Monsieur de Pourceaugnac © Brigitte Enguerand

Monsieur de Pourceaugnac par les Arts Florissants au Grand Théâtre de Provence et au CNCDC Châteauvallon

Haut les chœurs !

 

Monsieur de Pourceaugnac signe le retour d’une collaboration déjà fructueuse entre le metteur en scène Clément Hervieu-Léger et le grand chef d’orchestre William Christie. Sous des dehors légers et chantants, la comédie-ballet de Molière et Lully se révèle extrêmement sombre en se penchant sur le rapport à l’altérité.

 

Comme dans nombre de tragédies, tout commence par un mariage arrangé entre Monsieur de Pourceaugnac, un « provincial » n’ayant jamais mis les pieds à Paris, et la jeune Julie. Cette dernière a déjà un amant, Eraste. Tous deux, avec la complicité du brigadier Nérine et celle de Sbrigani, vont organiser toute une série de stratagèmes pour égarer Monsieur de Pourceaugnac dans ce Paris méconnu, lui faisant perdre la tête et jusqu’à son identité sexuelle.
Clément Hervieu-Léger, vu récemment dans Noces de Sang, a été séduit par la contemporanéité du sujet : « Le plus fou est qu’ils reprochent en premier lieu à Monsieur de Pourceaugnac de venir de Limoges. Il n’est pas possible d’épouser un provincial ! Cela montre comment un groupe de personnes — et c’est toujours la force de Molière de raconter le groupe humain — décide qu’un individu qu’ils ne connaissent même pas est à abattre. »
Dans cette comédie-ballet, où le rapport entre musique et danse est le plus abouti, il n’est pas possible de démêler les parties chantées des parties jouées. Molière et Lully y réussissent à faire de la musique du théâtre. Dans cet esprit, le chef d’orchestre William Christie et les musiciens des Arts Florissants jouent sur scène au milieu des comédiens qui chantent les chœurs, lorsque les chanteurs lyriques jouent les rôles parlés. Les parties dansées, interprétées par toute la troupe, sont réglées par Bruno Bouché, danseur de l’Opéra de Paris. « Pour eux, c’est épuisant, mais somme toute assez grisant, car il y a ce sentiment de ce que voulait Molière : un spectacle total, dans lequel tu joues, tu chantes, tu danses. C’est la comédie musicale avant l’heure. » La transposition de la pièce dans les années 50 renforce cette impression et le côté léger qui s’en dégage. Car, même grave, Molière fait toujours rire.
A la lumière, on retrouve Bertrand Couderc, qui a illuminé tous les opéras montés par Patrice Chéreau, et dont Clément Hervieu-Léger a été le collaborateur. Et au décor, une Marseillaise, Aurélie Maestre, passée par la case du Festival d’Art Lyrique d’Aix. Elle a également travaillé sur Le Voyage en Uruguay de la Compagnie des Petits Champs, mis en scène par Daniel San Pedro…
William Christie dit que le baroque, ça swingue, alors place au show ! Mais un « show choral », comme le préconise Clément Hervieu-Léger : « Les différentes formes d’art peuvent se nourrir mutuellement, mais en même temps, il ne faut pas non plus chercher à tout prix à être dans du sensationnel. L’œuvre de Molière, elle, est écrite comme ça. Et c’est précisément cet état d’esprit de troupe voulu par Molière qui me fait dire que, plus que jamais, nous avons actuellement besoin d’aventures collectives. »

Marie Anezin

 

Monsieur de Pourceaugnac par les Arts Florissants :

  • les 13 & 14/01/2016 au Grand Théâtre de Provence (Aix-en-Provence). Rens. : 08 2013 2013 / www.lestheatres.net

  • les 28 & 30/01 au CNCDC Châteauvallon (Olioulles, 83). Rens. : 04 94 22 74 00 / www.chateauvallon.com

Pour en (sa)voir plus : www.arts-florissants.com

 


 

L’Interview
Clément Hervieu-Léger (sociétaire de la Comédie-Française)

 

A l’occasion des prochaines représentations de Monsieur de Pourceaugnac, entretien avec le metteur en scène de la comédie-ballet signée Molière, revue et corrigée par le tandem qu’il forme avec William Christie.

