Théâtre visuel : performance à la lisière de la danse, du récital et du concert (45'). Conception et direction artistique : Miet Warlop. Musique et interprétation : Pieter De Meester, Wietse Tanghe, Miet Warlop & Midas Heuvinck
À mi-chemin entre la performance, la chorégraphie, le théâtre et les arts plastiques, Miet Warlop construit des univers fantasques peuplés d’inventions visuelles. Avec Ghost Writer and the Broken Hand Break, elle signe une proposition étonnante à la lisière de la danse, du récital et du concert.
L’écriture de la performance repose sur l'obsession du mouvement concentrique: pendant trois quarts d'heure, tels des derviches tourneurs, trois interprètes évoluent en cercle. Dans le silence tout d’abord, puis arrive la musique, les lumières brillent : la scène tout entière devient alors mouvement... Un spectacle hypnotique qui place l’attraction physique au centre et qui joue avec nos perceptions.
Miet Warlop (1978) est une artiste plasticienne belge. Elle vit et travaille entre Gand et Bruxelles. Elle est titulaire d’un master en «Arts Multimédia» de l’université de KASK et remporte notamment le prix Franciscus Pycke avec son projet de fin d’études en 2004. Suivent ensuite de nombreux projets (performances, actions, installations). En 2005 elle crée SPORTBAND/Afgetrainde Klanken, une performance de 40 minutes mettant en scène 20 personnes qui courent contre le temps, à travers musique et sports de combat. Entre 2006 et 2007, Miet Warlop est l’une des six artistes associés de DE BANK où elle travaille sur une série de propositions - Big Heap/ Mountain. Entre temps, elle est responsable du décor pour les performances de Pieter Genard, Raven Ruëll, DitoDito-Jef Lambrecht, et Les Ballets C de la B. Pendant sa tournée européenne, elle crée Springville (2009, Arts Centre Buda, Kortrijk), 50 minutes d’un jeu de chaos, d’attente et de surprise, dans lequel scénographie, costumes, accessoires et personnages se mêlent et entrent en fusion. Miet Warlop s’installe ensuite trois ans à Berlin, pour s’y concentrer sur son travail de plasticienne et préparer Mystery Magnet, créée au Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles en 2012. La pièce est jouée plus de 100 fois dans le monde et gagne de nombreux prix. Dans les années 2012-2013, elle explore différentes possibilités artistiques avec Nervous Pictures. Elle expose à Londres, Vilnius et Berlin. En 2014, Miet Warlop développe sa propre structure, Irene Wool, et continue d’exposer son travail dans les capitales européennes. Elle clôture l’année par l’ouverture de sa première exposition en solo : Crumbling Down The Circle of my Iconoclasm à la Kiosk Gallery, Gand. Ses créations sont regroupées dans une rétrospective que lui consacre la Artweek de Berlin en 2017. La même année, Miet Warlop est également invitée par le festival Actoral. Elle y collabore avec l’auteur et conservateur Raimundas Malasauskas pour L’Objet des Mots. De cette rencontre naît Ghost Writer and the Broken Hand Break, qu’elle présente aujourd’hui à Actoral, ainsi que Big Bears Cry Too, un spectacle tout public.
TNM La Criée Les 05 et 6 oct. : sam 19h - dim 16h 6/13 € www.actoral.org
30 quai de Rive Neuve 13007 Marseille 04 91 54 70 54
Article paru le mercredi 18 septembre 2019 dans Ventilo n° 433
Actoral #19
L’Interview
Hubert Colas
Malgré une baisse des financements institutionnels, Actoral maintient ses ambitions pour une dix-neuvième édition sous le signe, une fois de plus, de la transversalité artistique. « Osons encore cette pensée que les artistes d’aujourd’hui guident nos regards, nos intuitions, nos compréhensions et nos plaisirs pour un mieux vivre ensemble », nous suggère Hubert Colas, le directeur du festival et de Montévidéo, qui nous a accordé un entretien pour l’occasion.
Le festival a dix-neuf ans, c’est presque une génération et la transversalité est devenue la norme dans le théâtre contemporain…
Oui, cette durée dessine un chemin et pour la nouvelle génération d’artistes, il est clair que la problématique de la transversalité n’est plus une thématique mais un fait que tous les nouveaux médias mettent en place. Les artistes s’y sont adaptés. L’univers artistique est très polymorphe. Même dans la littérature : cette année, Théo Casciani présente ici une forme plastique de la littérature. Actoral est parti des nouvelles écritures, de la poésie sonore. Il y a dix-neuf ans, ce mouvement se régénérait, allait vers le théâtre, la danse pour interroger ces formes ; à présent il les a contaminées. Quand on a créé ce festival, on était en plein dans la non-danse et aujourd’hui, j’oserais dire qu’Actoral est une représentation du « no-théâtre » dans le sens où tout peut être du théâtre à partir du moment où il y a du vivant dedans. Finalement, ce que nous présentons, ce sont des formes très hybrides qui cherchent des cadres et des expositions.
Il y avait aussi beaucoup d’autofiction…
Oui, il y avait un renouveau autour, par exemple, de Christine Angot, qui était aux premières éditions du festival, mais la question de l’autofiction ne se pose plus de la même façon. Il est plus difficile en littérature aujourd’hui de se poser comme un corps unique, avec ses petites histoires, son quotidien ; le monde force le regard de l’écrivain à être multiple, à donner au cadre son importance.
Au théâtre, l’émergence des collectifs (comme TG Stan par exemple) a laissé entendre que tout était possible pour tout le monde. On pouvait être metteur en scène, acteur ou scénographe. Aujourd’hui, l’écriture de plateau revient avec plus de légèreté en tenant compte de l’économie, de l’écologie et de la notion de partage. On dit qu’il y a moins d’argent, ce qui est faux. En réalité, il y a plus d’argent qu’avant, mais moins d’argent partagé.
