Benoît Rosemont

Semaine de la Pop Philosophie

Les dessous des cartes

 

Si l’on peut entendre régulièrement au Parc des Princes que « Paris est magique », c’est bien la cité phocéenne qui l’est aujourd’hui, non pas pour des raisons sportives ou surnaturelles, mais pour la neuvième Semaine de la Pop Philosophie qui analyse, sans trucs, la magie de scène.

 

Le concept de « pop philosophie » a été proposé par Gilles Deleuze à la fin des années 70. Son idée était de proposer à des philosophes d’analyser des concepts autour d’un concert de Jimi Hendrix ou d’un film de série B. Plus généralement, le philosophe Laurent de Sutter explique qu’il s’agit de « l’art de tirer de la rencontre avec les objets les plus triviaux les conséquences les plus élevées — un art qui, s’il n’est pas excitant, n’est rien. »

En 2009, Jacques Serrano déploie cette notion au grand jour en fondant et en organisant la première Semaine de la Pop Philosophie à Marseille. A partir de cette date, toutes les marques de notre temps sont passées au microscope, des blockbusters aux tubes musicaux en passant par le monokini, les super-héros ou encore la cigarette. L’audience de cette manifestation ne cessera de grandir depuis, car « le public n’a plus d’appréhension à écouter un philosophe qui nous parle de choses connues. »

Fallait-il craindre qu’une partie des penseurs ne soient réticents à l’idée de se pencher sur des objets « communs », alors que leur discipline est plutôt habituée à traiter de sujets dits « intemporels » ? Non, car la philosophie ne s’est jamais privée de parler de tous les objets, elle est évolutive, et le terme même de « pop philosophie » a plusieurs acceptions. Pour les uns, il s’agit d’extraire des concepts d’objets contemporains. Pour les autres, ces mêmes objets sont plutôt utilisés pour y trouver des exemples, des applications de sujets philosophiques. Aussi, Jacques Serrano préfère-t-il parler d’« élitisme pour toutes et tous ».

 

De l’idée à la forme

La magie est un bon exemple de pop philosophie. Comme l’explique le philosophe Alain Poussard, la prendre comme sujet d’étude permet de casser le stéréotype d’un art qui ne serait pas « sérieux ». Il estime que ses confrères auraient beaucoup à gagner à « regarder travailler les meilleurs magiciens et la manière dont les spectateurs réagissent, prenant du plaisir dans la tromperie. »

Au-delà de l’originalité de son thème, cette nouvelle édition se distingue par son cheminement. Jacques Serrano a en effet commencé par rencontrer Leslie Villiaume, qui prépare une thèse de doctorat sur la prestidigitation au XIXe siècle et qui… pratique la magie. A partir de là, des philosophes ayant travaillé sur le sujet et d’autres universitaires et/ou pratiquants ont été contactés pour réfléchir à la manière dont ils perçoivent la magie à partir de leur métier (avocat, historien, sociologue). Le programme de la manifestation a pu alors se construire sans que le grand public n’en connaisse les trucs et astuces.

Attention toutefois : contrairement aux définitions auxquelles nous habituent les dictionnaires, le thème de l’événement n’a rien à voir avec un ensemble de croyances reposant sur l’idée qu’il existe des forces occultes. C’est justement du côté du langage courant que se tourne la magie de scène, en digne représentante de la pop philosophie. Il est ici question de tours de prestidigitation qui n’ont que l’apparence du surnaturel. Autrement dit, le lapin n’a jamais été loin du chapeau d’où il sort, le nœud de la corde n’a jamais été indénouable et l’assistante du magicien ne va pas être réellement coupée en quatre.

Ces tours de magie requièrent une grande maîtrise, une véritable mise en scène, et peuvent même être qualifiés d’œuvres à part entière. Nous sommes bien en présence d’un art populaire de l’invisible auquel les adultes veulent croire sans y croire. La magie nous parle d’art, de croyances, des frontières entre réel et irréel, et donc de concepts. Il était temps que la philosophie s’intéresse au sujet à travers cette Semaine bien particulière.

Pour mieux décortiquer ce thème, des conférences, parfois émaillées de quelques démonstrations, se succèderont pour parler autant de la manière dont le droit peut protéger une telle chose invisible, des mécanismes du cerveau face aux tours de magie, de l’escamotage dans l’histoire de l’art ou encore de la représentation de la magie au cinéma, à la télévision et au théâtre.

Quand on interroge les participants à cette Semaine sur les origines de leur rapport à la magie, une chose frappe d’abord : l’excellente mémoire sur l’âge auquel cet art est entré dans leur vie. Trois ans pour Pascal Morchain, quatre pour Gérard Kunian, six pour Frédéric Tabet et Leslie Villiaume, huit pour Benoît Rosemont… Il faut croire que l’illusion marque les esprits. C’est à la faveur d’une boîte de magie offerte à Noël ou pour un anniversaire que les premiers tours ont été appris, à moins qu’un frère peu enclin au prêt n’oblige à passer par la bibliothèque municipale (Pascal).

