Windows 93

Festilab Frankenstein Média

Le monde à portée de mains

 

En revisitant le passé, la deuxième édition du Festilab fait bouger les lignes de nos usages du numérique, et permet au collectif Freesson de dessiner un monde nouveau à son image.

 

« Alors que les deux dernières décennies ont été marquées par un discours dominant en faveur du high-tech et de l’innovation, notamment dans les industries numériques, les principales scènes internationales des arts et cultures numériques interrogent les effets de ce discours et des stratégies des industries numériques sur l’art, la politique, l’économie, l’écologie, etc. » Ainsi démarre le bel édito d’un Festilab Frankenstein Média en forme de rétroviseur technologique. Comme un regard sur le passé, à dix mille lieues de la nostalgie que certains pourraient soupçonner. Avant tout, « une manière de voir si, au passage, nous n’aurions pas oublié quelque chose. Un moyen d’imaginer les voies qui auraient été possibles, et de prendre la mesure des effets de la consommation industrielle, de comprendre les stratégies de l’industrie du software, d’analyser les points de clôtures qui interdisent aux utilisateurs l’accès aux instructions matérielles et aux logiciels, qui alimentent en données personnelles les industries et les Etats. » Le sujet est lancé, il nous concerne tous, et l’on ne peut s’y dérober. Qu’est-ce, véritablement, qu’une innovation ? De quelle idéologie est-elle porteuse ? Ce terme a-t-il encore un sens ? L’industrie des masses, c’est un peu l’abysse béante dans laquelle nous nous serions engouffrés sans même la voir, par « confort ». Heureusement que rien n’est éternel, ni même le capitalisme (alors que d’autres l’inscrivent dans la nature de l’homme), ni même l’économie qui en découle. Il n’est donc jamais trop tard, bien au contraire, et il semblerait que nous prenions conscience chaque jour un peu plus des enjeux qui se tordent autour de nos smartphones et autres tablettes, nos consoles de jeux, nos abonnements jusqu’à nos instruments de musique marquetés.
D’expositions en concerts en passant par les rencontres, les ateliers et autres workshops, l’équipe de Freesson frappe ici un grand coup. D’autant que les installations sont plus attirantes et ingénieuses les unes que les autres, et dévoilent, entre les invités internationaux, tout un réseau d’artistes/chercheurs fédérés autour de l’Ecole d’Art d’Aix ou du Laboratoire d’Etudes en Sciences de l’Art de la fac d’Aix, pour ne citer qu’eux. En gros : entre Arles (Databit notamment), Aix (Seconde Nature, Gamerz…), Avignon (le Festilab, donc) et Marseille (Zinc), on est franchement bien servis en la matière.
La complexité prend ici une notion toute particulière. Car qu’est-ce qui demeure complexe une fois le langage appris, une fois la technicité dépassée ? Sorti du chemin tracé par le guide, il ne reste finalement que de fabuleux terrains de jeux à investir : faire soi-même, il est là, en fait, le ludique. La rhétorique peut casser des briques est un « dispositif pour jouer à Tetris où le joueur doit utiliser des commandes vocales en parlant dans un téléphone pour diriger les pièces », lorsque le désormais célèbre Windows 93 propose « un système d’exploitation imaginaire en ligne, parodiant les premières versions de Windows et ajoutant une pléiade de fonctionnalités et de programmes renversants »…
Et qui dit Freesson, dit bien sûr concerts. Dans la veine de ce que les franges DIY ont fait de mieux en matière électronique ses vingt dernières années : Goto 80 est l’anti-star du mouvement chiptune, un artiste emblématique et une véritable bête de course tombée de la cuisse de la fameuse demoscene suédoise. Ses disques composés sur les vieux Commodore n’ont absolument rien à envier à Aphew Twin, le sérieux en moins : on peut par exemple le voir sur Internet jouer et chanter faux sur un plateau télé, déguisé en chou, au milieu de gosses médusés… On a aussi déjà parlé de Tapetronic, qui détourne l’usage des cassettes audio jusqu’à se concevoir un véritable instrumentarium… In fine, toute une tripotée de passionnés réinventent leurs environnements en les détournant comme ils l’entendent. Et, ainsi, ne plus se retrouver démunis une fois les lumières éteintes.

Jordan Saïsset

 

Festilab Frankenstein Média jusqu’au 18/12 à Avignon.
Rens. www.freesson.com