sait tous. Mais ce qu’on sait moins, c’est qu’avant le commencement, il y a les gestes. Et encore avant le commencement du commencement, il y a… la poésie. Et Arletti est un poète, un brin naïf certes, mais un poète quand même. Et ce généreux troubadour-là va nous raconter l’Homme. Par de petits entrechats, il va enjamber l’univers et revenir en arrière car il faut bien arriver au début. Pourtant il doute, est-il bien au début ? Mystère… Cette merveilleuse collaboration entre l’auteur François Cervantès et l’interprète Catherine Germain n’est pas née de la dernière pluie. Le projet, créé en 1998, semble ne pas vouloir vieillir, à la mesure d’une belle utopie, celle d’un monde à visage humain… A voir et à revoir.

Blancheneige d’après les frères Grimm par le Badaboum Théâtre
_ Du 3 au 17/02 au Badaboum Théâtre
De Blanche-Neige, la majorité d’entre nous n’a gardé en mémoire que la vision kitsch et manichéenne de Disney. Le conte des frères Grimm recèle pourtant d’autres « vérités » que Laurence Janner, dans une mise en scène audacieuse et interactive, se propose ici de mettre à jour : cette histoire est simple, mais aussi cruelle (comme le sont souvent les contes qui ont peuplé notre enfance). Et pour nous la conter, l’équipe du Badaboum utilise moult sortilèges scéniques — ombres projetées, marionnettes, images numériques — qui, loin de noyer le propos dans des exercices de style superflus, le servent malicieusement. Sublime et insolente, Blancheneige, qui se mire désormais dans des images de synthèses, enthousiasme les petits et envoûte les grands. Pendant près d’une heure, on met notre imagination à contribution, en suggérant (par des voix, le bruitage et la musique) plus qu’en ne montrant : au spectateur d’inventer l’image qui va avec. Bref, une émotion magique et pure, comme la neige qui sert de décor à ce conte sensible et sensuel.

Les oranges d’Aziz Chouaki par le Théâtre de la Mer
_ Du 6 au 10/02 à l’Espace Culturel Busserine
Tant à travers des textes de théâtre que par le biais de spectacles transmettant des extraits d’interviews de personnes issues de l’immigration, le Théâtre de la Mer axe depuis plusieurs années son travail autour de la notion de mémoire collective et individuelle. On ne s’étonnera donc pas de voir cette compagnie « de proximité » (installée dans les quartiers Nord de la ville) s’attaquer à l’œuvre d’Aziz Chouaki, ce romancier du quotidien algérien. A travers le vécu d’un personnage, Les Oranges (sous-titré L’histoire de l’Algérie vue d’un balcon) restitue la mémoire d’un peuple déchiré et de son lent et difficile parcours vers la liberté. Mais foin de pathos chez Chouaki : son écriture aborde des thèmes graves (la colonisation, l’indépendance, la montée du terrorisme, le chaos, la mort) avec cocasserie et humour mordant. Elle est dense et vive, riche en images, joyeuse et généreuse. Dans la mise en scène juste et enthousiaste d’Akel Akian, Belkacem Tir donne vie, « entre one-man show et récit épique » au bagout chatoyant de l’auteur.

CC/LV