Le tandem Simon Johannin & Jardin poursuit son expérience entre brutalité poétique et électronique dans Brûler dans la Ville.
D’un côté, les récits de Simon Johannin, crus et tendres, sales et sensibles, découlant du bitume, d’un ressenti chaotique du quotidien, d’une certaine jeunesse. De l’autre, la techno performée de Jardin, autotunée, ambiante, ou projetée dans un mur de bruit. La rencontre a déjà eu lieu en 2020 pour actoral, lors d’un croisement cathartique intitulé Texte et Techno. Dans cette nouvelle performance Johannin y déroule le monologue d’un homme se parlant à lui-même pour s’accrocher à la raison, à la recherche d’une femme dans une ville de bord de mer, après quelque bouleversement collectif. Le dernier EP de Jardin, Exode, se confrontera à ce récit, ainsi qu’à une sélection d’images et de vidéos glanées au gré du « grand burn-out urbain ».
Biographies
Né à Mazamet dans le Tarn en 1993, Simon Johannin a grandi dans l’Hérault. Il quitte le domicile parental à 17 ans et s’installe à Montpellier pour suivre des études de cinéma à l’Université, qu’il déserte rapidement. Il travaille ensuite en intérim, puis comme vendeur de jouets, avant d’intégrer l’atelier d’espace urbain de l’école de La Cambre à Bruxelles de 2013 à 2016. L’Été des charognes paraît en janvier 2017 aux éditions Allia. Un premier roman brutal, chronique foudroyante d’une enfance rurale. Il coécrit ensuite Nino dans la nuit (2019), avec Capucine Johannin, roman dans lequel ils racontent les errances de la jeunesse précaire d’aujourd’hui. En 2020, Simon Johannin publie, toujours aux éditions Allia, Nous sommes maintenant nos êtres chers, recueil de textes poétiques renouant avec l’univers de ses romans.
Jardin est le solo de Lény Bernay. Sur les routes entre la Belgique et la France, iel produit une musique aussi indéfinissable que le monde qui l’entoure. Miroir d’un.e artiste face à une réalité complexe et chaotique, entre Oui Futur, Church of Euthanasia et Puissance de vie. Artiste transdisciplinaire, iel définit sa pratique de la musique contemporaine comme une pratique artistique totale. Ses collaborations avec des artistes et auteur.ice.s tel.le.s que Les Bâtards Dorés, Simon Johannin, Marguerite Humeau ou encore Mathilde Fernandez et Cecile di Giovanni l’ont conduit à présenter son travail entre les salles de théâtre, les lieux d’art contemporain et les scènes de musiques actuelles. Sa direction artistique est le prolongement de ses textes, de ses gestes et de ses enjeux politiques et esthétiques. Par ailleurs engagé.e dans l’agriculture urbaine, Lény Bernay a sorti 3 LP vinyles et auto-produits deux EP sur son label Cultural Workers.
TNM La Criée Les 07 et 8 oct. : 19h30 6/13 € www.actoral.org
30 quai de Rive Neuve 13007 Marseille 04 91 54 70 54
Article paru le mercredi 15 septembre 2021 dans Ventilo n° 450
Actoral 21
Le jour d’après
Pour sa vingt et unième édition, le festival Actoral se déploie dans ce qu’il sait faire de mieux, avec une programmation éclectique qui prend le pouls d’un XXIe siècle déjà bien installé.
Le jour d’après est devenu la dramaturgie de notre quotidien. Tout un chacun cherche le commencement d’une histoire dont il ne maîtrise pas les aboutissants. Le monde redevient un laboratoire d’hypothèses dont l’imagerie est incertaine, parce que les grands dogmes ont explosé. Actoral a construit patiemment un réseau d’ententes et de rapprochements qui offrent au devenir de la scène un champ infini des possibles. De la danse au théâtre, de la performance au music hall, l’interprète ouvre des portes et passe de l’une à l’autre dans une aisance proche de la respiration. À la manière de Fritz the Cat, la déambulation devient le lieu d’une rêverie et d’un fantasme inassouvi. Aucune morale n’est pas épargnée et tout se désintègre dans une reconstruction de l’instant. Dans le prolongement d’une expérience génétique, l’art se jette dans des propositions éparpillées, sans ordre préétabli, abolissant la norme et la norme mâle. Il en ressort des sentiments plus ou moins marqués, des souvenirs éparpillés qui ne laisseront qu’une infime trace dans le lointain, mais la dynamique de l’instant présent persiste et construit des relations et des réseaux pérennes, comme autant de plateformes sur lesquelles le travail peut se reconstruire. Actoral aime les success story (Jonathan Capdevielle, Gisèle Vienne, Miet Warlop, Valérie Mréjen), des artistes accompagnés depuis leur début qui deviennent des références. De par l’ampleur de sa programmation, les sujets brûlants de l’actualité ne manquent pas (le transgenre, le féminisme, le dystopique, l’immatériel). Mais il n’est pas question de forum et de débat d’idées dont raffolent les plateaux télé. Ici, le cheminement et la construction d’une pensée se cognent à la réalité de la scène et transcendent le corps de l’interprète. Un halo diffuse le passage du temps, l’odeur du doute, le questionnement du sexe, l’inconscient, la famille, l’argent, le pouvoir. Tout ce qui interroge l’humanité dans son essence et son devenir, dans sa culture et sa rupture.
Monument de kitsch et d’outrance au point d’être devenu culte, le film Showgirls montre l’ascension et la déchéance de son héroïne, une ancienne prostituée déterminée à faire carrière à Las Vegas. Galvanisé par ses précédents succès Total Recall et Basic Instinct, Paul Verhoeven a le champ un peu trop libre pour son époque et ne trouvera pas son public parmi ses contemporains qui, au contraire, raillent son film pour son mauvais goût. La carrière cinématographique de son interprète, la belle Elisabeth Berkley (aka Jessie dans la série pour pré-ados Sauvés par le gong) en fera ainsi les frais. Tout étant affaire d’époques, presque trente ans plus tard, le tandem Marlène Saldana et Jonathan Drillet réhabilite l’œuvre choc dans un spectacle mêlant Beckett et culture queer. Un monologue sur fond de pole dance donnant à entendre les injonctions les plus cruelles du film et le son électro de Rebeka Warrior (Sexy Sushi).
NB : L’auteur sera également au festival Les Correspondances de Manosque en rencontre avec Julie Ruocco le 25/09.
Elisabeth Gets Her Way de Jan Martens
Comme le dit Jan Martens, venir voir « un portrait dansé d’Elisabeth Chojnacka, une claveciniste polonaise qui vivait à Paris, décédée il y a quatre ans, vous pourriez penser “Ce n'est pas pour moi (je le pensais aussi)”. » Et pourtant, le chorégraphe flamand réussit une fois de plus à réinventer sa danse. Il nous fait découvrir, corporellement et avec des documents d’archives, des souvenirs de ses collaborateurs, cette incroyable artiste engagée et avant-gardiste, pour laquelle plus de quatre-vingts compositeurs (parmi lesquels Ligeti, Montague, Krauze, Xenakis, Finzi, Nyman…) ont écrit des œuvres ! Une musique complexe et intense dont les boucles répétitives font vibrer le corps de Jan Martens, à la manière d’un capteur de sons, une vibration électrique, un chaos de pulsations rythmiques… Ou, devenue plus fluide, une musique qui mute en une danse tantôt énergique, enjouée, puis « caresse », en opposition aux frappés rugueux des touches du clavecin. Une musique qui reprend le pas sur la danse et confirme une fois de plus le talent de Jan Martens pour nous surprendre avec génie.