Il était une fois Germaine Tillion © Herve Kielwasser

Il était une fois Germaine Tillion par la Cie Lanicolacheur aux Théâtres du Gymnase et Liberté

L’Interview
Xavier Marchand (Compagnie Lanicolacheur)

 

Reprise au Gymnase de Il était une fois Germaine Tillion, spectacle juxtaposant documents d’archives, projections vidéo, danse, chant et théâtre, en forme d’hommage vivant à cette grande figure de l’engagement. Rencontre avec le metteur en scène Xavier Marchand à la librairie Maupetit dans le cadre de l’exposition des photos de Marie Rameau, Les Françaises à Ravensbrück –Souvenirs.

 

D’où est venue l’envie de monter des textes de Germaine Tillion ?
Un soir, je l’ai entendue à la radio raconter ce qui s’était passé le 8 mai 1945 à Sétif, une chose que j’ignorais totalement. J’ai été captivé par la façon dont elle racontait ces événements. Du coup, je me suis renseigné et je suis tombé sous le charme de son écriture et la profondeur de sa pensée, d’autant qu’elle avait le credo d’écrire des choses absolument abordables. Elle a toujours cherché à comprendre avec précision la structure des choses, dans la plus grande attention aux autres, que ce soit dans son travail d’ethnologue ou dans son expérience concentrationnaire, disant que rien n’est pire que de faire partie d’un système que l’on ne comprend pas. Comprendre le système, c’est essayer de s’intégrer ou de résister. A Ravensbrück, elle a fait une conférence pour aider ses camarades de détention dans laquelle elle a expliqué ce qu’elle avait compris du système concentrationnaire. Et en Algérie, elle a expliqué que les ruraux n’étaient pas formés pour intégrer la ville. Ça a été la base de la constitution des centres sociaux qu’elle y a fondés un peu partout. Elle essaie aussi de comprendre l’engrenage mortifère que sont les attentats auxquels on répond par la torture, qui à son tour provoque des attentats. Elle propose à De Gaulle de faire un moratoire de façon à suspendre les exécutions capitales pour faire baisser la violence et commencer à se parler. Lorsqu’elle rencontre Yassef Saadi (le responsable des attentats à Alger), elle comprend le combat qu’il mène en tant que résistant, qu’il est en train de vivre ce qu’elle a vécu. Elle, c’était par la gestapo, lui par les parachutistes français. Germaine Tillion disait que pendant qu’elle était à Ravensbrück, la chose qui tenait les Français était l’idée de la nation, ce qui allait perdurer au-delà d’elle, un amour de la patrie. Là, elle est confrontée à un type qui lutte contre cette patrie et ça donne ce dialogue extraordinaire. Saadi tiendra sa promesse d’arrêter les attentats auprès de la population civile d’Algérie.

 

Cette discussion fait-elle partie du spectacle ?
Il y a trois périodes dans le spectacle. D’abord, l’ethnographie en Algérie : elle a trente-quatre ans, apprend sa méthodologie ethnographique mais aussi à écouter les autres auprès d’une population qui n’a jamais vu une Européenne. Puis il y a la période de la résistance et Ravensbrück, entremêlée avec l’opérette Le Verfügbar aux Enfers qu’elle a écrite là-bas, cachée dans une caisse. Une œuvre caustique qui n’est jamais qu’une conférence pleine de renseignements sur les conditions de vie dans le camp où l’humour, qui est une notion essentielle pour elle, intervient comme une mise à distance permettant de ne pas être collé à une situation, de garder une humanité. Elle écrit cela pour essayer de faire rire malgré l’état de délabrement dans lequel elle se trouve. Elle n’a pas voulu, pendant très longtemps, dévoiler cette œuvre car elle ne voulait pas que l’on croit qu’on rigolait à Ravensbrück. La troisième partie du spectacle, ce sont des textes tirés des Ennemis complémentaires et le grand récit de sa rencontre avec Yassef Saadi. Sur fond d’images d’archives véhiculant le discours officiel de l’époque, les cinq comédiens viennent dire comment Germaine Tillion considérait la situation et l’évolution funeste qu’elle a pu prendre. Lors de son enterrement en 2008, une lettre de Yassef Saadi a été lue dans laquelle il disait qu’il avait eut deux mères : celle qui lui avait donné la vie et celle, Germaine Tillion, qui avait fait en sorte qu’on ne la lui retire pas. Elle a toujours essayé de faire comprendre que pour l’avenir de l’Algérie, il était crucial de préserver l’élite intellectuelle et active, garante du principe de responsabilité. Elle considérait que le colonialisme accaparait les responsabilités, rendant ainsi les populations inaptes à se construire en société. Le spectacle s’attache à retracer quelle réflexion et quelle pensée elle a pu développer dans les différentes expériences qu’elle a traversées et l’engagement qu’elle a pu avoir.