 

La collaboration avec William Christie

J’avais eu une très belle rencontre avec William Christie lorsque nous avions monté La Didone de Cavalli pour l’Opéra de Caen ; nous nous étions très bien entendus.
Pour moi, c’était vraiment une chance de travailler avec lui, vu son envergure internationale et sa notoriété dans le paysage musical. Il est à l’initiative de toute la redécouverte du baroque dans les années 80. Tous les jeunes chefs du baroque sont passés par les Arts Florissants ou ont été ses assistants. De fait, ses désirs prennent plus facilement corps car les théâtres ont la volonté de travailler avec lui.
Ce qui est super avec cet homme, c’est qu’il a une envie permanente de découverte, assortie d’une curiosité qui le pousse à travailler avec de jeunes metteurs en scène alors qu’il pourrait continuer de le faire avec des metteurs en scène renommés.
Pour Monsieur de Pourceaugnac, nous avons travaillé comme jusqu’à présent, avec une grande confiance l’un en l’autre. Nous avons beaucoup discuté avant de choisir la mise en scène, il m’a laissé extraordinairement libre. J’ai pu lui proposer des choses qui me tenaient à cœur théâtralement. Ce qui est appréciable chez William, c’est qu’à partir du moment où ça a du sens pour le théâtre, il est toujours partant.
Pour le moment, avant la première au Théâtre de Caen, c’est son assistant Paolo qui assure les répétitions puisque l’orchestre n’est pas encore arrivé. Les musiciens seront sur scène et William Christie les dirigera du clavecin dont il jouera en même temps.

 

Objet de théâtre ou opéra-ballet

Il faut savoir que l’opéra est un genre très codifié et hiérarchisé, dans lequel le chef d’orchestre prime sur le metteur en scène. Ce sont les directeurs d’opéra qui passent commande des projets aux artistes ; le metteur en scène ne choisit jamais la pièce qu’il va monter. Là, nous étions dans une configuration totalement différente, étant donné que tout est parti de l’envie de William de renouveler notre collaboration et de travailler sur une comédie-ballet, genre qui n’appartient qu’à Molière.
Au départ, Molière voulait créer un genre qui réunisse le théâtre, la musique et la danse. Parce qu’il était est un homme de théâtre, dans son œuvre, le théâtre prime sur la musique et fait le lien. Nous sommes d’ailleurs au moment du XVIIe où l’opéra commence à prendre son essor, notamment après la rupture entre Molière et Lully et là, c’est la musique qui fait le lien entre théâtre et danse.
Comme ce doit d’abord être du théâtre, il me revenait donc de choisir l’œuvre.
Monsieur de Pourceaugnac, qui m’a séduit tout de suite est, en l’occurrence, celle des douze comédies-ballets de Molière que j’ai lues où le théâtre prime sur la musique, où le rapport entre musique et danse est le plus abouti. Ce qui m’a intéressé, c’est que l’on ne peut pas démêler les parties chantées des parties jouées, si on enlève la musique, on ampute vraiment la pièce. Alors que Le Malade imaginaire ou Le Bourgeois gentilhomme sont souvent montées sans les parties chantées. On coupe la musique et hop, ça marche !

Un propos très contemporain

Monsieur de Pourceaugnac vient de Limoges et il n’est pas possible d’épouser un provincial. Cela montre, comment un groupe — et c’est toujours la force de Molière de raconter le groupe humain ­— décide qu’un individu qu’il ne connait même pas, « l’autre », est à abattre. Il y a effectivement des résonnances incroyablement fortes sur la manière dont on peut aujourd’hui mettre l’autre à l’écart.
Ce qui est génial avec Molière, c’est que c’est toujours extrêmement drôle. J’ai situé la pièce dans les années 50, car le XVIIe est souvent attaché au baroque et je n’avais pas envie de monter cette œuvre en costumes d’époque et perruques. Je voulais une chose plus légère et les années 50 me permettaient de le faire sans tordre l’œuvre. Il y a toute une série de choses de cette époque d’après guerre qui collent très bien — ce qui d’ailleurs est assez troublant… A cette époque, nombre d’immigrés italiens ont gagné la France tout en continuant de parler entre eux leur langue maternelle.
J’ai voulu la situer dans les années 50 car la pièce est très forte et qu’on n’a pas besoin, pour lui donner une contemporanéité, de forcément la monter en costume d’aujourd’hui, avec des références appuyées à l’actualité. Je trouve que la puissance du propos de Molière suffit.

 

Le baroque swingue avec William Christie

Il a un rapport à la musique que je trouve formidable, extrêmement vivant. Alors qu’il a contribué à la renaissance du baroque, il n’est pas dans un rapport muséal à cette musique-là.

