Plonk et Replonk

Plonk et Replonk + guests – Exagération à la Jetée

Décalage immédiat

Les deux Helvètes underground Plonk et Replonk sont connus depuis 1997 pour leurs détournements de cartes postales Belle Epoque, photomontages kitchs aux légendes aussi drôles que surréalistes issues d’images personnelles ou de fonds d’archives. Ils ont bouleversé le milieu de la carte postale en s’imposant dans la lignée des Monty Python ou de Desproges. Il semblait donc inévitable de les programmer dans le cadre de l’hommage que le Printemps de l’Art Contemporain consacre à l’inventeur du support, le Marseillais Dominique Piazza. Exagération est le titre de leur expo marseillaise à la Jetée et le parti pris de cette rencontre.

 

Interviewer Plonk de Plonk & Replonk revient à se jeter dans le vide sans parachute, en sachant qu’en bas, à tout moment, un tapis de fakir est prêt à se dérouler pour vous recevoir. Autant dire que vous avez intérêt à vous accrocher aux branches qui se présentent à vous, en l’occurrence les sourires du jovial Hubert Froidevaux alias Plonk, pour éviter l’empalement journalistique direct. Pour la circonstance, être rangé dans la catégorie « journaliste aimant les couleurs et les animaux », code plonkien pour designer entre eux le journaleux qui s’est manqué. Ne vous m’éprenez pas, Plonk ne hait pas la presse, il collabore avec elle depuis vingt ans. Chaque semaine, les deux hurluberlus illustrent Le Vigousse, l’équivalent suisse du Canard Enchainé ou de notre Ravi. Ils ont récemment signé un ouvrage avec Fluide glacial. Et n’ont même pas peur de fricoter épistolairement avec Libé, Le Monde
Première étape : coincer le loustic. Pas facile alors qu’il est en pleine préparation d’une affiche pour un festival d’orgues à Toulouse et d’une expo à Montpellier (14-18 = 33 ou une autre vision de la guerre)… La veille, il avait essayé de se dérober en cédant volontiers son tour à son récent coup de cœur, Corentin Houzé, auteur de L’Art de jeter ses déchets à Marseille et autres cartes postales loufoques comme « le permis à point pour être marseillais ». Raté, nous lui avions déjà tiré le portrait !
Invité par Plonk à exposer pour Exagération avec d’autres artistes (dont le burlesque Frank Omer, Nadia Lagati et ses poétiques travaux…), Houzé a présenté à Hubert son dernier-né, un conte atypique intitulé Le mouton tombé des nuages. Ses éclats de rire furent les meilleurs conseillers.
Deuxième étape : planter le décor. En premier lieu, évitez de commander un jus s’il n’est de raisin fermenté en fût dans une bonne cave de la région, au risque de l’entendre réclamer de l’aspirine pour vous. Qui ne boit pas serait-il malade ou suspect ?
Rangez très vite la liste de questions humoristiques chiadées pour faire interview de genre : « Les nains de jardins que vous coulez dans le béton (ndlr : produit phare proposé dans leur boutique) sont-ils des travailleurs clandestins qui vous aident à trouver toutes vos fulminantes idées et qu’il faut éliminer pour garder le secret ? » Pour toute réponse, vous aurez au mieux : « C’est fait ! La question est dans la réponse et vice versa », et au pire un autiste au sourire entendu adepte du « oui/non ». Il vous gratifiera quand même généreusement au passage d’une charmante expression piquée à son pote Raymond Chandler « Ah ! Les questions qu’elle te pose ! Elle volerait une mouche morte à une araignée aveugle. »
Chacun son métier, l’humour c’est eux, les propositions pour les amener à en faire, c’est vous. Vous attrapez donc un verre de blanc que vous n’abandonnerez plus, votre meilleur allié pour délier les langues et lâcher prise. Puis, troquant votre calepin pour une simplicité authentique, à armes égales, vous entrerez en conversation.
