Solal Bouloudnine © Ph. Lebruman

Seras-tu là ? – Solal Bouloudnine

Amor

 

À la sortie de Seras-tu là ?, il y a fort à parier que vous voudrez y retourner, tant l’émotion sera forte, le rire, salvateur, et la nostalgie, prenante.
Quelle chance, le premier solo de Solal Bouloudnine sera au Théâtre des Bernardines pendant quinze jours, le temps de faire amplement connaissance avec un acteur d’une trempe exceptionnelle, aux registres multiples, tout en amour.

 

 

Ces derniers mois, la presse parisienne a découvert ce comédien marseillais singulier, attaché viscéralement à sa ville tout comme à ses diverses familles. Faire le portrait de Solal Bouloudnine ne peut se faire qu’avec eux, à travers les yeux de son entourage familial et professionnel, de ceux de sa mère, ainsi qu’au travers des rôles qu’il choisit et qui, selon lui, le font grandir.

 

Le début de la fin

C’est l’histoire d’un homme qui réfute tellement toute fin qu’il commence par elle, histoire de s’en débarrasser au plus vite. Il faut admettre que les fins sont la plupart du temps irrémédiables… « J’ai peur de tout rater, que tout s’arrête, que tout le monde meure, de froisser les gens, je dois même être un peu parano…», plaisante Solal. Il préfère nettement les débuts, les naissances sont pour lui les moments les plus beaux et les plus marquants de sa vie : l’ERACM (École régionale d’acteurs de Cannes et Marseille), le projet originel de compagnie entre potes (l’IRMAR), le premier volet de Des Territoires..., la naissance de son fils…
Il y a, en effet, des fins qui sont le début du reste de notre vie… Et puis des fins que l’on se raconte encore et encore façon rêves éveillés, accommodant la réalité à notre sauce, en se donnant le beau rôle, en trafiquant les destins, en s’imposant en unique metteur en scène . Un vieux réflexe de l’enfance où l’on s’imaginait des mondes, où l’on jouait à…
Avec son solo Seras-tu là ?, Solal Bouloudnine nous fait traverser tous ces états, toutes ces étapes d’existence.
Solal est de ces hommes, petits garçons, comédiens, auteurs, qui, par peur du vide, ont fait de leur vie un plein. Un plein de mots, de copains, de débit rapide, de cris, de colères, de rires éclatants ou d’humour noir toujours teinté de tendresse, de nostalgies mélancoliques aux couleurs criardes qui claquent dans le vent du passé. Solal prend des prétextes — Michel Berger, les chansons populaires, un univers 90’s… — pour nous parler de nous à travers lui, de lui par-devant nous. Ce spectacle est un miroir à facettes, aussi disco que trash, aussi profond que « déconnant » ; il contient toutes les richesses de la vie, celles que l’on arrache de haute lutte, qui se savourent en une minute et se regrettent à jamais.

Dans une chambre d’enfant aussi pop que bordélique, un homme en tenue de tennis souillée, le visage barbouillé, joue le match de sa vie. Michel Berger est sur le court de sa maison de Ramatuelle, le petit Solal dans sa chambrette à deux pas de là, en vacances chez une cousine de sa mère. Rien ne les relie jusqu’à ce que cette mort médiatisée un jour d’août 1992 les soude à jamais. Le premier s’effondre, terrassé par une crise cardiaque ; le deuxième se retrouve face à son premier « vrai » mort. D’autres suivront, dans la famille proche, d’autres deuils d’amis, de situations, de rêves…
Seras-tu là ? ne se résume pas à une seule peur panique de la mort, il narre la peur de l’absence, du vide. « Je déteste être seul, j’ai toujours besoin d’avoir du monde autour et avec moi. »

 

Enfant de

Dans sa famille, la vocation est du côté du médical, versant gastro pour le père et psy pour les deux frères. Pas facile de se démarquer dans une autre voie, de ne pas passer pour le rigolo de service. Mais déjà tout petit, Solal claironne son intention d’être comédien. Nadia, sa mère, se souvient de sa facilité à présenter des petits spectacles devant des invités à qui il distribuait même des tickets, et de l’extrême difficulté de l’arrêter. Un entêtement, un jusqu’au-boutisme qui s’est transformé en perfectionnisme, comme le souligne Alexandra Tobelaim, qui l’a mis plusieurs fois en scène, notamment dans les textes poignants de Davide Enia Italie-Brésil 3 à 2 et récemment Abysses : « Il a besoin sans cesse d’être dans le faire mieux, plus. »

Solal a gardé cette façon enfantine de jouer à 100 %, de tout donner, que ce soit dans des spectacles marathons forts en intensité de jeu comme ceux d’Alexandra Tobelaim ou dans la folle trilogie Des Territoires… de son ami et complice Baptiste Amann, où il campe un personnage à forte charge émotionnelle, Hafiz, frère adopté de la fratrie, figure d’une Algérie du souvenir.
Solal Bouloudnine a fait sienne cette phrase de Baptiste Amann : « Il n’y a pas d’adulte, il n’y a que des enfants qui n’ont pas grandi.»

