Spoiled Waters Spilled

Projet d’exposition, de performance et de discussions explorant rivières, contamination et circulation au-delà des frontières nationales : œuvres de Atlas de la France Toxique, Minia Biabiany, René Char, Marjolijn Dijkman & Toril Johannessen, Marianne Fahmy, Valentina Karga, Jessika Khazrik pour The Society of False Witnesses, Anouk Kruithof, Daisy Lafarge, Rikke Luther, Lisa Robertson et Elvia Teotski. Dans le cadre des Parallèles du Sud

Spoiled Waters Spilled découle de la circulation organique de substances fluides, comme l’eau et l’air, qui débordent les frontières des États tout en étant affectées localement par l’activité humaine. Rassemblant des artistes qui se plongent dans les problématiques de l’eau et de la toxicité à Marseille et au-delà, puisant même dans l’activisme et différentes formes de protestations, le projet examine comment les polluants industriels, agricoles et domestiques perturbent l’image de « carte postale » des villes, déformant les rivières, les sols, les sédiments et les eaux de surface et profondes, impactant ainsi toutes sortes de corps. Spoiled Waters Spilled vise également à explorer la tension croissante entre le besoin de réponses transfrontalières à un changement climatique anthropique et la fermeture de frontières toujours plus étroite et plus stricte que mettent en place certains États-nations, excluant de nombreux « autres » et externalisant davantage les problèmes écologiques.

Récemment classée parmi les littoraux de la Méditerranée les plus pollués par les plastiques, Marseille, de par sa géographie, ses plages bondées et ses infrastructures portuaires, connaît des soucis de pollution maritime et fluviale depuis longtemps. Cette contamination provient du port, de l’excès de navires de croisière transitant par ses eaux, de la faible qualité de l’air, de l’industrie lourde, notamment avec la présence de raffineries de pétrole et de pôles pétrochimiques — en particulier à l’étang de Berre —, ainsi que du rejet de boues rouges toxiques en mer par l’usine de production d’alumine de Gardanne, principalement dans le Parc National des Calanques. Même le fleuve de Marseille, l’Huveaune, qui traverse le parc du Ballet National de Marseille, a été gravement pollué au cours des dernières décennies.

Elvia Teotski aborde la question de la vulnérabilité écologique et des empreintes toxiques dans la région de Marseille. Prélevant et échantillonnant des substrats, des dépôts, des eaux chargées en particules, elle examine les pollutions invisibles, pourtant dangereuses, et l’impossibilité de les recycler. Minia Biabiany met en évidence un autre scandale localement ancré, se concentrant sur le chlordécone, un insecticide très polluant pour les terres, les nappes phréatiques, la chaîne alimentaire et les organismes vivants qui a été largement appliqué dans les cultures bananières de Guadeloupe et de Martinique entre les années 1970 et 1993. Ce cas, comme celui de la pollution à Marseille, sont examinés dans des affiches issues de l’Atlas de la France Toxique, une compilation de cartes sur les différents types de pollution en France orchestrée par l’association environnementale Robin des Bois. Déjà en 1946, la voix du poète René Char s’élevait contre la contamination des rivières en Provence dans sa pièce de théâtre Le Soleil des eaux. Spectacle pour une toile de pêcheurs. Le poème Rivers de Lisa Robertson rapproche, pour sa part, les nombreux corps qui partagent l’environnement des cours d’eaux, exposant leur vulnérabilité collective aux toxines, aux hormones et au désir.

En réaction aux usines, comme celles de l’industrie textile, qui rejettent leurs eaux usées dans nos réserves aquifères, Valentina Karga travaille avec des colorants naturels mettant l’accent sur une alternative à des processus de production toxiques qui infectent fortement l’environnement. Marjolijn Dijkman & Toril Johannessen nous sensibilisent encore davantage à l’impact du changement climatique filmant à travers un microscope des échantillons de micro-organismes des eaux saumâtres du fjord intérieur d’Oslo, où les traces des activités humaines peuvent être mises en exergue dans les degrés de salinité altérés, la montée du niveau des mers et d’autres phénomènes. Rikke Luther explore également les complexités de la crise environnementale, mais en imbriquant à plus grande échelle de multiples facteurs comme le langage, la politique, la déréglementation financière, le droit, la biologie et l’économie. L’enchevêtrement de la pollution et des affaires publiques est central pour Jessika Khazrik pour The Society of False Witnesses, car elle interroge précisément la relation entre l’écologie et la formation des États-nations, historiquement et de nos jours. Inspirée par le journal d’un océanographe égyptien, membre d’une expédition britannique en mer Rouge dans les années 1930, une mer aujourd’hui soumise à de très forts niveaux de pollution, Marianne Fahmy suggère la collusion existant entre recherche et expédition scientifiques, nationalisme et identité politique.

Plonger dans l’écosystème fragile dans lequel nous vivons aujourd’hui et souligner la contamination pernicieuse de substances dont nous dépendons pour subsister — comme l’eau, la nourriture, l’air — invite à réfléchir comment et s’il est possible de décontaminer et de pratiquer la décroissance. Les voies mêmes empruntées par la pollution pourraient-elles être utilisées pour la guérison? Aucune parcelle de terre et d’organismes vivants ne semble échapper à la toxicité, comme le suggèrent les photographies aériennes d’Anouk Kruithof de marées noires et de décharges de déchets chimiques. Ses sculptures souples ressemblant à des prothèses jouent aussi bien de notre obsession de protection que de notre angoisse de contamination. Daisy Lafarge réfléchit également à la possibilité d’immunisation dans des environnements nocifs. Pouvons-nous raisonnablement « attendre tranquillement les pluies » qui viendraient laver tout poison ou même qu’un miracle nous guérisse?

PARTICIPANTS

Atlas de la France Toxique (France), Minia Biabiany (France), René Char (France), Marjolijn Dijkman & Toril Johannessen (Belgique/Pays-Bas & Norvège), Marianne Fahmy (Égypte), Valentina Karga (Allemagne/Grèce), Jessika Khazrik pour The Society of False Witnesses (Liban), Anouk Kruithof (Pays-Bas), Daisy Lafarge (Royaume-Uni), Rikke Luther (Danemark), Lisa Robertson (Canada) et Elvia Teotski (France).

L’exposition est lancée à Marseille en septembre 2020 dans le cadre de Manifesta 13 - Les Parallèles du Sud, avant de voyager à la Fondation MMAG à Amman, Jordanie en 2021.


Ballet National de Marseille
Lun-mar & jeu-ven 14h-19h + mer 10h-14h
Entrée libre
http://www.ballet-de-marseille.com
20 boulevard de Gabès
13008 Marseille
04 91 327 327