Pink © Yann Marquis

Portrait | Why Am I Mr Pink?

La vie en rose

 

Vous avez sûrement déjà dansé grâce à lui aux Demoiselles du Cinq, chez Oogie, à la Dame Noir ou à Seconde Nature. Vous connaissez peut-être son émission sur Radio Grenouille, son portfolio ou vous appréciez sa bonhomie communicative… Derrière les platines, il s’est taillé une solide petite réputation, et fait même l’unanimité chez les noctambules exigeants. Rencontre avec Yann Decamps, alias Why Am I Mr Pink?, alias Pink.

 

« Quand je suis arrivé il y a dix ans à Marseille, je n’attendais rien de spécial. » Ainsi, très naturellement, d’opportunité en opportunité, Yann se laisse porter. Au fil des rencontres, il devient Pink, dj mutant qui donne des fourmis aux jambes insomniaques, mais pas seulement… Car pour faire court, ce qui nous séduit tout particulièrement chez cet homme, c’est cette capacité à faire le pont entre des milieux qui se rencontrent rarement — du rock garage au clubbing —, s’inscrivant par là dans la continuité d’une pratique musicale (le dijaying) originellement décloisonnante. Et à propos de regard dans le rétroviseur, même s’il ne bosse pas sur vinyle, on ne peut pas enlever cette petite touche vintage qui lui sied à merveille. Dans ses sélections d’abord, clairement orientées années 80, dans son attachement aux magazines spécialisés ensuite, dans sa façon de noter la structure de ses mix sur des feuilles volantes, jusqu’à son look et son utilisation relativement récente de l’outil informatique. Pour l’anecdote, il nous avouera même avoir démarché Paul de Virgo Music il y a cinq/six ans avec… une cassette. Pas par effet de style, mais parce qu’il n’avait alors pas vraiment le choix pour enregistrer ses mix !
« Je ne pense pas que le rôle premier du dj ait vraiment changé. Il est celui qui sélectionne et diffuse avec plus ou moins de talent et de conviction de la musique à destination d’un public. Par contre, ces vingt dernières années, la pratique du djaying s’est démocratisée de manière fulgurante, en même temps que s’est développée une dématérialisation des outils. Je pense qu’Internet, à travers YouTube par exemple, ou bien des blogs spécialisés, a permis de niveler les connaissances, de réduire le fossé entre un simple amateur de musique et un vrai digger. Personnellement, je n’y vois aucun inconvénient, bien au contraire. Un public exigeant te poussera toujours à rester éveillé, à trouver d’autres labels et d’autres artistes pertinents et excitants. Nous vivons une époque formidable. » En découle une véritable quête de la perle rare, qui transparaît par ailleurs depuis 2009 sur les ondes de Radio Grenouille via ses fameuses Pink Sessions, rendez-vous mensuel qui « puise ses premières inspirations dans le disco punk et le NY noise 80’s à forte tendance DIY », pouvant aussi bien être écouté « dans une voiture, quand tu fais le ménage ou, dans le meilleur des cas, durant un coït. » A dix milles lieues d’une simple histoire de mixage de BPM, il donne à entendre ce dont le bonhomme, quelque peu perfectionniste, est capable, tout en étant « construit de façon évolutive, dans un schéma assez classique, avec un point culminant en plein milieu, un peu comme un coït quoi, et ses préliminaires… » En somme, une mise en jambe parfaite pour le suivre ensuite jusqu’au bout de la nuit, à quatre mains avec L’Amateur sous le pseudonyme Bordello, ou en solo. Il suffit d’ailleurs d’interroger jusqu’à son entourage direct, son colocataire, l’incontournable Michel Montagne (élu Personnalité la plus populaire de Facebook par votre culturel gratuit préféré), pour rendre compte de la qualité de ses divagations nocturnes : « Sans rentrer dans le dédale des styles et courants musicaux où je me perds instantanément, je qualifierais ses sets de rageurs, mais plus version “fièvre” ou “frénésie” que “colère”. Une rage qui donne envie, le sourire aux lèvres, d’affronter le dancefloor pour une longue baston. Je me souviens d’un de ses récents sets aux Demoiselles du Cinq où je me suis surpris à danser non-stop pendant trois heures d’affilée avec pour seul carburant trois bières, la chaleur ambiante et plusieurs litres d’eau, ce qui ne m’arrive pas toutes les semaines. »
Comédien de métier, un peu par la force des choses, au fil du hasard, Yann multiplie les casquettes. « Il y a quelques années, on m’a fait le meilleur cadeau que l’on pouvait me faire : un appareil photo argentique. » Depuis, il shoote ici et là au fil de pérégrinations plus ou moins nocturnes, des portraits, des paysages et des situations plus ou moins loufoques. De courts instants rendus à l’éternité, empruntant bien souvent l’opacité d’une ambiance aquatique et la densité d’une peinture, comme autant d’immersions esthétisantes en plein dans la continuité de sa démarche musicale. Récemment, il a même été sollicité par la galerie Lift et la compagnie Aérosculpture en tant qu’illustrateur musical. « Le principe est le même, sauf que là, tu soutiens musicalement une démarche artistique photographique ou vidéo en y ajoutant une nouvelle subjectivité. » Cohérent, Yann l’est assurément, guidé par une curiosité que nous souhaitions, ici même, féliciter.

Jordan Saïsset

 

Bordello #23, avec Why Am I Mr Pink et L’Amateur : le 20/02 aux Demoiselles du Cinq (5 rue de l’Arc, 1er). Rens. : 06 23 21 26 05

Pour écouter : www.soundcloud.com/whyamimrpink
Son émission sur Radio Grenouille : www.radiogrenouille.com/why-am-i-mr-pink
Son portfolio > www.yandecamps.portfoliobox.fr/