Solo à la croisée des codes du théâtre et de la danse (1h15). Conception et mise en scène : Vincent Thomasset. Collaboration artistique et interprétation : Lorenzo De Angelis
Bien avant qu’une partie de l’humanité ne découvre les joies du confinement, certains individus s’étaient déjà retirés de l’espace public de leur propre gré, cloitrés à domicile dans une cage d’écrans, de livres, pour fuir la société et la fonction qu’ils y tenaient. Il s’agit au Japon d’un phénomène à part entière, les « hikikomoris », vivant des mois ou des années durant dans leur chambre, qu’ils ne quittent que pour des impératifs corporels ou autres. Ce renoncement inspire au metteur-en-scène Vincent Thomasset un solo sur les fonctions du corps dans le jeu social, soit récepteur ou acteur, ainsi qu’une réflexion sur les modèles, féminins ou masculins, auxquels il est sommé de correspondre – et auxquels se soustraient donc les « hikikomoris », à l’instar du fameux Bartelby de Melville qui « préférait ne pas ». Transversari rend compte de ce geste extrême, de cette évasion héroïque, à travers les mouvements d’un danseur, qu’il place dans une boîte lumineuse animée par des textes écrits et des paysages sonores, caverne moderne dans laquelle résonnent les inhibitions engendrées au contact du monde extérieur.
BIO
Vincent Thomasset est metteur en scène, chorégraphe et auteur. Après des études littéraires à Grenoble, il travaille en tant qu’interprète avec Pascal Rambert de 2003 à 2007, puis intègre la formation Ex.e.r.ce (Centre Chorégraphique National de Montpellier), point de départ de trois années de recherches. Depuis 2011, il produit des formes reproductibles en créant notamment une série de spectacles intitulée La Suite. En 2013, il crée Bodies inthe Cellar, puis Médail Décor en 2014, troisième partie de La Suite dont l’intégralité est reprise au Centre Pompidou avec le Festival d’Automne à Paris en 2015. Cette même année, la pièce Lettres de non-motivation, sur un texte de Julien Prévieux, est présentée au Festival La Bâtie à Genève puis repris au Théâtre de la Bastille et au Centre Pompidou avec le Festival d’Automne à Paris. En 2018, trois de ses pièces sont reprises à la Biennale de Venise. Il est artiste en résidence au !POC! Alfortville en 2018-2019.
Distribution
Conception, mise en scène, texte Vincent Thomasset
Collaboration artistique, interprétation Lorenzo De Angelis
Création sonore, musiques originales Pierre Boscheron
Création lumière Vincent Loubière
Création vidéo Baptiste Klein & Yann Philippe
Scénographie Marine Brosse
Costumes Colombe Lauriot-Prévost
Création masques Etienne Bideau-Rey
Regard extérieur Ilanit Illouz
Assistant mise en scène Glenn Kerbiquet
Production, diffusion, administration Clara Achache (avec Marie Ponçon)
TNM La Criée Les 05 et 6 oct. : 19h30 6/13 € www.actoral.org
30 quai de Rive Neuve 13007 Marseille 04 91 54 70 54
Article paru le mercredi 15 septembre 2021 dans Ventilo n° 450
Actoral 21
Le jour d’après
Pour sa vingt et unième édition, le festival Actoral se déploie dans ce qu’il sait faire de mieux, avec une programmation éclectique qui prend le pouls d’un XXIe siècle déjà bien installé.
Le jour d’après est devenu la dramaturgie de notre quotidien. Tout un chacun cherche le commencement d’une histoire dont il ne maîtrise pas les aboutissants. Le monde redevient un laboratoire d’hypothèses dont l’imagerie est incertaine, parce que les grands dogmes ont explosé. Actoral a construit patiemment un réseau d’ententes et de rapprochements qui offrent au devenir de la scène un champ infini des possibles. De la danse au théâtre, de la performance au music hall, l’interprète ouvre des portes et passe de l’une à l’autre dans une aisance proche de la respiration. À la manière de Fritz the Cat, la déambulation devient le lieu d’une rêverie et d’un fantasme inassouvi. Aucune morale n’est pas épargnée et tout se désintègre dans une reconstruction de l’instant. Dans le prolongement d’une expérience génétique, l’art se jette dans des propositions éparpillées, sans ordre préétabli, abolissant la norme et la norme mâle. Il en ressort des sentiments plus ou moins marqués, des souvenirs éparpillés qui ne laisseront qu’une infime trace dans le lointain, mais la dynamique de l’instant présent persiste et construit des relations et des réseaux pérennes, comme autant de plateformes sur lesquelles le travail peut se reconstruire. Actoral aime les success story (Jonathan Capdevielle, Gisèle Vienne, Miet Warlop, Valérie Mréjen), des artistes accompagnés depuis leur début qui deviennent des références. De par l’ampleur de sa programmation, les sujets brûlants de l’actualité ne manquent pas (le transgenre, le féminisme, le dystopique, l’immatériel). Mais il n’est pas question de forum et de débat d’idées dont raffolent les plateaux télé. Ici, le cheminement et la construction d’une pensée se cognent à la réalité de la scène et transcendent le corps de l’interprète. Un halo diffuse le passage du temps, l’odeur du doute, le questionnement du sexe, l’inconscient, la famille, l’argent, le pouvoir. Tout ce qui interroge l’humanité dans son essence et son devenir, dans sa culture et sa rupture.
Monument de kitsch et d’outrance au point d’être devenu culte, le film Showgirls montre l’ascension et la déchéance de son héroïne, une ancienne prostituée déterminée à faire carrière à Las Vegas. Galvanisé par ses précédents succès Total Recall et Basic Instinct, Paul Verhoeven a le champ un peu trop libre pour son époque et ne trouvera pas son public parmi ses contemporains qui, au contraire, raillent son film pour son mauvais goût. La carrière cinématographique de son interprète, la belle Elisabeth Berkley (aka Jessie dans la série pour pré-ados Sauvés par le gong) en fera ainsi les frais. Tout étant affaire d’époques, presque trente ans plus tard, le tandem Marlène Saldana et Jonathan Drillet réhabilite l’œuvre choc dans un spectacle mêlant Beckett et culture queer. Un monologue sur fond de pole dance donnant à entendre les injonctions les plus cruelles du film et le son électro de Rebeka Warrior (Sexy Sushi).
NB : L’auteur sera également au festival Les Correspondances de Manosque en rencontre avec Julie Ruocco le 25/09.
Elisabeth Gets Her Way de Jan Martens
Comme le dit Jan Martens, venir voir « un portrait dansé d’Elisabeth Chojnacka, une claveciniste polonaise qui vivait à Paris, décédée il y a quatre ans, vous pourriez penser “Ce n'est pas pour moi (je le pensais aussi)”. » Et pourtant, le chorégraphe flamand réussit une fois de plus à réinventer sa danse. Il nous fait découvrir, corporellement et avec des documents d’archives, des souvenirs de ses collaborateurs, cette incroyable artiste engagée et avant-gardiste, pour laquelle plus de quatre-vingts compositeurs (parmi lesquels Ligeti, Montague, Krauze, Xenakis, Finzi, Nyman…) ont écrit des œuvres ! Une musique complexe et intense dont les boucles répétitives font vibrer le corps de Jan Martens, à la manière d’un capteur de sons, une vibration électrique, un chaos de pulsations rythmiques… Ou, devenue plus fluide, une musique qui mute en une danse tantôt énergique, enjouée, puis « caresse », en opposition aux frappés rugueux des touches du clavecin. Une musique qui reprend le pas sur la danse et confirme une fois de plus le talent de Jan Martens pour nous surprendre avec génie.