Santiago, Italia de Nanni Moretti

Thématique « Regarder derrière soi, le cinéma et l’histoire »

De voir de mémoire

 

La nouvelle du cinéma le Gyptis nous propose d’explorer les liens complexes mais essentiels entre histoire, mémoire et cinéma : ou comment le spectateur devient témoin d’un passé collectif.

 

Le cinéma est traversé depuis ses origines par la question de l’histoire, de sa représentation à l’écran et du rôle de spectateur-témoin : Antoine De Baecque, grand théoricien de l’image en mouvement, rappelle ainsi que « le cinéma semble être devenu, surtout dans la seconde moitié du XXe siècle, l’art par excellence de l’histoire, la forme moderne de la représentation historique. » Il n’est pas anodin que parmi les premiers gestes du cinématographe, les grandes pages de l’histoire furent donc portées à l’écran — on songe bien évidemment au fameux Assassinat du Duc de Guise d’André Calmettes —, et que l’un des premiers longs métrages fut le controversé Naissance d’une nation de David Wark Griffith, qui posa les jalons d’une représentation partiale et partielle d’un pan majeur de l’histoire américaine. L’une des problématiques de la démarche artistique est bel et bien la construction du dispositif et le positionnement du spectateur face au flot mémoriel, rarement exempt d’affects, comme le soulignait Élie Yazbek. C’est dire les difficultés qui incombent aux cinéastes dans leur représentation historique, récente ou passé. L’équipe du Gyptis nous propose de répondre partiellement à cette question essentielle de l’image en mouvement, avec sa nouvelle thématique, « Regarder derrière soi, le cinéma et l’histoire ». Au programme, une poignée d’invités, et, comme de coutume, quelques films bien sentis. À commencer par le dernier opus du grand Nanni Moretti, Santiago, Italia, qui narre, dans un dispositif cher au cinéaste, un pan peu connu de l’histoire italo-chilienne : ou comment, lors du coup d’État militaire de Pinochet en 1973, l’ambassade d’Italie sauva de nombreuses vies. Autre pays, autre dictature, Le Silence des autres, d’Almudena Carracedo et Robert Bahar, revient sur le passé franquiste de l’Espagne, cherchant à rompre le pacte de l’oubli et à revenir sur la loi d’amnistie qui interdit après la mort de Franco le jugement des crimes odieux perpétrés par l’un des plus sanguinaires dictateurs européens du 20e siècle. Cette représentation suscitée de l’histoire trouve deux expressions opposées dans deux autres opus également programmés : entre le grand classique La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo et le récent Green book : sur les routes du Sud de Peter Farrelly, les deux approches sensorielles placent le spectateur au cœur de deux axes d’observation certes différents et néanmoins, en certains points, symétriques. Quant aux conflits anti-coloniaux, au regard des divers films qui abordent le sujet ces dernières années en salle, force est de constater que de nombreuses pages n’ont pas encore été tournées : le cinéma devient à cet endroit précis le moyen d’expression idéal pour remettre au cœur du débat les plaies à panser (penser ?) collectivement. C’est le cas de Fahavalo, Madagascar 1947, qu’accompagnera la réalisatrice Marie-Clémence Andriamonta-Paes, et du très beau documentaire Résistantes de Fatima Sissani, également invitée lors de cette thématique, qui confronte le regard de trois femmes sur la guerre d’indépendance algérienne. Soulignons également la venue du réalisateur Joël Karekezi, pour La Miséricorde de la jungle, récemment primé au Fespaco, magnifique long métrage qui réveille les fantômes de la seconde guerre du Congo et du conflit rwandais. Enfin, réveiller la mémoire dans le champ — et le hors-champ — du cadre n’est pas l’apanage des grands conflits passés : le cinéma sait se faire le témoin de décennies plus récentes, propres à éclairer notre présent, à l’échelle d’une ville, d’un arrondissement, d’un quartier, à l’instar du film que présentera la cinéaste Caroline Chomienne, Freestyle, qui nous plonge, essentiellement vers Belsunce, au cœur de la cité phocéenne des années 2000.

 

Emmanuel Vigne

 

Thématique « Regarder derrière soi, le cinéma et l’histoire » : jusqu’au 28/04 au Gyptis (136 rue Loubon, 3e).

Rens. : www.lafriche.org/fr/cinema-le-gyptis

Le programme complet de la nouvelle thématique du Gyptis ici