Il y plus d’argent pour le divertissement et moins pour l’art ?
On pourrait presque dire que ce qui était qualifié de divertissement il y a dix ans s’est rapproché de l’art ; et le divertissement d’aujourd’hui, c’est le populisme, quelque chose qui n’est plus de l’ordre de l’art ou de la culture mais purement de l’ordre de la distraction des populations. Laisser croire que la culture est à cet endroit-là est, de mon point de vue, un danger.
Sans un art fort, sans une culture politique forte et un renoncement à une pensée politicienne de la culture, il n’y a pas d’art. L’art est en danger et ce danger se bâtit dans la peur qui est à plein d’endroits. Peur de la répression mais aussi peur de l’inculture, peur de ne pas comprendre, de ne pas être en capacité d’analyser immédiatement ce que l’on est en train de voir. On devient bête en cherchant à éviter d’être bête ; c’est important d’être bête pour comprendre.
L’art contemporain est toujours autant critiqué…
Rencontrer l’art nouveau, pour ne pas dire contemporain, est une appréhension du sensible, c’est écouter ce qui se passe en nous au moment de la rencontre de l’autre ou de l’objet artistique. Cette sensation qui existe chez chacun d’entre nous est colmatée par le phénomène de la consommation, de l’immédiateté de la réalisation du désir, des images qui nous identifient ; c’est ça qui se joue aujourd’hui. Avec Actoral, depuis le début, je milite pour le désir de la curiosité, de la découverte, d’oser prendre un risque, d’où la multiplicité des propositions, à des tarifs peu élevés, permettant de préférer ceci à cela. Il nous faut constamment réapprendre ce que nous pouvons désirer car la société, le politique et l’économique cherchent à nous téléguider. Voir une forme nouvelle est de l’ordre de l’expérience de la vie, on ne peut pas le comparer tout de suite avec ce que la culture nous a permis d’analyser dans un art du passé. L’art contemporain ne correspond pas aux cadres qu’on a appris, laissons le venir dans notre esprit avec son temps, voyons ce qu’il en restera, c’est le mouvement d’une population qui crée son futur au moment où il le vit. L’art n’est fait que pour nous animer positivement ou négativement.
Qu’est-ce qui a changé depuis les années 80 ?
Avant les années 80, l’idée d’un plus grand nombre d’artistes n’existait pas : on donnait peu de place à l’expression féminine qui, en prenant de l’importance, a développé une altérité du regard et nous a permis d’appréhender l’art autrement. Jack Lang a favorisé l’idée que l’on pouvait tous plus ou moins être artiste ou du moins en mesure de pouvoir regarder l’art. L’art ne vit, n’existe que parce qu’il y a un regard. Cela est repris maintenant sur un versant négatif, celui du libéralisme, de la consommation, du dressage de la pensée et un versant positif, celui d’une écoute, d’une vision des œuvres avec un regard plus planétaire, une passation de l’intelligence. L’idée que nos nations représentent un fantasme de liberté, alors qu’elles sont un fantasme de régression autoritaire, nous laisse encore une marge de manœuvre. Le challenge de la modernité est de sauver l’esprit humaniste. C’est peut-être une utopie, mais je me refuse à dire que c’était mieux avant, parce que je l’entendais déjà quand j’étais jeune. De toute façon, nous n’avons pas d’autres choix, on peut décélérer le monde sur le plan économique, c’est fondamental, mais pas sur le plan de la modernité, elle est ce que nous devrons partager. Il peut y avoir de la répression, une élite cherchant à assujettir la masse, mais il y a malgré tout des résistances profondes et une vigilance populaire qui se fait entendre. C’est bien pourquoi le pouvoir a peur.
Que penses-tu des problèmes de subventions que tu as rencontrés cette année et dont tu fais mention dans ton édito ?
J’ai été inquiet toute l’année, j’ai passé vraiment du mauvais temps et du mauvais sang depuis quelques mois. Au bout de dix-neuf ans, vivre cela est une douleur que je ne souhaite à personne. Que l’institution ne bouge pas plus par rapport à ce que l’on met en place est également difficile pour les gens qui travaillent avec moi, même si on pourrait dire que c’est un apprentissage pour ce qui est de défendre l’art contemporain. Tenir une ligne avec deux fois moins de moyens, c’est compliqué. La France a un problème de riches, pas de pauvres : un problème de redistribution des richesses et non un problème de pauvres qui veulent piquer du fric aux riches. L’argent tourne dans des endroits de renommée, de capitalisation ou de patrimoine, mais il y a une frilosité globale. Nous dire « On ne comprend pas ce que vous faites, expliquez-nous », c’est comme dire à un peintre devant sa toile « Expliquez-moi ce que vous allez faire ». C’est ridicule, c’est une question d’ignorant.
D’autant plus que le résultat est là pour Actoral en termes de public, de notoriété…
Oui, mais le regard du politique est différent aujourd’hui. On en parlait tout à l’heure, la notion de divertissement est descendue de quelques étages, pour devenir de la soupe. On peut fêter des tas de choses, la ville, la pêche, la nourriture, mais pas le qualifier d’art ou de culture. Les politiques utilisent cette confusion dans une optique électoraliste devenue indécemment claire, puis nous qualifient d’élitistes. Le monde du capital ne peut être, au bout du compte, que populiste, même si il ne l’est pas dans son discours. Pour faire de l’argent, il faut toucher le plus grand nombre de gens possible, or l’on pense que l’art contemporain s’adresse au plus petit nombre, ce qui est faux bien entendu. L’art a le temps pour lui, il restera toujours, pas les politiques et ils le savent, c’est pour cela qu’ils en ont si peur.