Alexandrin’s not dead

Alexandrin’s not dead

Depuis le début de la saison, les jeudis de la Ferronnerie se veulent poétiques et un brin surréalistes. Une semaine sur deux, Bulldozer s’y avale à grands coups de (douze) pieds… (lire la suite)

Depuis le début de la saison, les jeudis de la Ferronnerie se veulent poétiques et un brin surréalistes. Une semaine sur deux, Bulldozer s’y avale à grands coups de (douze) pieds

Quelle drôle de mouche a donc piqué Maxime Dejoux-Guidot ? Dans Bulldozer, le spectacle qu’il a entièrement écrit et interprète seul, le bonhomme a choisi de donner la primauté à la parole, au langage par les mots. Jusque-là, rien d’exceptionnel, pourriez-vous rétorquer, même en ces temps où la création théâtrale aime à laisser s’exprimer d’autres matériaux. Mais Dejoux-Guidot n’a pas arrêté son Bulldozer au milieu du chemin ; l’« engin » pousse un peu plus loin, offrant une vraie « nouveauté » sous la forme d’une résurrection de… l’alexandrin ! Là, vous avez bien lu : le fameux douze pieds de long, le plus parfait des vers, celui pour lequel se serait damné, entre autres, ce bon vieux Racine. Aïe ! Contrairement à ce que nous enseigne l’adage, au théâtre, ce n’est pas forcément dans les vieilles marmites que se préparent les meilleures tambouilles… Heureusement (pour lui comme pour nous), l’auteur parvient à tirer son épingle de cette bonne meule de contraintes (inutile de le dire, d’habitude c’est « l’aiguille dans le foin » ou « l’épingle du jeu »… mais la portée n’aurait pas été la même). Ainsi la métrique propre à la versification classique est-elle avant tout le moyen d’imprimer musicalité et rythme à l’écriture de Dejoux-Guidot. Au-delà, selon les propres mots de l’auteur, le travail résulte d’une « expérimentation, d’un traficotage ludique ». Comment pourrait-on d’ailleurs prendre au sérieux un personnage qui digère difficilement le bulldozer qu’il vient d’ingurgiter ? Qui frappe à coups de marteau les moutons qu’il compte mais qui l’empêchent de dormir ? Qui tord le cou à un toucan qui n’a pas sa langue dans sa poche ? Qui, enfin, s’épanche tous les dimanches sur l’épaule d’une femelle hippopotame aux dons de psychanalyste ? Définissant son spectacle comme un « vagabondage poético-existentiel », il semble que l’auteur ait oublié d’intercaler les « onirico- », « absurdo- », et « surréalisto- » qui se devaient. Trop long peut-être, moins élégant sans doute. Du reste, l’univers que renferme Bulldozer n’en est pas moins singulier : un bric-à-brac farfelu au milieu duquel, tout de même, le personnage central parvient à confier un assez familier mal à l’âme. Sur la petite scène de la Ferronnerie, il le fait droit dans les yeux (des spectateurs, chacun à leur tour) : l’emballage est brut, sans guère d’artifices. A l’exception de cette valise que le personnage trimballe. Une valise noire qu’on n’imaginerait pas forcément rouge ou d’une quelconque autre couleur ; simplement moins plastique « Samsonite » et bien plus cabossée, comme l’est le parcours de celui qu’elle accompagne.

Guillaume Jourdan

Jeu 23 (et un jeudi sur deux) au Théâtre de la Ferronnerie. Rens. 04 91 08 16 06