Edito n° 143

Edito n° 143

On en a beaucoup parlé ces dernières semaines et pour cause : Gouverner Marseille, le passionnant ouvrage co-écrit par le journaliste Michel Samson et l’anthropologue Michel Peraldi, débarque.. (lire la suite)

Bonne Mère !

On en a beaucoup parlé ces dernières semaines et pour cause : Gouverner Marseille[1], le passionnant ouvrage co-écrit par le journaliste Michel Samson et l’anthropologue Michel Peraldi, débarque en librairie quelques jours seulement après la fin de la grève à la RTM (et alors que la question du service public reste en suspens…) et en pleine « crise des banlieues ». En parfaits connaisseurs de la vie (politique) locale, les deux éminents auteurs auront d’ailleurs tôt fait de dissiper ce malentendu selon lequel la cité phocéenne aurait échappé, comme par miracle, à l’embrasement en chaîne de ses voitures. Non pas, comme on pourrait (à tort ou à raison) le penser, parce qu’une automobile à Marseille est aussi sacrée qu’une vache en Inde. Plus simplement parce que si le phénomène est plus diffus, il n’en est pas moins réel et préoccupant : comme le rappelle le correspondant du Monde Michel Samson à chacune de ses interventions publiques, sur un an, on compte plus de voitures carbonisées à Marseille qu’en Ile-de-France pendant les trois semaines d’émeutes… Cette fausse « exception phocéenne » n’est que l’une des nombreuses légendes urbaines qui ont bâti l’image atypique de la ville et que Gouverner Marseille décortique, patiemment, et réfute, brillamment. Particulièrement éclairant à l’heure où l’on fête le centenaire de la Loi de 1905[2], séparant l’Etat français des églises, le dernier chapitre revient sur le mythe du « cosmopolitisme » marseillais, démontrant à l’aide d’arguments irréfutables que ces « communautés » qui cohabitent pacifiquement dans la ville ne sont que des chimères, soigneusement entretenues par les politiques à des fins électorales. Quel rapport avec la laïcité ? La discrète mais bien réelle existence d’une communauté : celle de l’Eglise catholique, « communauté religieuse la plus hiérarchisée et la mieux organisée (c’est même la seule dont les élus écoutent officiellement les homélies)… » Une Eglise dont la puissance s’étale publiquement — Notre-Dame de la Garde, plus qu’un symbole ! — et dont l’influence sur nos élus, bien que confidentielle, n’en est pas moins indiscutable. En témoignent deux « anecdotes » édifiantes relatées, parmi tant d’autres, par Samson et Peraldi, qui rappellent dans un premier temps le rendez-vous rituel des instances politiques et religieuses lors de la messe du Sacré-Cœur (auquel Marseille est consacrée depuis 1722). Une célébration religieuse très privée à laquelle aucun maire — à l’exception du communiste Jean Christofol en 47, mais en comptant le protestant Gaston Deferre — ne s’est soustrait depuis ! Et que dire de ce récent « acte manqué » de Jean-Claude Gaudin, « mangeur d’hostie » avoué, qui a « généreusement » et instantanément offert, en avril dernier, une demi-journée de congé aux employés de la ville et de la communauté urbaine pour célébrer la mort de Jean-Paul II[3] ? Et si, en fin de compte, c’était cela, la véritable « exception phocéenne » — à savoir des pouvoirs publics directement liés à une église, au mépris d’un principe fondamental de la République aujourd’hui centenaire[4] ? Sarkozy en a rêvé ? Gaudin l’a fait !

Texte : CC
Photo : Karim Grandi-Baupain (également auteur de celle de la semaine dernière)

Notes

[1] Gouverner Marseille de Michel Samson et Michel Peraldi (éd. La Découverte)

[2] Point d’orgue des manifestations prévues cette semaine, le colloque « Cent ans de laïcité : des chemins pour l’avenir », les 9 et 10 au Palais du Pharo. Rens. au 04 96 11 04 61.Et aussi à Marseille : Débat sur la loi 1905 ce mercredi à 19h au Tempo Sainte-Anne (388 avenue de Mazargues, 9e) et conférence, « La France a-t-elle une politique religieuse ? » par Laurent Stefanini, le 9 à 18h à l’ Espace Ecureuil (26 rue Montgrand, 6e).Dans les parages : Conférences « Laïcité en 1905, Laïcité en 2005 : faut-il rouvrir le débat ? » par Dominique Borne (président de l’Institut européen des sciences des religions) le 8 à 18h30 à la Cité du Livre (Aix-en-Pce) et « L’idéal laïc : fondements, histoire et enjeux » par Henri Pena-Ruiz le 10 à 20h30 à la Maison du Tourisme de Martigues (Rens. 04 42 42 31 10)

[3] Après les attaques « sans grande conviction » des Verts et de certains socialistes suite à cette “bourde” (du même niveau que la dissolution de l’Assemblée nationale en 97 !), le maire de secteur Bruno Gilles (UMP) s’est empressé de surenchérir : « La France, fille aînée de l’Eglise, se devait de rendre un hommage officiel à Jean-Paul II. (…) La polémique politique engagée par ces chantres de la tolérance est particulièrement mal venue en ces temps de deuil pour des dizaines de millions de nos compatriotes. »

[4] Vous noterez le mode interrogatif de cette assertion. Nous avouons en effet une complète ignorance en ce qui concerne les autres grandes villes françaises…