Le projet Place de la Joliette 78-18 de Noël Casale

Le projet Place de la Joliette 78-18 de Noël Casale

L’Interview
Noël Casale (Théâtre du Commun)

 

Actualité chargée pour l’acteur et metteur en scène corse Noël Casale, actuellement en résidence au Théâtre Joliette-Minoterie pour un projet autour du quartier de la Joliette.

 

Parlons de l’actualité du Théâtre du Commun, qui va présenter plusieurs spectacles à Marseille dans les mois à venir, à commencer par Rome l’hiver, cette semaine au Théâtre Joliette-Minoterie.
Rome l’hiver est une pièce qui s’inscrit dans un projet plus global : Place de la Joliette 78-18. C’est un partenariat entre trois théâtres de Marseille, la Minoterie, le Théâtre de Lenche et le Théâtre de le Mer, qui se sont associés pour soutenir mon travail jusqu’au printemps 2017. Ils m’ont proposé de mener des ateliers de théâtre et d’écriture ayant pour sujet le quartier de la Joliette et Marseille. Parallèlement, il y a l’accueil de mes spectacles, dont le premier est Rome l’Hiver, qui sera suivi par Il n’y a pas d’or au fond des mers sur des textes de Conrad et de Enzensberger, pour lequel je suis actuellement en résidence.

 

Ton parcours est atypique : tu as d’abord travaillé très jeune comme ouvrier et docker dans ce quartier de la Joliette avant de faire du théâtre. De quoi cette traversée peut-elle être porteuse au niveau de ta vision du théâtre, de ta façon de raconter des histoires ?
Dans mon travail, la notion d’histoire est très importante. Pour le projet Joliette 78-18, dans les ateliers, j’incite les participants à écrire et à raconter des histoires au sujet de la Joliette, de Marseille, mais aussi de là d’où ils viennent, comment ils sont arrivés ici, etc. Je m’intéresse à leur regard. A côté, j’écris des chroniques, des dialogues ; j’essaye de composer un ensemble qui pourrait témoigner du quartier tel que je l’ai connu, tel que je le vois aujourd’hui, parler de sa transformation de plusieurs points de vue différents. Ce n’est pas une histoire avec des personnages, c’est une vision kaléidoscopique ; des facettes qui dialoguent entre elles plutôt qu’une histoire conventionnelle. Je me réfère à Cézanne qui disait : « J’essaye de peindre par plusieurs côtés en même temps. » Tout cela devrait aboutir à un spectacle, enfin… j’aimerais bien.

 

Quid de la collaboration avec Xavier Marchand ?
Nous nous connaissons depuis trente ans et avons monté Rome l’hiver ensemble. Je joue et il me met en scène. J’ai découvert un texte de Bandinelli, Quelques jours avec Hitler et Mussolini, dans lequel il raconte cette mission qu’il a eue en mai 1938 de guider les deux dictateurs dans une visite des musées et monuments de Rome. C’est pour lui un cas de conscience : historien de l’art antifasciste et communiste, fiché par la police, il tente d’abord d’esquiver, mais se retrouve réquisitionné. Il tient alors un journal intime où il va témoigner du comportement des deux hommes, montrant deux êtres d’une extrême banalité. Il est au plus près du corps de ces deux figures du mal. En politique, aujourd’hui encore, on parle rarement du corps, de comment ça fonctionne. Le texte de Bandinelli est presque un précis de décomposition de marionnettes.

 

C’est un seul en scène ?
Oui, je joue un type qui est chez lui dans son atelier, cherchant à monter le texte de Bandinelli. Il écoute et visionne des archives audio et vidéo, lit des bouts de texte, joue parfois Bandinelli. Son corps subit les influences de ce travail. On le voit dans un processus de réflexion et d’assemblage de données qu’il commente parfois. C’est le spectacle en train de se fabriquer.

 

Justement, on peut lire sur le site de la compagnie que tu aimes « travailler sur des projets dont on ne connaît pas le résultat à l’avance » et aussi une phrase de Nelly Kaplan qui dit : « Maintenant, c’est un mot qui fait peur »…
Il est vrai que j’aime travailler de façon empirique, mais pour parler de l’intérêt du processus de travail, je dis ça de façon un petit peu ironique par rapport à certains spectacles que je vois. C’est un principe que j’ai dans mon travail ; j’ai des intuitions, je mature le projet pendant un an ou deux, parfois plus. Sur Joliette 78-18, pendant les ateliers, je dis aux gens : on va chercher ensemble, expérimenter. Avec Xavier, c’est pareil. J’essaie de ne pas être dans du savoir faire mais dans la recherche et je ne dis pas ça pour me protéger, car parfois ça ne marche pas du tout.

 

Et la Corse ? L’un de tes spectacles, Liberty Valence est mort, fait notamment dialoguer le western exemplaire de John Ford sur l’instauration de la loi dans l’Ouest avec la Corse d’aujourd’hui…
Six de mes textes parlent de l’état de la Corse sur un registre plutôt burlesque. Il y est question de choses graves et de politique, mais le public peut quand même se marrer. C’est quelque chose que personne ne fait en Corse, même de façon métaphorique, et mon travail fait grincer des dents. On s’en prend parfois à moi violemment dans le débat public. Sans comparaison évidemment, j’aime beaucoup Nanni Moretti qui fait cela avec l’Italie.

Propos recueillis par Olivier Puech

 

Rome l’hiver par le Théâtre du Commun : du 20 au 23/01 au Théâtre Joliette-Minoterie (Place Henri Verneuil, 2e).
Rens. : 04 91 90 74 28 / www.theatrejoliette.fr

Pour en (sa)voir plus : www.theatreducommun.fr