A sec de François-Michel Pesenti par le Théâtre du Point Aveugle

A sec de François-Michel Pesenti par le Théâtre du Point Aveugle

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La force de l’âge

Difficile d’écrire sur ce monstre du théâtre qu’est François-Michel Pesenti… Sa compagnie s’appelle Théâtre du Point Aveugle, mais point de cécité dans A sec.

Il y a quelque chose de vital dans ce que nous avons vu le soir de première, quelque chose d’incroyablement viscéral et aride à la fois, qu’on serait en peine de résumer à un seul mot.
Sur un plateau presque désert, mettant à nu les murs gris de la Cartonnerie, six hommes et femmes vont construire leurs personnages. Six acteurs. Des grands. Dont l’âge fait la force. Ils ont le regard qui brille, la voix qui clame, le cœur asséché de larmes mais toujours plein de désir.
Par les bribes de textes, les phrases discontinues et les interruptions brutales de la parole, on comprend très vite qu’il n’y aura pas de narration. Pas d’intrigue, pas d’histoire. Plutôt un tableau vivant, une sorte d’Enfer où se débattent des hommes désespérés, qui taisent leurs espoirs, mais crient à la gueule de l’autre leur amour solitaire.
Sur scène, des acteurs, enfin dépouillés enfin de personnages. Quatre femmes, deux hommes. Elles sont vieilles, fragiles et fortes en même temps. L’une d’elles, totalement nue mais en mules, la soixantaine replète, va et vient, à petits pas sur le plateau, pour finir par réchauffer ses chairs au grand bec bunsen, comme sous un soleil de plomb. Son oubli est joyeux, sa sénilité, ingénue, presque émerveillée. Surgit alors son complet opposé : maigre, hystérique, le visage émacié, le sein décharné qui s’échappe de sa longue tunique bleue, elle alterne vociférations et silences inquiétants. Deux autres femmes encore, plus douces, partagent la scène. Plus mobiles, ces femmes-enfants ont les discours les plus composés. Elles se réjouissent, sautillent dans leurs ballerines, s’exercent à devenir femmes fatales…
Les hommes, discrets, s’approchent, s’allongent près d’elles, dans la plus totale indifférence. Puis elles aussi s’allongent, mais seulement quand l’homme se redresse : les corps ainsi positionnés, attendant patiemment, évoquent toute une histoire de l’humanité, faite de fuites et de suites…
Parmi ces cœurs asséchés par l’existence, on saluera particulièrement la gamme de jeu et le dynamisme de Marianne Houspie, ainsi que l’imposante présence, à la fois forte et agitée, de Pierre Palmi. On ne pourra malheureusement que rendre hommage au grand Boris Lémant, dont l’absence évoquée par une simple béquille et une lecture faite par le metteur en scène lui-même nous émeut, simplement.
François-Michel Pesenti salue ses acteurs, et nous avec. On ne peut que s’incliner devant l’intelligence, la grâce de cette mise en scène et une prise de risque comme on en voit trop peu au théâtre. On sort troublé, muet, le cœur sans doute trop gonflé d’émotion.

Joanna Selvidès

A sec de François-Michel Pesenti par le Théâtre du Point Aveugle : jusqu’au 26/11 au Théâtre des Bernardines (17 boulevard Garibaldi, 1er). Rens. 04 91 24 30 40 / www.theatre-bernardines.org