On n’interviewe pas Plonk, on rencontre Hubert.
Ainsi, rien ne sert de le cuisiner pour connaître les secrets de création de Plonk & Replonk, la pirouette, la dérision et quelques répliques types rodées au fil des interviews tiennent lieu de réponses. Il noie le poisson, prend des détours pour finalement vous avouer, mais n’est-ce pas encore une feinte, que toute la technique pourrait se limiter à un stock de cartes postales anciennes et la version 2 de Photoshop. Ce graphiste de métier déclare même : « Ce n’est vraiment pas technique, un gamin peut faire ça ! Lorsqu’on fait des prises de vue, c’est juste qu’il manque un bon objet au bon angle… »
Explication : « Pour la carte postale Petite vague perdue sur la plage à la recherche de sa mer, les fillettes sont issues d’une photo que mon frère a faite, la plage est une photo actuelle, le ciel vient d’ailleurs, je ne sais plus, les vagues, je crois que ce sont celles d’Ostende… Chaque fois que l’on voyage, on fait des photos, qui ne sont pas des photos artistiques mais des sortes de photos vides, de fond. »
Vérification instantanée lorsque, assis au bistrot devant les Variétés, pendant que d’autres se marrent à l’intérieur de la Jetée devant les planches de Plonk & Replonk en se disant « Mais ils prennent quoi ces mecs pour trouver des trucs aussi délirants ? », vous assistez en direct à un pré-projet artistique. A deux pas, le spectacle insensé de la grande échelle des pompiers qui se déroule au dessus de la Canebière. Dans la nacelle, un pompier et un tout jeune garçon en uniforme. Interloqué, tout le monde se demande ce qui se passe : feu, exercice ou cadeau d’anniversaire du bambin ? Sauf Plonk qui dégaine son iPhone en s’esclaffant : « Il n’y a qu’à Marseille qu’on voit des trucs pareils : la grande échelle comme un tour de manège ! Voilà qui sera une bonne base pour une carte. » Vous avez dit Exagération ?
Comment, dès lors, ne pas se demander si tout le génie de Plonk & Replonk n’est pas là, dans ce sourire enfantin, satisfait de la bonne trouvaille comme de la prochaine bonne blague en perspective ? Une histoire de regard. Un regard différent sur le monde, qui va au-delà. A écouter Hubert commenter le spectacle de la rue, il se dégage l’idée que la curiosité est l’un de leurs moteurs. Le reste se joue dans les rencontres et les connections inexplicables comme le talent des images trouvées en phase avec l’ébullition des cerveaux plonkiens.
« Les brocanteurs nous appellent quand ils ont des lots de vielles photos. Il y a aussi des personnes qui nous donnent l’album photo du grand-père, on le scanne puis on leur redonne avec une clef USB et les photos numérisées. Tout le monde est content. »
Finalement, pour interviewer Plonk, il faut utiliser leur méthode : le décalage, mettre des calques sur de l’existant, faire de multiples essais, retourner la réalité proposée pour y puiser un propos nouveau. Et ne jamais rester sur une idée reçue.
Partir d’un poncif pour convoquer l’humour. Voilà comment est née l’affiche de l’exposition à la Jetée : « On sait que les Marseillais sont connus pour toujours exagérer, alors on est parti sur ça. Vu des Suisses, le port doit être comme ça et du coup, le titre a été trouvé en trois minutes. On cherchait un titre à la con et pour ça, je suis assez con. J’étais sûr qu’ils allaient la refuser et puis ils l’ont gardée ! (Grand rire) Et je trouvais que ça faisait un joli truc en typo. L’affiche a été faite à Hanoï, l’année passée. On aurait pu prendre l’image des savonneries ou celle d’une baleine sur une plage à côté de Marseille qui était dans le calendrier 2013/2014… On recycle toujours ce qu’on fait, on est des feignasses, mais faut pas le dire ! » Encore raté !

