Ferronnerie Piana © Cynthia Cucchi / Ventilo

Projet Miraa

La dame de faire

 

Déterminé à animer le tranquille 7e arrondissement de Marseille et à en fédérer les forces vives, le collectif Miraa a lancé un pari fou : transformer une ancienne ferronnerie en fabrique de curiosités. Focus sur ce projet de tiers-lieu avec celle qui le porte depuis de longs mois : Kelly Merran.

 

 

C’est une jeune femme dynamique, bien dans ses baskets et dans son temps, au regard lumineux et à l’écoute du monde comme des autres. Nous ne savons pas tout de Kelly Merran, mais suffisamment pour comprendre qu’elle est en accord avec elle-même, ses idées et les valeurs qu’elle s’évertue à mettre en pratique dans sa vie personnelle comme professionnelle. C’est ce qu’elle appelle son « alignement », concept qu’elle souhaite insuffler dans tous ses projets, passés et futurs. Originaire de Paris, Kelly possède cette culture du portage de projet et d’accompagnement qu’elle a pu développer au cœur d’une start-up parisienne, dans laquelle l’important était que les personnes croient en ce qu’elles font et fassent ce en quoi elles croient, qu’ils soient chef d’entreprises, artistes ou autres. Cette idée d’être à l’écoute de ses émotions sous-tendait aussi son projet de podcast intitulé Insensé, en quête de sens.

 

Une école pas comme les autres

Le confinement et son attachement à Marseille ont mis un coup d’accélérateur à son nouveau projet, baptisé « Miraa, école de la curiosité », qu’elle souhaite construire en lien avec les habitants autour de cette fabuleuse ferronnerie de la famille Piana abandonnée au cœur du 7e arrondissement, rue Sauveur Tobelem. C’est simple, de ce lieu immense, elle en est littéralement tombée amoureuse ! Elle évoque le projet qu’elle imagine au sein de ce joyau architectural, vestige d’un passé industriel révolu, avec comme ligne principale la mixité des publics et des activités proposées (coin jardin, offre culturelle, ateliers de réparation de vélo, etc.). Elle raconte comment, débarquée à Marseille il y a quelques mois, elle a pris le train en route, apportant un nouveau souffle à cette idée de tiers-lieu, si chère à ses yeux, où chacun pourrait identifier ses talents, les faire rayonner et se retrouver autour de projets communs : « L’idée serait de permettre à chacun de travailler son intuition comme un muscle. »

 

Inspirations urbaines et citoyennes

Arrondissement de caractère, ouvert sur la mer et le centre-ville, le 7e a de nombreux atouts, mais finalement assez peu de lieux de rencontres et d’échanges. L’inspiration de Kelly s’appuie à la fois sur des expériences citoyennes menées dans d’autres grandes villes de France (comme le projet Darwin à Bordeaux ou les Grands Voisins à Paris), mais aussi sur quelque chose de l’ordre de l’intime, puisé dans ses capacités personnelles issues du fameux « alignement », avec en perspective l’idée d’une école Montessori pour adultes. En arrière-plan, les attentes fortes et diversifiées des habitants du quartier qu’elle s’impose de recueillir au fil des semaines.

 

Mobilisation pour le patrimoine

Locataire d’une partie des locaux Piana il y a de nombreuses années, le collectif ALT + (incarné notamment par Stéphane Rutily et Keryan Morvan, architectes fondateurs) a monté une association pour unir les habitants du quartier, fédérer l’initiative et sauver le lieu en péril. Il y a vingt ans, la famille Piana avait vendu le bâti à Nexity (les détails du contexte de l’époque ne sont pas connus) pour sans doute en faire un immeuble aseptisé (la famille n’en aurait pas eu alors forcément conscience). ALT + s’est alors mobilisé pour sauver le patrimoine et ses 2300 m² avec le soutien de certains élus, de la presse, et le rassemblement des habitants pour, après des années de bataille acharnée, obtenir la préemption par la Métropole en 2019. Aujourd’hui, même si le lieu a été préempté pour devenir un parking (mais l’objet peut changer avec le temps), c’est en réalité une victoire. Il se trouve en effet que les pouvoirs publics sont intéressés par le projet de tiers-lieu.

