© Pascal Grimaud

Pascal Grimaud – Sous le Vent à la librairire-galerie Zoème

L’happeur du vide

 

Natif d’un village situé dans les Alpilles, le photographe Pascal Grimaud a entamé depuis 2013 un travail sur ce territoire. À l’image, ses racines prennent forme à travers une nature qui tente encore de trouver sa place face à une urbanisation parfois absurde. Bienvenu Sous le Vent.

 

Après avoir trouvé son inspiration, depuis une vingtaine d’années, dans des voyages lointains, Pascal s’est penché sur la question des liens entre l’humain, la nature et l’urbain dans le sud de la France. L’origine de Sous le vent n’est pourtant pas récente. Au début des années 90, Pascal a travaillé comme apprenti en milieu agricole. Il avait alors été touché par cette nature cultivée par une main humaine mais aussi par les machines. Cette mécanisation se couplait déjà d’un grignotement urbain des terres rurales.

Le temps passe et l’artiste mûrit sa démarche, qui sera faite de retours sur des lieux connus pour les aborder avec un « pas de côté ». Variations et relectures guident ainsi le photographe. Pour Sous le vent, il revisite des lieux maintes fois parcourus en brouillant les cartes du temps et en nous interpellant sur la manière dont le vide se remplit ; par des maisons en construction ou par une nature sauvage.

Que trouve-t-on ou que recherche-t-on sous le vent ? Un abri, le calme, ou une vie végétale active, peut-être. Une chose est certaine, nous pouvons en bénéficier autant à l’intérieur d’une habitation qu’au pied d’un arbre. Nous sommes prévenus, une fois la porte de la librairie-galerie Zoème franchie, protégé du mistral, il sera question de frontières entre dessus et dessous et donc, de géométrie, mais également d’apaisement et de (re)naissance.

Passé l’impressionnant grand format d’un enchevêtrement de plantes et d’arbres en guise d’introduction, l’image inaugurant les photographies de même format et qui prend nos yeux par la main jusqu’au premier étage est celle d’un lotissement inachevé, auquel le noir et blanc confère un caractère intemporel. Sommes-nous aux premiers parpaings d’un village ou à son extension, au milieu d’habitations abandonnées ou, au contraire, en construction ? La nature environnante a-t-elle fini d’être dévorée ou l’urbanisation n’en est-elle qu’à son hors-d’œuvre ?

Dès lors, la vingtaine de planches en noir et blanc qui se succèdent prend une autre dimension, hors du temps. Avec l’absence de couleur, que le vide soit au-dessus (le ciel) ou en dessous (une rue goudronnée, un champ en friche…), il est rempli par une nature au développement libre et très géométrique. Aux courbes des lianes et des branches s’opposent en effet des passages piétons et des façades bien rectilignes. C’est à se demander si l’absence d’êtres humains dans les photos explique à elle seule cette impression d’inhumanité, tant les formes naturelles tendent à insuffler une vie que l’urbanisation efface. À l’esthétique d’une ruralité du passé fougueuse et entière s’oppose ici celle d’une modernité de l’abandon. Le progrès, le changement d’usage (agriculture / construction) peut se grandir d’absurde, semble nous dire Pascal, qui cite l’exemple de l’olivier parfois planté là où l’espace est retreint et le vent rare ; tout ce qui est pourtant nécessaire à sa croissance.

Pour autant, que les photos respirent le vide ou le trop-plein, le visiteur est apaisé tout au long de son cheminement vers l’étage supérieur. D’un côté, lorsque la nature remplit le cadre, nous sommes poussés à l’extérieur, en observateur à même de ressentir le vent souffler entre les branches. Nul étouffement ici, bien au contraire. D’un autre côté, quand le vide domine, la tristesse, la déception envers les choix urbanistiques nous laisse songeur. La réflexion crée ici le calme. Cet apaisement fait d’ailleurs écho au « parcours méditatif » de Pascal, en balade pour déclencher son objectif lorsque sa vision rencontre son but. Car il le reconnaît ; au fil du temps et de l’affirmation de sa démarche, l’improvisation s’avère moins présente. Il s’agirait plutôt d’une question dont il connaît la réponse et la cherche dans ses pérégrinations.

 

Pascal œuvre également à nous faire prendre conscience du fait que « notre histoire n’est pas faite que de monuments historiques, de bâtiments, mais aussi de terres agricoles et de forêts. » Nous ne le réalisons pas forcément car, peut-être, nous avons tendance à regarder séparément ville et campagne, ou parce que, de retour à une nature quittée pour vivre en espace urbain, la nature retrouvée ne colle pas à notre souvenir. Les deux sont pourtant bien liées lorsque « les paysages traduisent les traces d’êtres humains plutôt qu’une nature sauvage. » Avec Sous le Vent, notre vision est invitée à renaître par un message militant : construire oui, mais dans le respect de la nature et sans oublier que l’homme doit continuer à s’incliner devant elle. Et pour ceux et celles dont l’intemporalité du noir et blanc pouvait faire croire à un aménagement fictionnel des photographies, l’exposition se termine par des tirages en couleurs. Oui, tout cela se passe bien ici et maintenant.

 

Guillaume Arias

 

Pascal Grimaud – Sous le Vent : jusqu’au 4/05 à la librairire-galerie Zoème (8 rue Vian, 6e).

Rens. : https://zoeme.net

Pour en (sa)voir plus : www.documentsdartistes.org/artistes/grimaud/