Les 70 ans du Monde diplomatique

Fête d'anniversaire du "journal non aligné" : témoignages des lecteurs du Diplo et dégustation du gâteau, suivis d'une rencontre-débat avec Renaud Lambert (rédacteur en chef adjoint du journal)

Le Monde diplomatique, un journal non aligné.

 

Un journal peut-il résister à l’emprise de l’instantané et refuser le vibrato émotionnel qu’il impose à l’information ? Si l’on ajoute à l’équation des jeunes générations réputées — parfois à tort — ne plus s’informer que sur les réseaux sociaux ou par le biais d’influenceurs, les carottes du Monde diplomatique sembleraient cuites. Et pourtant : à bientôt 70 ans (en mai 2024), notre mensuel continue d’exiger de ses lecteurs le temps, la réflexion, l’attention qu’appellent l’actualité internationale et la bataille d’idées. À la frénésie ambiante il oppose la mise en perspective historique, le reportage confié à des journalistes spécialisés, l’exposé engagé mais documenté. S’il ne cache pas ses opinions sous le masque hypocrite de l’objectivité, notre journal se flatte de compter parmi ses lecteurs des contradicteurs qui, même quand ils contestent nos positions sur certains sujets, apprécient de trouver dans nos colonnes non pas des sermons mais des faits datés et sourcés qu’ils chercheraient ailleurs en vain. Cette sobriété revendiquée, qui confinerait à l’austérité sans les voluptés de l’iconographie, n’est, avouons-le, guère aguicheuse : pas de débat en vidéo, pas d’interview sur canapé, pas de portrait de célébrités, pas de fil d’actualité, pas de rubrique consommation avec focus sur « les meilleurs coussins de voyage ». Notre site Internet, mis en ligne dès février 1995, n’a pour vocation ni de vendre de la publicité, ni de revendre les données de ses visiteurs, mais de proposer nos articles à la lecture et à l’écoute. Et pourtant Le Monde diplomatique existe : alors que la crise de la presse balayait les journaux, il a, jusqu’à une date récente, maintenu sa diffusion et accru son influence.

La liberté de choisir notre voie, nous la devons à la singularité du modèle économique qui forme l’assise du Monde diplomatique. Depuis 1996, cette organisation nous assure autonomie et indépendance : cette année-là, les lecteurs du journal rassemblés dans l’Association des Amis du Monde diplomatique ont racheté 25 % du capital ; de son côté, l’équipe, réunie au sein de l’Association Gunter Holzmann (du nom d’un généreux donateur dont le legs a permis d’impulser le mouvement) possède 24 % des parts. Ensemble, ces deux actionnaires disposent d’un droit de veto sur les décisions cruciales pour la vie de l’entreprise. Et, surtout : le directeur est élu tous les six ans par l’ensemble de notre petite équipe — pas seulement par les journalistes.

En organisant la filialisation du Monde diplomatique, jusque-là simple service au sein de la Société éditrice du Monde, Ignacio Ramonet et Bernard Cassen, qui dirigeaient alors le journal, eurent l’audace de poser la question de la propriété à un moment où il suffisait d’évoquer ce sujet pour déclencher la colère apoplectique des éditorialistes. «Cette thèse selon laquelle dès lors qu’on est possédé par des intérêts économiques on n’est pas libre, ça ne tient pas debout», fulminait Laurent Joffrin sur Canal Plus (11 juin 1999). «Terrorisme intellectuel» (Patrick Poivre d’Arvor), «populisme crypto-lepéniste» (Franz-Olivier Giesbert), notre terrain était assurément miné.

