databit.me

Festival Databit.me

L’interview
David LePôle

 

Au rayon des festivals que l’on porte dans le cœur, il y a l’Arlésien Databit.me : des créateurs d’horizons divers se rencontrent le temps d’une résidence (et de concerts) autour des usages du numérique, pour inventer leur propre réalité.

 

On vous voit venir. Car si beaucoup auront vite fait de ranger ces pratiques au rayon des utopies abstraites, il n’y a pourtant rien de plus sérieux : il est temps de réaliser qu’il s’agit ici d’inventer le monde de demain à l’image de ce que chacun y projette, à dix milles lieues du libéralisme mortifère qui grignote chaque jour un peu plus des lignes de codes. Sans y aller par quatre chemins, Databit.me ne s’adresse donc pas plus à l’expert du numérique qu’au simple usager, au bidouilleur vidéo qu’au musicien traditionnel, car il en va du sort de chacun, de chacune de nos trajectoires.
Tout commence en 98, David Lepolard dit « LePôle » lance une newsletter, T’es In T’es Bat, qui lui permet de produire du contenu multimédia plus ou moins décalé. De l’eau passe sous les ponts jusqu’en 2010 où, en compagnie de Lucie Ferlin, spécialiste en scénographie numérique, il crée Databit.me, véritable point de chute d’une conscience sociale en prise avec les enjeux de son époque. Eclairage.

 

D’où vient cette volonté de travailler autour des usages du numérique ?
De l’Université Paris 8, où j’ai été formé à un esprit très critique pour ne pas se satisfaire de ce que l’on nous raconte de façon répétée. Contre cette tendance du « Ne vous inquiétez pas, on s’occupe de tout ». Entre le début des années 2000 et 2010, quelque chose a basculé pour Internet. Aujourd’hui, tu es obligé de tomber sur Google, sur Facebook ou sur un autre gros blockbuster qui occupe l’espace, en bloquant l’accès…

 

Quid du statut de l’artiste numérique ?
On parle de numérique à longueur de temps, tu ne peux pas ouvrir un journal, allumer la télé ou la radio sans qu’un mec te parle de numérique, mais pourtant il n’y a aucun statut, aucun engagement politique. Les politiques sont sous le fantasme de la start-up. De mecs qui vont soi-disant régler tous les problèmes du monde alors qu’ils sont juste en train de nous uberiser le business. C’est vraiment l’image Macron et compagnie, pour qui il faut que les jeunes aient envie de devenir des milliardaires. Mais il faut combien de mecs dans la rue pour faire un milliardaire ? On est sous l’emprise d’une pensée américaine ultra-libérale des plus inégalitaires, et on nous vend ça comme la panacée, alors qu’elle pollue et défonce tous les acquis sociaux.

 

On peut donc inscrire ces pratiques dans un projet, plus global, de société…
Si tu te penches réellement sur le numérique, tu es obligé d’avoir une réflexion sociétale, d’être responsabilisé. La culture, notre culture, ne va pas se faire parce qu’un ministre l’a décidé. C’est un échange. La culture numérique doit se faire avec les gens.

 

Vous cassez donc le cliché du « geek » isolé et associal véhiculé à droite, à gauche.
Le geek, c’est une invention. Comme le bobo. Ce sont des fausses étiquettes, du marketing de vie. Tout le monde peut être bobo ou geek. La réalité, c’est qu’au final, on est de plus en plus devant des machines.

 

N’assisterait-on pas justement aux balbutiements de l’éducation au numérique ?
C’est l’enjeu. Il faut que chacun de nous devienne un émetteur et non pas un simple consommateur. C’est pour ça que d’après moi, Facebook c’est déjà mort, c’est déjà de la télé parce qu’on y est spectateur. Tu dois être capable de recevoir évidemment, pour rester ouvert sur le monde, mais il faut aussi être capable d’émettre. Il y a une tendance lourde aujourd’hui à ce que les opérateurs d’Internet fassent de l’argent comme leurs pères de la télé, avec la pub. Pour être dans une planification, une évaluation, une quantification où tout est déjà écrit… Il faut faire un pas de côté, même si ce n’est pas facile au regard de l’environnement global en Europe. Avec Databit, à notre échelle, on se positionne au milieu de tout ça, pour le questionner. Dans la pratique.

 

Quid du livre numérique ?
C’est un enjeu de taille, qui nous turlupine depuis un moment. Ta vie peut vraiment changer à la lecture d’un livre. Le livre est un objet commun en termes de concept. Plutôt que de fabriquer des livres à travers de gros imprimeurs, on en revient au Moyen-Âge, c’est à dire que l’on a tout pour fabriquer nous-mêmes le livre numérique sans passer par de gros industriels. Un livre qui interagit d’une façon ou d’une autre avec le lecteur… On est dans un rapport presque de personne à personne avec les machines. Tu ne te comportes pas n’importe comment avec elles, ce sont des entités, certes pas vivantes, mais des entités quand même. Tu es obligé de trouver une posture.

Propos recueillis par Jordan Saïsset

 

Databit.me : du 30/10 au 8/11 à la Bourse du Travail (3 rue Parmentier, Arles).
Rens. : 06 80 96 98 75 / www.databit.me

Le programme complet du festival Databit.me ici