 

Elle disait qu’il fallait avoir « une discipline de l’esprit guidant l’engagement et l’action »…
Oui, c’était le fondement de ses centres sociaux, cette idée de formation. Cette phrase résume bien une vie aussi longue et une réflexion aussi profonde. Elle constitue une figure d’exemplarité pour beaucoup de jeunes gens venus voir le spectacle. Elle cherchait toujours à structurer la réflexion. Actuellement, la notion d’engagement est beaucoup plus difficile et compliquée parce que les sujets d’engagements sont extrêmement nombreux.

 

Et on peut rajouter qu’il y a une espèce de déperdition totale des utopies aussi…
Oui, c’est ce à quoi nous pouvons être confrontés nous-mêmes, et surtout la jeunesse. Heureusement, chaque jeunesse a ses utopies…

 

Il n’était pas utopique de penser, à son époque, qu’une fois que le pays serait décolonisé, il deviendrait comme les autres. Or, ça n’a pas été le cas.
Oui, d’ailleurs, à un moment du spectacle, elle dit qu’elle n’imaginait pas que les propres ressortissants algériens brûleraient leurs écoles en 1995, lors de ces années de guerre civile monstrueuse. Il faut dire que les histoires de la guerre d’Algérie ont eut beaucoup de mal à être évacuées. Il y a, à propos de la France et de l’Algérie, cette notion des « ennemis complémentaires » que Germaine Tillion avait développée : un échange de populations et de services pour créer une sorte d’élite répondant aux besoins des deux pays, mais malheureusement, cela ne s’est pas fait. On va aussi projeter au Variétés La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, dans lequel Yassef Saadi joue son propre rôle. Un film très impressionnant et dont la destinée est particulière : censuré en France jusqu’en 2004, utilisé à contre-emploi en Amérique latine pour montrer comment on éradique des organisations terroristes et enfin, lorsque les Américains envahissent l’Irak, comme exemple de « comment gagner une bataille sur le terrain en perdant la guerre des idées ».

Propos recueillis par Olivier Puech

 

  • Il était une fois Germaine Tillion par la Cie Lanicolacheur :
    – du 17 au 19/11 au Théâtre du Gymnase (1 rue du théâtre Français, 1er).
    Rens. : 08 2013 2013 /www.lestheatres.net
    – Et aussi le 14/11 au Théâtre Liberté (Toulon).
    Rens. : 04 98 07 01 01 / www.theatre-liberte.fr

  • Projection de La Bataille d’Alger de Gillo Ponteverco : le 15/11 au cinéma Les Variétés (37 rue Vincent Scotto, 1er). Rens. : 09 75 83 53 19

  • Exposition Les Françaises à Ravensbrük de Marie Rameau : jusqu’au 20/11 à la Librairie Maupetit (142 La Canebière, 1er). Rens. : 04 91 36 50 50

Pour en (sa)voir plus : www.lanicolacheur.com