Vingt-cinq ans plus tard, que « 90 % des médias appartiennent à neuf milliardaires » sonne presque comme une évidence qu’on déplore en levant les yeux. Nous n’y sommes pas tout à fait étrangers. La carte « Médias français, qui possède quoi » (voir ci-dessous) domine depuis des années le palmarès des articles les plus consultés du Monde diplomatique. Sa première version, parue en 2007 dans le bimestriel de critique des médias et d’enquêtes sociales Le Plan B, se passait sous le manteau comme un objet honteux. Les dirigeants de la presse misaient alors sur les chartes déontologiques, les pactes d’actionnaires et autres barrières de papier supposées découpler la propriété du contrôle. La mise au pas brutale d’i-Télé en 2016 par M. Vincent Bolloré et la transformation de cette chaîne d’information branchée en bastion d’extrême droite sous le nom de CNews, le sort analogue subi par Le Journal du dimanche, le rachat et la conversion idéologique de Twitter par M. Elon Musk, ont prouvé aux naïfs que la thèse abhorrée par Laurent Joffrin n’était finalement pas si bancale. Depuis lors, lycées et institutions pédagogiques sollicitent régulièrement une autorisation du Monde diplomatique (toujours accordée) pour reproduire gracieusement cette carte qui illumine de nombreuses salles des professeurs. 

 

(…) À notre volonté de prendre du recul et de mettre l’actualité en perspective correspond celle de présenter nos arguments dans les règles de l’art : un journal tricoté main, sur papier comme en ligne. Chaque colonnage, chaque titre, chaque image découle du travail invisible réalisé par des maquettistes, correcteurs, photograveurs, iconographes, graphistes.

Des métiers traditionnels que nos « confrères » automatisent.

 

(…) Au fil des années, nous avons choisi d’améliorer la qualité du papier quand nos confrères pariaient sur la disparition de ce support confortable devenu trop coûteux. Il se dit que Le Monde diplomatique serait à la presse ce que le vinyle est à l’industrie du disque : un îlot où l’avant-garde vient trouver la qualité, dans un monde saturé de bruits de fond et de signaux dégradés. Peut-être, mais nous n’entendons pas nous laisser enfermer dans cet écrin. Publiée le 27 octobre, notre nouvelle application propose une lecture simple, élégante et confortable sur écrans où chacun pourra retrouver les numéros du mensuel, de Manière de voir ainsi que les articles du journal lus par des comédiens.

 

Extraits de l’article « Un journal non aligné » de Benoît Bréville & Pierre Rimbert

Novembre 2023

 

Quelques chiffres :

Le Monde diplomatique est le journal français le plus diffusé dans le monde.

En 2024, il est traduit en vingt-six langues dans trente-cinq pays.

Les revenus publicitaires représentent 0,2% du chiffre d’affaires.

 

 

Le Cube
Le jeudi 2 mai 2024 à 18h
Entrée libre
https://www.monde-diplomatique.fr/
29 avenue Robert Schumann
13100 Aix-en-Provence

Article paru le mercredi 17 avril 2024 dans Ventilo n° 496

Les 70 ans du Monde Diplomatique

Le Diplo souffle ses 70 bougies ! Le mensuel indépendant est bien loin de sa fin de vie, étant le journal français le plus diffusé dans le monde. Et des indépendants, il n’y en a plus beaucoup, pour en attester, on vous invite à remettre le nez dans la carte du Monde Diplomatique et d’Acrimed « Médias français, qui possède quoi ? ». Le Diplo propose une contre-infomation et une critique des rapports de domination (Nord/Sud, hommes/femmes, entre autres), soutenu par un lectorat engagé dans l’indépendance du journal. Les Amis du Monde diplomatique d’Aix fêtent cet anniversaire au Cube à la Fac de lettres avec des témoignages et une dégustation du gâteau d’anniversaire. Un événement festif mais aussi intellectuel, avec un débat en fin de journée sur le thème « Chine / États-Unis, désordre de l’ordre international » avec Renaud Lambert, membre de la rédaction en charge de l’Asie. L’inscription est vivement conseillée, les places sont limitées !

LD

 

> Le 2/05 au Cube (Aix-en-Provence)

Rens. : www.monde-diplomatique.fr