Black Swan (USA – 1h43) de Darren Aronofsky avec Nathalie Portman, Vincent Cassel…

Black Swan (USA – 1h43) de Darren Aronofsky avec Nathalie Portman, Vincent Cassel…

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Il suffira d’un cygne

La principale réussite du dernier film de Darren Aronofsky réside peut-être dans sa capacité à transcender un scénario a priori archi-rebattu : le thème du double, de la dualité intérieure, du bien et du mal, de la face lumineuse et de la face sombre, bref de cette tarte à la crème psychologique qui a pu accoucher de chef-d’œuvres chez Hitchcock ou chez Lynch comme d’insondables navets chez tant d’autres.
Nina obtient le premier rôle du Lac des Cygnes de Tchaïkovski. Danseuse modèle, la femme-enfant n’a aucun mal à interpréter le cygne blanc. Mais parviendra-t-elle aussi à incarner le cygne noir, double tragique de l’angelot palmipède ?
Comme dans The Wrestler, son précédent long-métrage, le réalisateur américain place le corps au cœur de son récit. Un corps en action, brutalisé par le travail, qui souffre, et se transforme. Un corps qu’on scrute, qu’on regarde sans cesse, dans les yeux. La force de Black Swan repose aussi sur sa volonté et sa capacité à nous perdre, à troubler nos repères dans ce jeu de fausses pistes où il est parfois difficile de démêler le fantasme de la réalité. Le double se conjugue ici au pluriel, chaque personnage féminin — la mère, l’étoile déchue, l’amie danseuse — agissant comme une projection déformée de la pauvre Nina. Plus qu’un miroir, Black Swan est un joli kaléidoscope dont l’expérience se révèle aussi excitante qu’éprouvante. Pour rajouter au cauchemardesque de ce ballet d’initiation, Aronofsky joue d’un grain très épais, faussement amateur, qui, dans les moments de tension extrême, agrémente le fantastique d’un zeste d’épouvante. L’ensemble est terriblement efficace. Tout comme la bestialité de Mickey Rourke illuminait le précédent film d’Aronofsky, l’ambivalence de Nathalie Portman apporte ici une justesse sans laquelle l’entreprise aurait été vaine, voire ridicule. Malgré quelques tics préjudiciables — le réalisateur de Requiem for a dream n’a jamais fait dans la demi-mesure —, on gardera longtemps en mémoire certaines images du film, très fortes, très intenses, comme ce final inéluctable et magnifique, en cygne d’adieu.

nas/im