« Quand je vois grandir mes enfants,  j’ai parfois l’impression que l’on n’a pas beaucoup de différence d’âge. (Sourire) Et en même temps, il y a une responsabilité que je dois avoir. Je me retrouve beaucoup dans mon fils. Comme les gosses,  j’adore me mettre en danger plus que tout. J’aime avoir le trac, c’est pour cela que j’étais bien chez les Chiens de Navarre, c’était des impros, parfois nous ne savions pas du tout ce que nous allions jouer. Quand je n’ai pas le trac, ça m’énerve, donc je cherche à me mettre dans des situations inconfortables, il en sort des choses inédites. Et puis cette excitation-là me porte, le plateau est un autre espace qui calme mes angoisses permanentes. Un autre terrain de jeu, celui que je préfère le plus au monde. En dehors, bien sûr, de mes familles, qui sont des endroits de sincérité, de bons conseils, des socles. » En plus d’un immense amour, sa mère lui a donné beaucoup d’humour. Il était donc évident qu’il mette en scène ce personnage adorable dans Seras-tu là  ?, une façon de l’immortaliser.

 

Idole

« Je trouvais intéressant d’avoir cette dimension-là, celle d’un mythe, plutôt que de me centrer sur mon histoire. Les chansons de variétés expriment des émotions que tout le monde a plus ou moins ressenties. Là je me sers de Michel Berger et de ses chansons populaires pour me raconter. C’est une porte d’entrée immense car la vie qu’il a eue permet d’aborder beaucoup de sujets. »
S’il n’a pas vraiment d’idole, Solal Bouloudnine est fasciné par certains artistes, tel cet autre éternel enfant farceur qu’est François Damiens et ses caméras cachées. Solal pratique cet exercice à sa façon : on se souvient de ses irrésistibles vidéos lors des élections présidentielles de 2017. Il aime aussi Charlie Kaufman et rêve de tourner avec Audiard, Mike Leigh ou Jean-Bernard Marlin, réalisateur du multi primé Shéhérazade, pour sa vision crue et sincère de Marseille. Et si son envie de réaliser un film se concrétise, pourquoi pas avec Vincent Cassel ? Ce serait surtout l’occasion de pouvoir, à son tour, écrire des rôles pour ses amis : Lyn, Olivier, Yohann, Baptiste, Maxime.
Sa seule idole pourrait être Marseille, vu l’attachement qu’il porte à ses origines, la mer, qu’il affectionne plus que tout, la lumière, la gentillesse, l’humour, la folie des Marseillais, l’absurde de certains situations…
Solal rêve d’écrire sur Marseille et spécialement, en grand amateur de foot qu’il est, sur l’OM. Il semblerait que nous allons souvent revoir l’enfant du pays…

Solal Bouloudnine avait co-écrit et mis en scène Spectateur : droits et devoirs avec Baptiste Amann et Olivier Veillon. Pour Seras-tu là ?, nul besoin de notice pour être totalement conquis.

 

 

Marie Anezin

Seras-tu là ? – Solal Bouloudnine : du 3 au 14/05 au Théâtre des Bernardines

Rens. : www.lestheatres.net

 

 


Solal Bouloudnine vu par…

 

Nadia Bouloudnine (maman de Solal et l’un des personnages de Seras-tu là ?)

« Solal aime les gens, c’est un bon ami et il est tellement, tellement tendre ! Il ressemble beaucoup à mon frère qui est décédé quand il était petit ; lui aussi était marrant, sensible ; il aurait voulu être comédien. Peut-être qu’en plus d’être le petit dernier, j’ai une relation particulière avec lui à cause de cela.
À l’école, Solal se mêlait de tout, il bavardait, il avait un côté Robin des bois, à défendre les plus défavorisés. En classe, il n’était ni un éclair, ni mauvais, simplement il se faisait remarquer…

Je suis touchée qu’il parle de moi dans son premier spectacle. Il me montre en caricature de la mère juive, je ne sais pas si c’est vraiment moi. (Sourire) J’aime mes enfants, les mères qu’elles soient chinoises ou juives aiment leurs enfants, non ? En tout cas, je le fais rire et moi, ça m’amuse de le voir me refaire.

