Déployée sur trois lieux (Mucem, Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur et la chapelle de la Vieille Charité), elle réunit les différents modes d’expression plastique de l’artiste franco-américano-égyptienne, depuis ses débuts jusqu’à ses créations les plus récentes.
La broderie, la peinture, la céramique, le bronze et la création de jardins sont au cœur de son art. Entre Orient et Occident, Ghada Amer interroge d’une culture à l’autre les représentations, les rapports de domination, les processus d’assimilation, d’opposition ou de traduction. Elle est aujourd’hui une voix majeure des enjeux post-coloniaux et féministes de la création contemporaine.
Pour Ghada Amer, la question de la femme transcende celle de l’appartenance culturelle ou religieuse. Résolument féministe, elle s’est emparée en peintre du médium traditionnellement féminin de la broderie. Entre hommage et revendication, ses toiles entrent en dialogue avec les « maîtres » d’une histoire de l’art trop longtemps dominée par les hommes. Elles se développent sous le signe d’une puissance créatrice jubilatoire et d’un intérêt nouveau pour le portrait.
Née au Caire en 1963, Ghada Amer s’installe à Nice avec ses parents en 1974. Elle s’y formera à la Villa Arson avant de rejoindre l’Institut des hautes études en arts plastiques à Paris. Révoltée par la difficulté de s’affirmer comme peintre dans les années 1980 – et a fortiori comme femme peintre –, Ghada Amer élabore une œuvre de toiles et d’installations brodées ainsi que de sculptures et de jardins, à travers lesquels la peinture s’affirme progressivement.
En 1999, elle est invitée par Harald Szeemann à exposer à la Biennale de Venise, où elle reçoit le prix UNESCO pour la promotion des arts. Depuis 1996, elle vit et travaille à New York.
—Commissaires :
Hélia Paukner, conservatrice responsable du pôle Art contemporain, Mucem
Philippe Dagen, historien de l’art des XXe et XXIe siècles, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, critique pour le quotidien Le Monde et commissaire indépendant
L’exposition Ghada Amer a été conçue et organisée par le Mucem, Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée en partenariat avec le Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur et la Ville de Marseille / Musées de Marseille / Centre de la Vieille Charité.
| « Moi, je suis une sorcière. Je crée pour me venger ! »Pouvez-vous nous expliquer comment se présente le parcours du public dans les trois lieux que vous avez investis ? La rétrospective déployée en ces trois lieux m’a vraiment donnée les moyens de m’exprimer et d’inventer une parole de femme. Les œuvres présentées sont très éclectiques, il y a des toiles, des broderies, des sculptures et bien sûr le jardin. Au Mucem, on a mis l’accent sur mon rapport avec l’Orient, mais je n’y suis pas écartelée entre deux cultures. Je préfère déconstruire et questionner les rapports d’opposition entre l’Orient et l’Occident. Avec le Salon courbé, par exemple : j’ai grandi dans ce type de mobilier typique des classes moyennes et aisées égyptiennes, mais je rajoute un papier peint où des définitions du mot terrorisme sont imprimées en anglais, extraites de dictionnaires occidentaux. Il y a également une série de toiles intitulées The Women I Know (« Les femmes que je connais », ndlr). Ce sont pour la plupart des œuvres inédites. Je m’intéresse au portrait depuis 2016 : je peins des femmes que je connais ou des autoportraits. Il y a également ma première toile, Fear Exists, brodée au fil doré. Au Frac, l’exposition qui s’intitule Witches and Bitches (« Sorcières et salopes ») se concentre plus sur l’aspect féministe de mon travail. C’est le titre d'une œuvre que j’ai faite en collaboration avec Reza Farkhondeh, un artiste d’origine iranienne que j’ai rencontré à la Villa Arson en 1988. Nous avons eu beaucoup de projets communs, comme Higher Me, une vidéo questionnant le rapport des femmes à leurs talons hauts. Il a également imaginé une performance où j’invitais le public à manger des gâteaux qui avaient l’aspect de George Bush et de Tony Blair ! J’avais un besoin viscéral de les manger et de les déchiqueter ! Il y aussi ce tableau, Sindy in Pink-RFGA, inspiré par une phrase de la romancière Tish Thawer, qui est devenu un slogan féministe : « We are the granddaughters of the witches you couldn’t burn » (« Nous sommes les petites filles des sorcières que vous n’êtes pas arrivés à brûler »). C’est un tableau que j’ai réalisé avec Reza car le féminisme, ce n’est pas qu’une affaire de femmes. Moi, je suis une sorcière. Je crée pour me venger ! Enfin, l’exposition située dans la chapelle de la Vieille Charité s’intitule Ghada Amer, sculpteure, et c’est la partie la plus méconnue de mon travail. Comment avez-vous affronté la chapelle de la Vieille Charité ? C’est plutôt la chapelle qui a dû m’affronter ! Il y a trois œuvres au milieu, de grands bronzes, et autour, des céramiques colorées. Il s’agit d’expérimentations picturales que j’ai poussées vers des sculptures monumentales, qui ressemblent à des paravents. C’est un travail que j’ai initié en 1992 et développé à partir de mes céramiques depuis 2014. Je mélange également des céramiques figuratives et d’autres abstraites, de plus petites dimensions, très colorées et très gestuelles. Vous êtes intervenue dans l’accrochage ? Bien sûr, j’ai suivi tout cela de très près. J’ai l’habitude d’accrocher car à la Villa Arson, on nous enseignait l’accrochage. Et puis pour la première fois, j’ai collaboré avec un scénographe, j’adore cela ! Il a fallu construire pour le Mucem et le Frac des architectures spécifiques ; c’était un vrai travail en commun, avec l’aide des commissaires. Dans ce parcours, on voit des hommages à des artistes masculins tels Monet ou Ingres… Je déteste le système mais pas les maîtres ! J’adore Fernand Léger par exemple. Au Frac, on présente la toute dernière version des Nymphéas. Le problème, c’est qu’on ne connaît pas les artistes femmes, ou alors elles sont cantonnées à des genres dits « mineurs », comme le portrait. C’est pour cela que je m’y suis intéressée. Moi, en tant qu’artiste femme, j’ai envie aussi de parler aux hommes. Comme interprétez-vous le slogan « A Woman’s Voice Is Revolution » à l’aune des récents événement en Iran, et le nouveau slogan émergent « Woman, Life, Freedom » (« Femme, Vie, Liberté ») ? Je pense que quand les femmes se mettent en colère, c’est pour de bon et c’est mauvais signe pour les régimes autoritaires et patriarcaux. Quand c’est non, c’est non, il n’y a plus rien à perdre, plus de concessions à faire. Si la révolution n’est pas pour cette fois, ça sera pour la prochaine. Ce que je voudrais, c’est porter une voix de femme car il est crucial de s’approprier les champs de l’expression. L’éducation est également essentielle, en particulier l’éducation sexuelle, on ne peut pas laisser cela aux hommes. Les femmes doivent apprendre à se battre toutes seules. Il ne faut pas trop les aider, elles sont bien assez fortes pour se libérer par leurs propres moyens.
Propos recueillis par Isabelle Rainaldi