Tout est donc souvent affaire de famille et de transmission ; d’autant plus lorsque l’on a un père qui nous montre des tours (Leslie et Pascal), qu’une amie de la famille nous prête ses vieux livres de techniques de prestidigitation ou qu’un magicien daigne nous montrer comment faire disparaître le bouchon d’une bouteille d’eau (Guilhem Julia).

 

De la forme à la pratique

Passé ce premier déclic, une passion naît. Elle permet de perfectionner sa pratique, de se pencher plus sur la subtilité de la construction des mouvements que sur le secret des tours (Alain de Moyencourt), puis d’en faire un sujet de recherche universitaire en histoire des arts (Pierre Taillefer) ou des sciences (Leslie), et d’ouvrir des passerelles vers d’autres formes de représentations (télévision, cinéma et théâtre pour Frédéric). Quand la magie est un « petit boulot agréable » pour Frédéric, elle a notamment conduit Gérard Kunian, chercheur, historien et magicien, à collaborer avec des écrivains sur des autobiographies de célébrités comme Houdini, et avec Gérard Majax à la télévision. Il semblerait que chaque intervenant, à l’instar de Thibault Rioult, ait « grandi avec la magie en partageant un amour de l’étonnement, du rêve et de l’imagination créatrice. »

A écouter les intervenants de la Semaine, la magie a bien plus d’un tour dans son sac pour être utile à chacun. De par sa faculté à faire travailler l’agilité, la confiance en soi, à développer l’imagination pour créer des effets, et, afin de rendre l’effet magique, à chercher une histoire avec une introduction, un développement et une conclusion, elle est évidemment une pratique à conseiller à tout jeune (Olivier Raynaud). Pour un professeur comme Guilhem Julia, elle apporte des techniques de captation de l’attention et de gestion de la voix pour rendre ses cours magistraux plus vivants et interactifs.

La magie se révèle également bénéfique à de nombreuses disciplines et pratiques. Dans la mnémotechnie, par exemple, elle peut décupler des effets spectaculaires d’après Benoît Rosemont, expert en la matière. Le cinéma, quant à lui, s’inspire aujourd’hui beaucoup de l’illusionnisme de certains spectacles ; ce qui pourrait même faire du Septième Art « un type particulier de prestidigitation » (Frédéric Tabet). Quant à l’histoire, la magie l’invite à « ne pas cliver les méthodologies » et à s’intéresser aux connexions entre disciplines artistiques et scientifiques (Leslie Villiaume).

Et la philosophie dans tout ça ? D’une part, la magie nous « interroge en profondeur sur la structure de la réalité puisque l’illusion, la vérité, l’expérience, la causalité, ou la symbolique sont bien des concepts clefs du champ philosophique. La magie de scène offre donc un laboratoire pour expérimenter concrètement et sensiblement ces idées. » (Thibault Rioult) D’autre part, Alain de Moyencourt souligne que la discipline permet aux magiciens de faire de la philosophie de manière quasi spontanée quand ils analysent leurs gestes.

Finalement, c’est à une meilleure connaissance de nous-mêmes que nous convie la magie, à travers l’empathie qu’elle suscite (Pascal Morchain), ou par sa capacité à faire « vaciller nos certitudes et nous rappelle sans cesse que le doute est la clef de la connaissance » (Pierre Taillefer).

Une voix sortie d’un chapeau dit même qu’un recueil de textes issus de cette Semaine spéciale serait à l’étude…

Guillaume Arias

 

Semaine de la Pop Philosophie : du 17 au 22/10 à Marseille (Théâtre de la Criée, FRAC PACA, BMVR l’Alcazar, Vidéodrome 2, Opéra de Marseille, Théâtre de l’Odéon, Centre de la Vieille Charité et cipM).
Rens. : 04 91 90 08 55 / www.semainedelapopphilosophie.fr

Le programme complet de la Semaine de la Pop Philosophie ici

 

 


BONUS

Petit questionnaire proustien pour Jacques Serrano.

 Si la magie était…

… un film ?
Magic in the Moonlight de Woody Allen parle d’un prestidigitateur qui cherche à démasquer une prétendue médium. Pour moi, ce film s’inscrit dans la continuité de penseurs qui se battent contre la crédulité.

… un animal ?
Ce serait le phasme, un insecte qui a l’air de ce qu’il n’est pas.

… un plat cuisiné ?
Les alouettes sans tête, cherchez l’alouette…