Marseille Jazz des Cinq Continents

Phocéement bien !

 

 

La programmation du FJ5C 2023 est riche en pépites : le festival marseillais donne dans une authenticité que nombre de ses collègues perdent, réussissant le tour de force d’échapper en grande partie à la loi du marché. Peut-être est-ce dû à la topographie sensible des sites sur lesquels sont convié·e·s les artistes.

 

 

 

Ainsi du spectacle Kay, lettres à un poète disparu, porté par le saxophoniste-conteur-récitant Liamine Diagne et le cinéaste Matthieu Verdeil. Après le film Claude McKay, de Harlem à Marseille, le dispositif scénique d’images et de musiques live en hommage au poète et romancier d’origine jamaïcaine, qui mit en mots l’émergence d’un jazz archaïque dans les bouges du Vieux Port au mitan des années 1920, promet d’être pourvoyeur d’ondes créatrices rares. Louons l’organisation d’avoir intégré le Théâtre de La Sucrière, au cœur des quartiers nord. L’évènement, gratuit, est déjà complet.

Le festival va bien évidemment réintégrer les lieux patrimoniaux de la cité phocéenne qui font son identité. Dans la cour de la Vieille Charité, les concerts de Yaron Herman/Oxmo Puccino (oooh) et Brad Mehldau trio (aaah) affichent complet. C’est à peine s’il reste des places pour Dhafer Youssef : on se languit d’entendre son jazz soufi dans cet antre du savoir riche d’une église baroque… Marseille pourrait y prendre des airs de Cordoue période Al-Andalus. À l’Abbaye St Victor, aucune génuflexion ne permettra de rentrer pour écouter le griot Ballaké Sissoko, magicien de la kora : plus une place, même à genoux sur un banc d’église.

Éclatement des horizons en vue sur la terrasse du Fort Saint-Jean. Tout en haut du Mucem s’exprimeront des formations militant pour un futur métissé. La sublime Gaby Hartmann clôturera la soirée avec notamment une ode au sort funeste des migrants en Méditerranée, après la prestation orientalisante de Sarab et le concert des « jeunes pousses » suisses Louis Matute (saluons la participation de Marseille Jazz au réseau AJC, dispositif de soutien aux jeunes talents). L’authenticité d’un jazz qui ne cesse d’expérimenter sera portée par un gang de Chicagoans issus des rangs de l’Association For Advancement of Creative Musicians (AACM pour les intimes), menée par le légendaire percussionniste Kahil El’Zabar, fondateur, entre autres, de l’Ethnic Heritage Ensemble, qui a récemment sorti un disque en forme de brûlot contre les crimes étatsuniens. Le FJ5C deviendrait-il un festival révolutionnaire ?

L’écrin côtier du Théâtre Silvain, lui, recevra la diva Diane Reeves, éminente représentante d’un jazz-rock aux effluves gospel, à la tête d’un quartet qui distille des ondes d’émotion sur la planète entière. Elle aura été précédée par la nouvelle sensation du jazz européen, le quartet du pianiste germano-américain Benjamin Lackner, dont le dernier album booste les ventes du vénérable label ECM. On n’oubliera pas d’aller piquer une tête après le show de Chilly Gonzalez : Gonzo et son gang s’y connaissent pour ce qui en est de faire transpirer les publics. En première partie, la violoncelliste d’origine cubaine Ana Maria Maza aura dispensé ses ondes créoles plus puissantes qu’un ouragan caraïbe et plus douces qu’une ondée tropicale — sans oublier qu’elle est une redoutable improvisatrice. Le bon géant désormais légende vivante Marcus Miller, quant à lui, succédera au pianiste anglais Alpha Mist, valeur montante d’un London Jazz 2.0 dont la valeur n’a pas attendu le nombre des années.

Comme en écho à la présence de ce dernier, le FJ5C retrouvera son foyer originel du Parc Longchamp en conviant à Marseille la sémillante sax’ ténor Nubya Garcia, dont le jazz lorgne vers la cumbia et les échos du dub le plus récent. La même soirée verra le combo électro-jazz Émile Londonien s’emparer de la scène pour un set plus chaud que le climat, fût-il anglais. Comme un cadeau pour le public phocéen, la nouvelle égérie du jazz vocal Samara Joy livrera des pépites de son dernier album, qui en font la digne héritière d’une Sarah Vaughan. Ajoutons à cela la présence des jeunes talents du jazz local Marie Carnage, qui téléportent les publics de Marseille à La Nouvelle Orléans, ainsi qu’un grand bal jazz avec Raphaël Imbert et ses invité.e.s au Conservatoire : le jazz c’est la fête ! Et puisqu’il faut que le « grand public » soit de la partie, le FJ5C propose de redécouvrir l’excellent trip-hop de Morcheeba sans ignorer la soul teintée d’électro de Selah Sue.

Impossible d’être exhaustif face à une telle profusion de propositions d’excellence. L’équipe de Marseille Jazz nous oblige à ne plus savoir où donner de la tête. On ne peut que s’en réjouir.

 

Laurent Dussutour

 

 

Marseille Jazz des Cinq Continents : du 8 au 27/07 à Marseille.

Rens. : www.marseillejazz.com

La programmation complète du Marseille Jazz des Cinq Continents ici