Xavier Bouvet et Bibiana Candia
Rencontre animée par Élodie Karaki
Dans Azucre, son premier roman, l’écrivaine galicienne Bibiana Candia fait renaître une page délibérément arrachée de l’histoire espagnole. Elle raconte le destin de Bigorne, José et Oreste, trois jeunes Galiciens sans le sou, qui s’embarquent pour Cuba en 1853 dans l’espoir de fuir la misère en travaillant dans les plantations de canne à sucre. Appâtés par la promesse d’une vie meilleure, ils seront en réalité réduits en esclavage pour le compte du négrier Urbano Feyjoó-Sotomayor, comme 1700 autres de leurs congénères.
Bibiana Candia restitue sous la forme d’un roman d’aventures cette tragédie qui, jugée humiliante et contredisant la légende dorée de la conquête espagnole des Amériques, a été effacée de la mémoire nationale.
Xavier Bouvet s’est plongé quant à lui dans les archives pour écrire Le Bateau blanc, là aussi un premier roman qui raconte l’histoire méconnue de l’éphémère – et téméraire – gouvernement estonien de 1944. Le 18 septembre 1944, les troupes d’occupation allemandes fuient l’Estonie alors que les troupes soviétiques s’apprêtent à l’envahir. L’avocat Otto Tief, le dernier Premier ministre d’Estonie Jüri Uluots et une poignée de partisans n’ont alors que quelques jours pour restaurer la République avant qu’un navire envoyé par la résistance en exil ne les évacue.
Dans ce roman palpitant, Xavier Bouvet restitue l’esprit de résistance de quelques hommes face à la victoire inéluctable du totalitarisme, alors même que les États baltes, témoins impuissants de l’invasion russe de l’Ukraine, craignent à nouveau pour leur indépendance.
https://www.journalventilo.fr/le-bateau-blanc-de-xavier-bouvet/
Comment la littérature s’empare-t-elle de l’Histoire – la grande, celle qui figure dans les livres – et comment nous la narre-t-elle à travers ses fracas et ses promesses ? Rencontre avec deux auteurs qui ont su mettre au jour des épisodes de l’Histoire passés sous silence.
À lire
« C’est une chose de jouer avec les mots, de se faire l’écho de sa propre petite histoire venue de tréfonds intérieurs, c’en est une autre d’être un figurant anonyme dans la grande histoire. » (Marie Under, poétesse estonienne)Fort de trois ans de recherche, le roman, parfaitement documenté, se caractérise par son rythme fluctuant, cadencé par de multiples ellipses temporelles. Divers portraits se succèdent : Karl Reits, un noble désargenté porteur d’une prophétie, un directeur d’usine insensible au froid, un cercle d’intellectuels dont les dissensions politiques vont séparer les trajectoires. La vie des personnages défile et l’agencement de chapitres parfois condensés peut entraver la compréhension du lecteur, mais également à sa capacité d’identification à certains personnages. Dans cet enchevêtrement de dates, une concentration maximale est requise en début de lecture, afin de ne pas se sentir poussé vers l’extérieur. Mais peut-être que le propos est ailleurs. Si la volonté de l’auteur consistait en une analyse stricte de l’organisation politique ce pays, le format choisi semblerait contredire le propos. En revanche, s’il s’agissait d’exprimer la fugacité de la vie et celle du bonheur, la consistance de l’espoir, force est de constater que l’auteur s’illustre avec brio. En effet, c’est quand il aborde la sociologie et rajoute une part de mythe à l’histoire qu’il s’avère le plus efficace et touchant ; en témoigne l’éclat de pure sensibilité qui se dégage de l’épisode de la Jaanipaëv (sorte de Saint-Jean locale). Il injecte alors, dans son écriture, dans cette manière de nous insérer dans l’histoire, quelque chose d’intemporel. Peu à peu, l’évènement s’incarne et prend forme humaine, nous dévoilant certains éléments de la biographie d’Otto Tief, Premier ministre du dernier gouvernement d’Estonie avant l’invasion des troupes soviétiques suivie de l’occupation nazie. On y découvre l’écrasement progressif de l’homme par la machine politique, mais aussi l’opiniâtreté d’un homme pour qui le sacrifice consiste en une manière de procéder par ordre. À travers la description en filigrane de ce symbole de la résistance nationale, Xavier Bouvet nous livre un récit qui se veut comme un témoignage de la naissance d’une véritable conscience nationale, qui s’érige encore aujourd’hui contre l’impérialisme.
Laura Legeay