 

Quelle suite pour le projet ?

Tout devient alors une question d’intentions et de temporalité. Afin de déterminer les intentions, une étude urbaine, doublée d’une démarche participative, va être menée. « Nous savons déjà que le pourcentage de chances d’aboutir à la construction d’un parking est amoindri, mais ça reste une question ouverte, dépendante du positionnement des habitants. » De cette étude urbaine naîtra une étude patrimoniale ayant pour but d’identifier et de référencer les objets remarquables à l’intérieur du site. C’est à ce moment-là que devrait arriver une concertation avec les porteurs de projet, les associations du quartier et les commerçants pour voir comment réunir tout ce beau monde. À l’heure où l’étude urbaine n’a pas encore été lancée, c’est la temporalité qui semble difficile à estimer. Alors, quand on demande à Kelly comment elle fait pour ne tout simplement pas se décourager, elle poursuit : « D’ici à deux ans, on espère que la concertation qui aura eu lieu ainsi que toutes les études iront dans la direction d’un lieu de vie. On souhaite garder la motivation et la résilience ! Avant d’ajouter, confiante, que ce qui va se passer va se définir dans les prochaines semaines ! » L’équipe de Miraa a pu discuter avec la mairie de secteur, la mairie centrale et la Métropole et a désormais plus de visibilité sur les différentes étapes à venir : « Nous savons que les travaux et mouvements dans la ferronnerie ne seront pas immédiats. » Alors, pour prendre son mal en patience, le collectif poursuit la campagne citoyenne engagée il y a quelques mois.

 

Campagne citoyenne et ateliers hors les murs

Cette campagne prend la forme d’une série de questions (sous forme de QCM) pour établir un premier contact, avoir des premiers retours. À ce jour, environ 1200 personnes y ont répondu et en ressortent que l’art et la culture sont de loin les premiers objets sélectionnés, peut-être pour « combler le trou béant existant dans le 7e arrondissement. » Nous tempérons en expliquant que la librairie Pantagruel, ouverte il y a cinq ans et qui a fait un Petit depuis, reste un lieu de culture et de rencontres très porteur. Kelly insiste sur le fait « qu’il n’y a pas forcément de lieux alternatifs pour les néo-arrivants ou la petite dame de quatre-vingts ans. » L’idée de cette campagne en ligne est d’aller chercher encore plus de répondants, et ce, parmi des populations pas encore représentées, en créant des ateliers « hors les murs » basés sur l’intelligence collective et les propositions des citoyens. Une rencontre a déjà eu lieu en ligne et une autre au Frioul sur la thématique de la non violence et des émotions. Miraa collabore aussi avec d’autres lieux et entend poursuive la gouvernance collective sur des événements permettant de rester connectés à soi, à l’autre et à la nature. En parallèle, Kelly s’entoure de ce qu’elle appelle « les regards bienveillants » : Yes We Camp, Coco Velten, Marseille Solutions, The Camp etc. Autant d’entités qui gravitent autour du projet Miraa, « une vraie bande de fêlés ! », sourit Kelly.

Pour l’instant, Miraa n’est porté par aucune structure juridique et a été pensé comme un festival itinérant de la curiosité. « L’idée serait de peut-être créer une SCOP (société coopérative et participative), voire une SCIC (Société coopérative d’intérêt collectifs) pour inclure les habitants, associations et commerçants. »

Les réflexions sont engagées pour passer du rêve à la réalité, en gardant à l’esprit que la réalité a aussi pour mission de faire rêver. « On continue à nourrir les efforts de concertation citoyenne pour faire de cette friche un lieu de vie qui amène un peu de magie dans le 7e », conclut Kelly. Affaire à suivre !

 

Cécile Mathieu et Charlotte Lazarewicz

 

Rens. : https://www.miraa.fr
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