Paola Agosti - Le Temps intérieur

Photos. Commissariat : Florence Mauro & Lea Torreadrado

Entre les montagnes du Piémont et la campagne Argentine, où certains villages ont reçu des immigrés piémontais italiens, Paola Agosti photographie l’immanence de l‘expression et du mouvement des hommes arrêtés dans leur situation de vie, dans les lieux du travail ou de l ‘intime. Paola Agosti fixe l’expression du questionnement et de l’attente, de l’équilibre précaire qui constitue chaque être.
La mariée photographiée, debout, contre un mur, où se trouve suspendue une horloge qui affiche l’heure, semble être exemplaire du travail de la photographe. A travers une forme d’ironie douce, Paola Agosti photographie l’ambivalence du temps: la différence entre le temps éternel que la mariée est en droit de souhaiter à cet instant, et la réalité du temps dans lequel elle se trouve, au sens où le mariage n’est qu’une représentation éphémère de l’amour célébré. En fait, la photo nous rappelle et l’existence nous dit que, le temps est, indubitablement, compté.
Paola Agosti rend compte d’un espace composé : la photo de l’intérieur d’un salon de coiffure montre une direction des regards de chacun des personnages qui converge en un seul point. Ligne de fuite et convergence. C’est aussi la composition de certains tableaux de la Renaissance qui jouent de la découverte récente de la perspective. On pourrait se trouver face à la composition d’un tableau de Piero della Francesca. Ou bien se dire que le peintre aurait pu travailler à partir de ce tableau. L’espace photographié est découpé géométriquement par l’attention des regards et des gestes ainsi que par les éléments du décor, le sol, le peignoir suspendu, le ventilateur.
Et puis, ce regard qui est baissé sur le travail, la photographe l’attrape de face, comme si le photographié questionnait la photographe sur la durée de sa propre attente intérieure. Comme si la photographe avait peut-être une solution à lui donner. Chacun cherchant dans le regard de l’autre, sa propre révélation. Question sur sa propre identité.
Le visage ou le corps reçoit la lumière en silence. Paola photographie la dignité du corps en mouvement où à l’arrêt, la profondeur de l’être, sa gravité intrinsèque. Il s’agit aussi de la gravité de l’exil pour les Piémontais partis vivre en Argentine ainsi que du regard qui questionne l’Histoire, et puis, sa propre « histoire ». Paola Agosti vient d’une famille qui a eu un rôle essentiel pendant la période de la Résistance, Italienne, Européenne. Son père, Giorgio Agosti, grand magistrat et grand résistant a été l’un des fondateurs du Partito d’Azione en 1944 à Turin. Paola Agosti connait cette « passion civile » qui oblige la conscience de certains hommes à résister à l’oppression et combattre de façon permanente pour l’intérêt général. La photographe a cherché à saisir l’engagement des êtres, leur parti-pris à l’intérieur même de leur identité. Et une forme d’humilité.
Photographier les immigrants piémontais en Argentine l’a obligée à créer une distance — la distance imposée par le pays — pour tenter d’enregistrer la profondeur la plus intime sans doute de sa propre origine. Comme si photographier ces visages et ces corps dans des lieux étrangers, différents, forçait le regard à entrevoir entre les traits, la singularité inévitable des paysages d’où l’on vient. Cette confrontation très frontale du photographié et du photographiant m’a ramené au travail de Walker Evans, à ceci près que le travail de Paola Agosti comporte, en plus, une narration précise, un récit à l‘intérieur même de l’espace de son cadre. Cette histoire, la photographe nous permet, de façon presque indicible, et donc totalement émouvante, de nous la raconter à nous-mêmes.

Florence Mauro, 2014


Chapelle des Pénitents Bleus
Mar-dim 10h-12h30 & 14h-19h
Entrée libre
http://www.laciotat.info/les-plages
Esplanade du 8 mai 1945
13600 La Ciotat
04 42 83 89 98