 

Un casting à l’image des imbrications entre musique et théâtre, précurseur de la comédie musicale

Tous les rôles de théâtre sont évidemment tenus par des comédiens… Ensuite, on a auditionné avec William quatre chanteurs susceptibles d’interpréter les parties chantées les plus importantes. Je ne voulais pas qu’il y ait une différence marquée entre les acteurs d’un côté et les chanteurs de l’autre. Les chanteurs jouent aussi les rôles parlés, et les comédiens chantent les chœurs, où ils sont tous formidables. De ce fait, on ne sait plus qui est chanteur, qui est comédien. De même pour toutes les parties dansées, il n’y a pas de danseur spécifique. C’est toute cette bande de comédiens et chanteurs qui danse, grâce à un boulot incroyable de Bruno Bouché — danseur de l’Opéra de Paris, un ami de longue date — qui a chorégraphié l’ensemble avec eux et pour eux.
Il s’agit donc d’une distribution assez géniale car ils font tout. Pour eux, c’est épuisant mais somme toute assez grisant, car il y a ce sentiment de ce que voulait Molière d’un spectacle total : tu joues, tu chantes, tu danses. C’est la comédie musicale avant l’heure. C’est Broadway !
Quand on pense que Lully, qui a composé la musique de Monsieur de Pourceaugnac, a joué dedans (il faisait le premier médecin), c’est que tout était déjà mêlé. Et c’est avec ça que j’ai voulu renouer, avec cette imbrication-là.

La scénographie

J’assume pour le coup un Paris qui se passe dans les années 50-60, c’est-à-dire un peu le Paris carte postale à la Doisneau et tout ça…
Il fallait à la fois donner cette image de Paris, mais comme ce spectacle va beaucoup tourner et passer dans les lieux très divers, aussi différents que le GTP et les Bouffes du Nord, la scénographie devait être mouvante et pouvoir s’adapter aux différents plateaux. Ce sont donc des sortes de châssis sur roulettes et de deux escabeaux. Dans la pièce, il y a une métaphore théâtrale filée en permanence, c’est-à-dire qu’il y a du théâtre dans le théâtre ; j’ai eu vraiment envie de renouer avec cela. La scénographie est relativement figurative au départ et, au fur à mesure, elle se dénonce comme un décor de théâtre.

 

Une Marseillaise aux décors : Aurélie Maestre

J’ai rencontré Aurélie à Aix-en-Provence au Festival d’Art Lyrique, lorsque je travaillais sur le Cosi Fan Tutte de Patrice Chéreau. Elle est dans le milieu de l’opéra, elle a déjà fait des décors de théâtre, dont celui de Voyage en Uruguay de la Compagnie des Petits Champs, mis en scène par Daniel San Pedro.

 

La Compagnie des Petits Champs et les Arts Florissants, une troupe à la Molière

Notre compagnie que je partage avec Daniel San Pedro est évidemment co-productrice de ce projet. C’est une tribu, y compris en termes de costumes, scénographie, lumières. Nous travaillons beaucoup avec les mêmes gens comme pour cette pièce.
Ce qui est important pour moi, c’est de renouer avec cet esprit de troupe et cette utopie théâtrale incroyable, celle de Molière, où l’on pouvait faire un spectacle réunissant théâtre, musique et danse. Aujourd’hui, ça nous parait assez évident alors que c’était en 1669.
Les différentes formes d’art peuvent se nourrir mutuellement, mais en même temps on ne cherche pas non plus absolument à être dans du sensationnel. L’œuvre de Molière elle, est écrite comme ça. Et dans cet état d’esprit de troupe voulu par Molière, je pense que plus que jamais nous avons besoin actuellement d’aventures collectives.

 

Patrice Chéreau, le compagnon de création

J’ai été aux côtés de Patrice durant les dix dernières années de sa vie, ça a été une rencontre fondamentale dans mon existence, qui a changé ma vie, évidemment. Ce furent des années d’une richesse incroyable. J’ai travaillé sur Cosi Fan Tutte, Tristan und Isolde, j’ai tourné dans Gabriel, dans Rêves d’automne, nous avons co-écrit deux ouvrages et j’ai co-signé un livre sur Patrice.
Aujourd’hui, il me manque terriblement. L’ami évidemment, mais aussi le professionnel, l’homme de théâtre, celui avec qui j’avais un dialogue continu, me fait défaut. Et moi j’essaie dans mon travail d’être le plus fidèle à ce que j’ai appris de lui.

 

La transmission de Chéreau

Ce qui dans mes spectacles peut faire penser de près ou de loin à Patrice, je suis le moins bien placé pour en parler. A la limite, je peux parler de la méthode. Ce qu’il m’a d’abord enseigné, c’est le travail, que rien n’est possible sans cela. Et ça je crois que c’est vraiment son premier enseignement. Je l’ai vu moi-même travailler, c’était une bête de boulot. Donc je travaille… Et rien n’est détail au théâtre, on ne peut pas dire « ce n’est pas grave ». Ce qu’il m’a enseigné également, c’est une forme de soumission au texte. Les réponses aux questions que l’on se pose lorsqu’on monte un spectacle, qu’il s’agisse d’un opéra ou une pièce de théâtre, sont dans le texte et c’est là qu’il faut le chercher. Elles ne sont pas forcément évidentes, elles ne sautent pas forcément aux yeux.
En quelque sorte, ce fut une paternité de théâtre. Ce qui est certain, c’est qu’il y a eu une vraie transmission.

Propos recueillis par Marie Anezin