 

Olivier Veillon (co-metteur en scène et collaborateur à l’écriture de Seras-tu là ?)
« Avec Solal, on se connaît par cœur. Je ne compte plus les spectacles qu’on a faits ensemble, surtout en tant qu’acteurs tous les deux… Mais là, c’était différent, il fallait l’aider à accoucher de SON solo, il fallait faire un spectacle qui lui ressemble, qui le raconte, lui, et pas faire un spectacle de metteur en scène. Il fallait s’effacer pour qu’il se déploie : c’est le spectacle d’un acteur. Tout le travail qu’on a mené pendant quinze ans avec nos camarades Lyn, Baptiste, Victor et tous les autres nous a rapprochés à tel point que ça a été facile : il suffisait de l’encourager dans sa connerie qui est aussi un peu la mienne, la nôtre, et puis le canaliser. 

Parce que diriger Solal, c’est un rodéo, le grand huit des émotions — quand connaît sa mère, qui est à la ville comme dans le spectacle, on comprend d’où ça vient. On n’était pas trop de deux metteurs en scène, avec Maxime. Mais ce qui est pratique avec lui, c’est que quand il doute ou qu’il n’est pas en confiance, il suffit de le mettre à table en face d’un poulet rôti et il devient Obélix : il cesse de parler, tète chaque os jusqu’à plus rien, s’en met partout, fait son rot et voilà, il est rassuré. Ça coûte cher en poulet, mais on n’a pas trouvé plus efficace, et la méthode est bien moins fatigante qu’une séance de conversation intello sur le sens de la vie ou le théâtre contemporain. On n’attrape pas des mouches avec du vinaigre : Solal, ce n’est pas une mouche de bibliothèque, c’est une mouche à poulet rôti. » 

 

Maxime Mikolajczak (co-auteur et metteur en scène de Seras-tu là ?) 

« Au départ avec Solal, c’était une histoire de colocation imprévue à Marseille ! Qui aura finalement scellé le point de départ d’une amitié. Et c’est justement lors d’un café amical que Solal m’a annoncé qu’il souhaitait faire un seul en scène. Un spectacle à lui, qui lui ressemble. Lorsqu’il m’a demandé si je voulais bien l’accompagner dans ce projet, je n’ai hésité bien longtemps, même pas du tout. “Accompagner” est je crois le terme le plus approprié. Ce fut alors le début d’une grande série de tentatives, de ratés, de réflexions, de retours en arrière, et, surtout, il faut bien le dire, de rires, pour tenter d’accoucher de ce spectacle. Olivier nous a rejoints, comme une évidence (au départ avec Olivier, c’est l’histoire d’une colocation temporaire à Montreuil, qui aura finalement scellé le point de départ d’une amitié… J’attends qu’il m’invite à boire un café…). Il y a aussi François, Mathilde, Olivier, Alice, Lucas… en fait, on est beaucoup !

L’angoisse de la mort, la nostalgie de l’enfance, le football, les films et les séries des années 90, un papa au bloc opératoire, beaucoup de choses nous étaient communes avec Solal. Et ce spectacle nous aura encore plus rapprochés.

Bref, mettez-vous en coloc’ ! »

 

Alexandra Tobelaim (directrice du NEST – CDN transfrontalier Thionville-Grand Est et metteuse en scène de Italie – Brésil 3 à 2 et Abysses de Davide Enia)

« Ah ! Solal ! C’est un acteur magnifique. Il est impressionnant en répétition, il avance tellement intensément d’un jour à l’autre, c’est étonnant. Et Solal, c’est aussi des émotions, des émotions en pagaille, sur le plateau et dans la vie. C’est aussi le seul acteur que je connaisse qui aime bien que je lui fasse des retours pas trop positifs après les représentations ! Il aime savoir ce qui ne va pas pour toujours se remettre au travail, et ça, c’est chouette ! »

 

Maxance Tual (Les Chiens de Navarre)

« Il peut être infiniment drôle, infiniment poignant, infiniment émouvant, infiniment inquiétant… à sa guise. Il n’a fait qu’un spectacle avec les Chiens de Navarre (Les Armoires normandes). Il est trop doué, on l’a viré. »

 

Baptiste Amann (Compagnie l’Annexe, auteur de Des territoires…)

« Solal est comme un frère pour moi. Je suis très heureux de ce qui lui arrive en ce moment, autour du succès de son solo. C’est un comédien magnifique dont j’ai pu voir de près l’évolution avec toujours beaucoup d’admiration. Il a atteint désormais une maturité et une profondeur dans le jeu qui présage du meilleur pour la suite. C’est une immense chance et une grande fierté pour moi d’avoir pu construire mes premières armes dans ce métier à ses côtés. »

 

Propos recueillis par Marie Anezin