Plonk et Replonk

« Là, c’est la baleine du Chant du Gros, un festival de musique dans le Jura suisse, l’un des personnages de Plonk. On a des petites figurines comme ça qui traversent différentes affiches… Est-ce une référence à la sardine qui a bouché le Vieux-Port ? C’est le principe d’exagération… » s’il n’y avait ces rires, on ne saurait jamais sur quel pied danser avec le bonhomme. Exemple : « En fait, ce n’est pas un photomontage. Quelqu’un nous a envoyé des photos d’archives de la ville de Marseille. On a juste mis des couleurs. Ça s’est vraiment passé le 17 mai 1884, une baleine échouée sur le Vieux-Port. Et ils ont drogué les gens après pour dire que ce n’était pas arrivé. »

 

Le troisième homme

Plonk & Replonk ne sont pas deux, mais trois : les frères Jacques et Hubert Froidevaux, et Miguel-Angel Morales. Eh oui, il y a un troisième homme caché derrière l’esperluette. Fondateur de la petite entreprise avec les deux frères, il est parti vivre d’autres aventures avant de retourner au bercail il y un an. Si l’on se fie à ce qu’ils nous disent, l’un est Plonk, qui plante le clou, l’autre est Replonk, qui l’enfonce. Le troisième, le fameux Esperluette, tend le prochain clou au premier. Ou pas : « Miguel est aussi Plonk ou Replonk. Ça dépend de l’état dans lequel on est. On est aussi une esperluette (rires). Miguel est un fils unique que Jacques et moi avons adopté voici belle lurette, ça va avec l’esperluette. »

 

Plonk & Replonk et l’actualité

Plonk se défend de s’inspirer de l’actualité à part pour leurs chroniques hebdomadaire dans Le Vigousse. Il dit ne donner que le bâton pour soutenir la réflexion. Une image de leur diaporama où l’on voit des têtes décapitées fait pourtant écho à l’actualité. Outre que l’histoire se répète inlassablement, elle met à jour que le ludique de leurs travaux permet souvent une double lecture plus engagée. « Il s’agit d’une photo d’archive prise chez les Zimmermann à Genève. Image cruelle. J’en ai trouvé une identique au Vietnam, où l’on voit des colons français se faire photographier devant ce qu’ils appelaient des terroristes en 1910, en fait des campagnards qu’ils ont tués. Ils posent devant des humains comme devant des trophées d’animaux. C’est de la bêtise crasse… La cruauté ne vient pas de nous, mais de la réalité. C’est comme pour Charlie, ce n’est pas sur le caricaturiste qu’il faut gueuler mais sur le tortionnaire… Une librairie à Marseille a refusé que Charlie fasse sa dédicace chez eux il y a trois ans, donc ils l’ont fait dans une librairie de la Plaine. Du coup, je soutiens ces librairies-là par principe… car je suis lâche mais je n aime pas les veules ! »

 

Les projets marseillais

« La prochaine fois que je vais revenir à Marseille, arrivé à la gare, j’enfile un t-shirt du PSG. Pendant que je descends la Canebière, je demande à quelqu’un de me suivre et de filmer tout en chronométrant pour voir combien de temps je reste en vie. En tant que Suisse, ça m’intéresse vachement. On peut peut-être même brancher la TV suisse. Et si je reste vivant, je refais la même chose au Stade Vélodrome. »
Dans la préface de leur livre L’Indispensable Abécédaire de l’inutile de zéro à Z, Daniel Pennac ne s’amuse-t-il pas à dire : « Une des grandes qualités de Plonk & Replonk, c’est la tronche que font les gens qui cherchent à les comprendre. » Tenons-nous enfin une explication ?
Assurément. Lors du vernissage, en passant devant la projection de leurs réalisations, Hubert s’attendrit devant un homme qui rit tout seul : « Voilà pourquoi je fais ce métier, pour que les gens se marrent, pour ça et pour rien d’autre. Et le Houzé et les autres idem, c’est pas plus compliqué que ça. » Nous aurions pu nous en tenir à cette affirmation, mais nous nous serions alors privés d’une détonante rencontre où les éclats de rire furent aussi nombreux que les cartes postales que l’on va se promettre de recommencer à envoyer ou à offrir.

Maryline Laurin

 

Plonk & Replonk + guests – Exagération : jusqu’au 30/05 à la Jetée (Cinéma Les Variétés – 37 rue Vincent Scotto, 1er), dans le cadre du Printemps de l’Art Contemporain.
Rens. : 09 75 83 53 19

Pour en (sa)voir plus : www.plonkreplonk.ch